Le Moyen Age - Première partie Les Carolingiens |
Nous avons vu que le véritable pouvoir politique, à partir du milieu du VIIe siècle, était passé entre les mains des maires du palais et que l'un de ceux-ci, Pépin de Herstal, allait être à l'origine d'une nouvelle dynastie. En effet, Pépin avait eu à livrer bataille à des tribus germaniques appelées en Gaule par les ennemis de son roi. Il s'était ainsi acquis un énorme prestige. Son fils Charles (plus tard surnommé Charles Martel), qui hérita des fonctions de maire du palais, eut à faire face à un nouveau danger qui faillit anéantir le monde chrétien occidental.
Au VIIIe siècle, les Arabes avaient franchi le détroit de Gibraltar et occupé presque toute l'Espagne. En 720, ils franchirent les Pyrénées et prirent Narbonne puis s'établirent dans la région toulousaine. En 732, une nouvelle invasion amena l'émir Abd-el-Rahman à Bordeaux, puis à Poitiers. Cette dernière ville se défendit magnifiquement et, plutôt que de s'attarder à un siège coûteux, Abd-el-Rahman décida de pousser vers Tours, la ville sainte de la Gaule chrétienne. C'est au confluent de la Vienne et du Clain, à mi-chemin de Poitiers et de Tours, que se livra lai célèbre bataille dite de « Poitiers » entre les Arabes et l'armée de Charles Martel.
Ce fut un des moments les plus solennels de l'histoire occidentale. L'islamisme se trouvait là en face du dernier rempart de la chrétienté. Les Arabes avaient vaincu les Wisigoths et les Gallo-Wascons ; s'ils triomphaient à Poitiers, ils étaient maîtres de l'Europe. Pendant sept jours, Chrétiens et Musulmans s'observèrent. Puis, un samedi d'octobre, la lutte s'engagea. La cavalerie sarrasine, encouragée par les cris des muezzins, se déploya en ordre dans la plaine et s'élança contre les Francs. Ceux-ci restèrent immobiles « comme un mur de fer, comme un rempart de glace », selon un chroniqueur contemporain. Vingt fois de suite, les Musulmans se lancèrent contre les Chrétiens et vingt fois ceux-ci les repoussèrent en faisant des milliers de victimes. Finalement, vers quatre heures de l'après-midi, l'allié de Charles, le duc Eudes, arriva avec ses Wascons (Basques) et ses Aquitains sur l'arrière du camp arabe. Une partie des Musulmans volèrent à la défense de leur camp, et Charles en profita pour charger à son tour. Lorsque tomba la nuit, la plus grande confusion régnait ; les armées se replièrent chacune dans son camp. Pendant la nuit, les Arabes, ayant perdu leur chef, décampèrent en silence; leur fuite ne s'arrêta que lorsqu'ils eurent regagné Narbonne, leur place forte.
Lorsque Charles Martel mourut, neuf ans plus tard, il avait réussi à rétablir dans toute la Gaule l'empire franco-gallo-romain et à repousser des frontières de cet empire, au nord les Germains, au sud les Arabes. Ses trois fils, Pépin le Bref, Carloman et Griffon (un demi-frère naturel de Pépin), héritèrent de son pouvoir et se partagèrent l'empire, mais Carloman se retira bientôt dans un monastère et Griffon mourut en 753, si bien que Pépin se trouva seul maître de l'État. En 751, après avoir reçu l'approbation du pape, il convoqua une assemblée de Francs et fut par elle élu roi. Le dernier roi mérovingien, Childéric III, fut envoyé dans un monastère. Ainsi commença la nouvelle dynastie : les Carolingiens.
Le pape Etienne II vint lui-même à Paris en 754 pour sacrer le nouveau roi dans la basilique de Saint-Denis. Ce sacre allait donner à la royauté carolingienne une dignité et une puissance nouvelles. Le roi était maintenant l'élu de Dieu et prenait donc une sorte de caractère sacerdotal. Cette même année, le pape vint implorer l'aide des Francs contre les Lombards qui ravageaient l'Italie et s'étaient emparés des dernières terres latines. Pépin accourut à l'aide du pape et, après deux campagnes victorieuses, fit céder au siège apostolique la Romagne, le duché d' Urbino et une partie de la Marche d' Ancône. Le pontife romain devenait donc un souverain temporel ; et l'État pontifical était créé. A la fin de sa vie, Pépin était devenu un des premiers personnages de la Chrétienté. Il avait étendu les limites de son royaume, notamment en Aquitaine ; il était consulté par des souverains aussi lointains que le khalife de Bagdad et l'empereur de Constantinople, et le pape l'appelait son « défenseur après Dieu ».
A sa mort, en 768, ses fils Charles et Carloman héritèrent de ses territoires. Carloman mourut trois ans plus tard et Charles fut alors reconnu comme seul roi. Celui à qui, de son vivant, l'on donna le nom de Charles 1 er le Grand (en latin Carolus Magnus), était aimé des Francs pour son courage, sa dignité et une sens de l'autorité qui s'alliait à un souci d'équité rare à cette époque. D'un caractère simple et sobre, Charlemagne se plaisait à la natation et à la chasse. Eginhard, lettré et ami de l'empereur, en a donné ce portrait, dans sa Vie de Charles le Grand :
« Il était large et solide, grand, sans passer la mesure, puisqu'on s'accorde à dire que sa taille égalait sept fois la longueur de son pied ; il avait le sommet du crâne rond, les yeux grands et vifs, le nez un peu plus grand que la moyenne, une belle chevelure blanche, l'air gai et de bonne humeur : tout cela lui donnait, tant assis que debout, beaucoup d'autorité et de dignité ; bien qu'il eût le cou gros et un peu court, le ventre quelque peu proéminent, la juste proportion du reste du corps dissimulait ces défauts. Il avait le pas ferme et l'allure virile, une voix claire, mais peu en rapport avec sa taille, une bonne santé, si l'on excepte de fréquents accès de fièvre dans ses quatre dernières années ; il boitait même sur la fin. Et il faisait alors à sa fantaisie, plutôt que de suivre le conseil des médecins, à qui il en voulait presque de lui ordonner des bouillis au lieu de ses rôtis habituels.
Il pratiquait de façon suivie l'équitation et la chasse, et il tenait cela de sa race, car il n'y a pas au monde de nation qui puisse rivaliser avec les Francs dans ces exercices. Il aimait aussi la chaleur des eaux thermales, il y nageait souvent et si bien que nul ne pouvait l'égaler. »
Vrai chef barbare, Charlemagne ne se faisait pas scrupule, tout en étant chrétien, de faire décapiter un jour des milliers de prisonniers Saxons dont il ne savait que faire. Robuste, corpulent, il se remaria maintes fois et oublia parfois de le faire. Mais ce roi des Francs était un Barbare énergique, d'esprit remarquablement curieux et ouvert.
Il avait reçu une culture médiocre, comparée à celle de ses fils et petits-fils. Il ne sut jamais écrire, mais sa curiosité le poussa à étudier la rhétorique, la dialectique et l'astronomie, ainsi que la science religieuse. Il aimait particulièrement se faire lire les œuvres de Saint Augustin. |