Le Moyen Age - Première partie

Les Carolingiens

Quelques années après la mort de Charlemagne, les Normands brûlèrent sa capitale. Le reste de son œuvre ne fut guère plus durable. Seules son autorité et sa force maintenaient l'ordre dans son empire, et encore eut-il à réprimer bien des révoltes. Aussitôt qu'il avait le dos tourné, les Saxons qu'il avait convertis se « déconvertissaient ». Ses administrateurs eux-mêmes, les comtes, étaient attachés à lui par un lien personnel, un lien d'homme à homme. Sa monarchie était déjà une monarchie féodale.

 

Dans l'esprit populaire, Charlemagne devint le grand champion de la chrétienté en lutte contre l'ennemi héréditaire. La légende grandit l'imposante figure de l'empereur. Pour le rendre encore plus vénérable, elle lui attribua une large barbe - alors que les Francs avaient le menton rasé - elle l'entoura des douze pairs, plaça un fragment de la Sainte Lance dans le pommeau de son épée, Joyeuse . Presque trois siècles après la mort de Charlemagne, la Chanson de Roland montre combien était resté vivace le souvenir du vieil et sage empereur. Mais l'époque était bien différente de la sienne. Après le mélancolique automne gallo-romain, puis le long et sombre hiver de l'époque franque, approchera le beau printemps du douzième siècle.

 

Lorsque Charlemagne mourut, le 28 janvier 814, son fils Louis 1er devint empereur. C'était un homme instruit, sobre, modeste, généreux et d'une très grande pureté morale. Ses contemporains lui donnèrent le surnom de Pieux , et plus tard celui de Débonnaire lui fut attribué pour indiquer combien son âme était douce et faible. Un tel homme n'était guère capable de continuer l'œuvre de son père. Aussi vit-on Louis partager bientôt son empire en trois royaumes entre ses fils, tandis que lui-même gardait le titre d'empereur. Deux fois déposé, deux fois rappelé au pouvoir, il laissa, à sa mort, le titre impérial à son fils aîné Lothaire 1er, avec les provinces situées à l'est de la Meuse, du Jura et du Rhin; à son fils préféré Charles II le Chauve, toutes les terres occidentales ; et à son troisième fils , Louis 1 er (ou II) le Germanique, la Bavière et l'est allemand.


Louis 1er, fils de Charlemagne, dit Louis le Pieux

 

Le nouvel empereur, Lothaire 1er , n'accepta pas ce partage ; une guerre entre les trois frères, les deux jeunes s'unissant contre l'aîné. Une grande bataille eut lieu le 24 juin 841 à Fontanet (aujourd'hui Fontenoy-en-Puisaye où Lothaire 1 er fut battu. L'hiver suivant, les deux frères Louis le Germanique et Charles le Chauve jurèrent, à Strasbourg, de se soutenir mutuellement dans leur lutte contre l'empereur. Louis prononça le serment en roman, pour être compris par les hommes de Charles ; Charles, pour être compris par les hommes de Louis, le répéta en tudesque. Le document en langue romane de ces Serments de Strasbourg, prononcés le 14 février 842, est le premier écrit dans cet idiome qui allait devenir la langue française. Extrait :

 

« Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fadre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fadra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fadre Karle in damno sit ».

 

Traduction : « Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles ».

 

L'année suivante en 843, les accords de Verdun (ou traité de Verdun) mirent fin à la guerre et partagèrent définitivement l'empire de Charlemagne. Lothaire reçut l'Italie et les pays du Rhin : une bande de terre longue de 1.500 kilomètres sur 200 kilomètres, de Naples à la mer du Nord - cette Lotharingie qui, bien réduite, est devenue la Lorraine – ; Louis reçut les contrées situées au-delà du Rhin, c'est-à-dire la Germanie ; Charles garda le reste : les régions à l'ouest de la Meuse et du Rhin, jusqu'à l'Espagne. Cette délimitation arbitraire et artificielle ne reposait sur aucune base ethnique, géographique ou économique. Elle réduisait l'ancienne Gaule d'un tiers, lui enlevait ses frontières naturelles et créait pour l'avenir une zone de provinces contestées entre l'Allemagne et la France. Dès lors aussi, la France, l'Allemagne et l'Italie eurent des destinées différentes.


Carte du Traité de Verdun en 843

 

La dynastie carolingienne dura encore 144 ans après ce partage. Charles, surnommé le Chauve, fut un prince intelligent et actif. Instruit, il possédait une riche bibliothèque où il aimait contempler de beaux manuscrits enrichis de miniatures.

 

Malheureusement, le royaume de Charles était troublé par les excès des grands qui, pendant les guerres civiles, avaient usurpé des biens et des droits qu'ils entendaient conserver. La féodalité naissante faisait de grands progrès au détriment du pouvoir royal. De plus, la France occidentale était soumise au pillage des Normands, venus des pays scandinaves. Attirés par la richesse du sol et la douceur du climat, ces guerriers-marins apparurent pour la première fois sur les côtes de la Manche aux environs de l'an 800. Puis leurs raids devinrent de plus en plus ambitieux. En 841, Rouen fut ravagé ; en 843, ce fut le tour de Nantes ; en 844, les Normands pénétrèrent dans la Garonne, passèrent devant Bordeaux et vinrent piller les deux rives du fleuve jusqu'aux remparts de Toulouse. En 845, ils arrivèrent devant Paris et ne se retirèrent qu'après avoir reçu de fortes sommes d'argent.

 

En même temps, Charles le Chauve eut à faire face aux soulèvements des Bretons et des Aquitains. Dans le pays, le brigandage prit des proportions incroyables. Les nobles de Charles refusaient de se battre et l'encourageaient à traiter avec ses ennemis. Mais Charles continua à les combattre. Il trouva, pour l'aider contre les Bretons et les Normands, une aide précieuse en la personne de Robert le Fort.

Cet homme, d'origine obscure, fut le plus valeureux des soldats de Charles et, en récompense, il reçut de nombreux fiefs entre la Seine et la Loire. Lorsqu'il fut tué, en 866, les Normands purent ravager, piller, massacrer à leur aise. Après la mort de Charles le Chauve, en 877, le royaume de France continua à souffrir de troubles intérieurs et d'incursions normandes. Celles-ci devinrent annuelles et se prolongèrent pendant presque un siècle. Les Normands saccagèrent Paris, qui avait encore son nom gallo-romain de Lutèce et ne dépassait guère l'île de la Cité. Ils revinrent l'assiéger en 885, avec tant de navires que la Seine en était couverte, sept cents, dit-on. Les fils et les petits-fils de Charles se succédèrent sur le trône, aussi incapables les uns que les autres de défendre leur peuple. Celui-ci se tourna donc de plus en plus vers les grands seigneurs, et le pays se divisa en grandes principautés confiées à un duc, à un comte ou à un marquis, auquel se recommandaient des hommes énergiques qui recevaient la responsabilité de défendre des territoires moins étendus.

Pour apaiser les Normands, le roi Charles III le Simple, désireux de protéger le cœur de son royaume, résolut de traiter avec eux. Il offrit à leur chef Rollon, en 910, de leur abandonner le territoire qu'ils occupaient depuis longtemps : la région maritime à l'embouchure de la Seine, qui avait pour centre la ville de Rouen et s'étendait d'un côté jusqu'à la rivière de l'Epte, de l'autre jusqu'à la mer. C'est là l'origine du duché de Normandie, qui joua au Moyen Age un rôle si important dans les destinées du royaume.


Charles III le Simple

 

En retour, Rollon s'engageait à embrasser la religion chrétienne et à respecter les régions voisines. Le royaume franc put alors respirer pour la première fois depuis un siècle. Chose remarquable, les Normands se plièrent aux coutumes françaises, ils apprirent la langue du pays, et ceux qui avaient si souvent mis la France à feu et à sang, devaient bientôt être les propagateurs les plus actifs de la langue et de la civilisation françaises.

 

Les Normands n'étaient pas les seuls à désoler le pays. Sur le Midi pesait lourdement la menace de l'Islam. Les Sarrasins faisaient des incursions en Aquitaine, ils dominaient la Méditerranée, ravageaient les côtes de Provence, s'étaient établis presque à. demeure dans certains passages des Alpes, d'où ils rançonnaient pèlerins et voyageurs. Alors que les Normands se convertirent, les Sarrasins restèrent des Infidèles.

A la mort du dernier Carolingien, en 987, l'assemblée des nobles francs, élut comme roi un des ducs les plus puissants : Hugues 1er, dit Capet, et descendant de Robert le Fort, qui allait fonder une nouvelle dynastie : les Capétiens.


Hugues Capet, descendant de Robert le Fort

Page 7