Jean RACINE : Dans le théâtre de Racine, le tragique n'est plus posé en termes de valeur et d'adversité, fût-elle divine, mais découle du fossé qui sépare la grandeur de l'homme de sa condition misérable . À une époque où la noblesse se sent dépossédée de ses rêves d'héroïsme, Racine a su rencontrer sa sensibilité par son interrogation sur les valeurs morales. Né en 1639 dans un milieu modeste, orphelin de sa mère à deux ans, de son père à quatre ans, Racine est élevé par les religieuses de Port-Royal, où il a pour professeurs Arnauld et Antoine Lemaistre. Cette éducation janséniste se prolonge au collège d'Harcourt. À vingt ans, il noue sa première et sa plus fidèle amitié littéraire avec La Fontaine. De retour à Paris en 1663, après un séjour à Uzès, il se lance dans la poésie de cour et rédige plusieurs odes de circonstances pour le roi. Sans se soucier des polémiques morales, il se consacre au théâtre et c'est Molière qui crée en 1664 sa première tragédie, la Thébaïde . Mais, pour Alexandre le Grand (1665), il se brouille avec Molière, à qui il « volera » deux ans plus tard sa maîtresse, la Du Parc . Il rompt aussi avec ses maîtres de Port-Royal, après que Nicole a condamné le genre théâtral . L'année 1667 ouvre une décennie prolifique en chefs-d'œuvre : Andromaque est créée dans les appartements de la reine, puis jouée à l'hôtel de Bourgogne. Ce succès immense est suivi en 1668 par les Plaideurs , son unique comédie. Avec Britannicus (1669), Racine ose concurrencer directement Corneille. Malgré les cabales, Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie en Aulide (1674) sont des succès. Reçu à l'Académie française en 1673, titulaire d'une charge financière, Racine fait éditer une première fois son théâtre et se marie l'année où il donne Phèdre (1677). Mais la cabale contre Phèdre , sa réconciliation avec Port-Royal et, surtout, la nouvelle charge d'historiographe du roi qu'il partage avec Boileau le détournent du théâtre. Il n'écrit plus de tragédie jusqu'en 1689, lorsque Mme de Maintenon lui commande une pièce, d'inspiration religieuse, destinée aux élèves de Saint-Cyr : Esther , suivie en 1691 d' Athalie . Racine meurt en 1699 et est enterré au cimetière de Port-Royal . Racine s'éloigne de la dramaturgie cornélienne dans la mesure où le tragique ne se confond plus, dans ses tragédies, avec l'héroïsme et la valeur morale, qui ne sont plus des données transcendantes, mais l'enjeu d'une âpre lutte intérieure. La noblesse de l'âme, chez lui, est non seulement pudeur mais aussi faiblesse . Mais la douceur du « tendre Racine », cependant, couvre et couve les violences de la passion et de l'histoire . Réalisant l'idéal de la tragédie classique, l'action est simple et les péripéties évoluent sous la forme d'un conflit intérieur aux personnages. Il s'agit souvent, comme dans Britannicus ou Andromaque , d'une hésitation entre deux postulations contradictoires, politique et personnelle . Même si l'action s'inscrit dans l'histoire, celle-ci n'apparaît qu'en coulisses, car la scène est tout entière une chambre d'échos pour les tergiversations des personnages. Cette dramaturgie accorde une place essentielle à la cruauté : élément constitutif de certains de ses plus beaux caractères (Roxane, Néron), elle est ironiquement redoublée par l'impuissance à réagir pour ceux qui la subissent (Antiochus) ou pour ceux qui s'y complaisent (Athalie : Dans Athalie , drame temporel et religieux, l'habileté politique du grand prêtre Joad et l'innocence de Joas concourent au succès de la légitimité, qui est avant tout le triomphe de Dieu. ).