TENCIN (Claudine Alexandrine GUERIN, Mme de) : Femme de lettres française (Grenoble, 1682 — Paris, 1749) Mise au couvent à l'âge de huit ans, puis contrainte de prononcer ses vœux afin que sa famille puisse disposer de ses biens, elle se révolta et, dès la mort de son père, après avoir déposé une protestation chez un notaire, elle s'enfuit du couvent de Montfleury, près de Grenoble (1705). Relevée de ses vœux par le pape (1712), elle gagna Paris où elle se lança dans l'intrigue politique et la galanterie, et travailla à l'avancement de son frère avec autant d'intelligence que de ténacité . Elle tint d'abord salon chez sa sœur, Madame de Ferreol, puis, à partir de 1714, chez elle, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris. On lui prêta beaucoup d'amants, parmi lesquels figurent de nombreux personnages importants comme le duc d'Orléans, le financier Law, d'Argenson, Fontenelle, le cardinal Dubois , etc. ; en 1717, elle eut du chevalier Destouches un fils — le futur philosophe et mathématicien D'Alembert —, qu'elle abandonna dès sa naissance sur les marches de la chapelle de Saint-Jean-le-Rond . Elle se retira de la cour à la mort du ministre Dubois, en 1723. En 1726, un de ses amants, Charles de la Fresnaye, dans un accès de démence, se suicida chez elle en laissant un billet l'accusant de l'avoir trahi et volé. Après avoir passé quelques semaines à la Bastille, elle fut innocentée, mais sa réputation resta entachée et, en 1730, elle fut obligée de quitter de Paris . Cet éloignement ne dura que quelques mois et lorsqu'elle fut enfin autorisée à revenir à Paris, ce fut sous la condition expresse de ne plus désormais s'occuper ni de politique, ni de religion. Son salon — qu'avaient fréquenté des diplomates et des courtisans, puis des évêques constitutionnels au temps du concile d'Embrun présidé par son frère, le futur cardinal de Tencin — devint dès lors exclusivement littéraire et philosophique, et plus encore après la mort de la marquise de Lambert, dont elle récupéra les habitués et dont les «mardis» devinrent les siens. On y rencontrait les « Sept Sages » : Fontenelle, Marivaux, le physicien Dortous de Mairan, l'érudit Mirabaud, le numismate de Boze, le médecin Jean Astruc, l'historien Charles Pinot Duclos, mais aussi Montesquieu, le poète Alexis Piron, Réaumur, l'abbé Prévost à son retour d'Angleterre ; à la fin de sa vie, on y verra Marmontel et Helvétius . C'était un salon philosophe mais modéré ; intellectuel, mais gai. On y rivalisait d'esprit, les auteurs y lisaient leurs œuvres , Madame de Tencin, elle, les lettres qu'elle recevait . On improvisait des contes, des apologues ou des maximes, où l'hôtesse montrait ses qualités d'observation. Elle y remit à la mode les problèmes de psychologie amoureuse tels qu'on les concevait au siècle précédent, et qui donnaient lieu à des débats subtils et paradoxaux. Elle encouragea également la publication et la diffusion de l'Esprit des lois de Montesquieu . Elle écrivit des romans d'inspiration sentimentale et sombre ( les Mémoires du comte de Comminges , 1735 ; le Siège de Calais , 1739 ; les Malheurs de l'amour , 1747) qui remportèrent un grand succès ; parus sans nom d'auteur, ils furent longtemps attribués à Pont-de-Veyle et à d'Argental. Elle a également laissé une intéressante Correspondance (posthume, 1790-1806).