LE BAROQUE : Si aujourd'hui le mot « baroque » est un terme vague que l'on applique aussi bien à une idée bizarre qu'à la peinture de Rubens ou au théâtre de Claudel, il a une origine précise et de nature technique : en joaillerie, « baroque » désignait une perle irrégulière ou une pierre mal taillée. Le baroque s'est donc d'abord défini négativement : il était l'anormal, l'exubérant, le décadent - le contraire du classique . Au début du XXe siècle, les historiens de l'art ont fait du baroque un concept d'esthétique générale pour caractériser le style de la période qui sépare la Renaissance du classicisme : l'art baroque, pictural et ouvert, s'oppose à l'art classique, linéaire et fermé. Cette vision plastique s'étendit à la musique et à la littérature . Dans le domaine des beaux-arts, l'épithète de « baroque » a servi à qualifier, dans un sens péjoratif, le style qui, succédant à la Renaissance classique et maniériste, a régné sur une grande partie de l'Europe au XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe. Né à Rome, expression essentielle de la Contre-Réforme, le baroque s'est surtout imposé dans les pays catholiques (encore que l'architecture française ait plutôt développé l'esthétique classique) et y a complètement renouvelé l'iconographie et les formes de l'art sacré . Mais ce fut aussi un art de cour, reflétant l'absolutisme des princes dans le faste de la scénographie urbaine comme du décor architectural . Contrairement à l'idéal d'équilibre méthodique de la Renaissance classique, le baroque se défie de l'intelligence : il veut étonner, éblouir, toucher les sens à une époque où est proclamé le caractère affectif de la foi . Il y parvient par des effets de lumière et de mouvement, de formes en expansion qui s'expriment, en architecture, par l'emploi de l'ordre colossal, de la ligne courbe, des décrochements ; en sculpture, par le goût de la torsion, des figures volantes, des draperies tumultueuses ; en peinture, par des compositions en diagonale, des jeux de perspective et de raccourci . Mais, surtout, les différentes disciplines tendent à se fondre dans l'unité d'une sorte de spectacle, dont le dynamisme et le scintillement coloré traduisent l'exaltation . Le baroque trouva sa première expression à Rome, chez les architectes chargés de terminer l'œuvre de Michel-Ange : Maderno et Bernin, auteurs respectivement de la façade et de la colonnade de Saint-Pierre . Courbes et contre-courbes, interpénétrations de figures géométriques règnent chez Borromini ; en sculpture, Bernin triomphe avec le baldaquin de Saint-Pierre, la Sainte Thérèse, la fontaine des Quatre-Fleuves sur la place Navone , tandis que Lanfranco, Pierre de Cortone, Baciccia ou le Père Pozzo couvrent les plafonds d'envolées célestes en trompe-l'œil . Ce style se répand en Italie, dans le Piémont (Guarini, Juvarra), à Naples (le peintre L. Giordano), à Gênes, à Lecce, en Sicile au XVIIIe siècle, sans omettre Venise (Longhena, Tiepolo...). D'Italie, le baroque s'est propagé dans les Pays-Bas du Sud (la Belgique), en Bohême, en Autriche et en Allemagne, dans la péninsule Ibérique et dans ses colonies d'Amérique, en Russie (Rastrelli). Terre d'élection pour les jésuites, la Belgique construit au XVIIe siècle des églises qui se souviennent de la structure et de l'élan vertical du gothique. Rubens, le peintre baroque par excellence, y fait précocement claironner ses grands tableaux d'autels , et des sculpteurs comme H. F. Verbruggen y installent leurs étonnantes chaires à prêcher, sur lesquelles des éléments végétaux se tordent autour des figures sculptées. Décors des fêtes mis à part, la France n'est guère touchée par la tentation baroque que vers les années 1630-1660 (Vouet, Le Vau...) et, dans les arts décoratifs surtout, un siècle plus tard . Les capitales germaniques du baroque sont Prague (avec des architectes comme Giovanni Santini-Aichel [1667-1723] ou Kilián Ignáz Dientzenhofer [1689-1751], des sculpteurs comme M. B. Braun), Vienne (Fischer von Erlach, L. von Hildebrandt, le sculpteur Georg Raphael Donner [1693-1741]), Munich (les Asam, Cuvilliés), mais de nombreux châteaux, églises de pèlerinage et abbayes de Bavière (comme Melk, Wies , Vierzehnheiligen [J. B. Neumann]) témoignent au premier chef de l'allégresse et de la complexité du rococo germanique, qui atteint les terres protestantes de Saxe (Dresde) et de Prusse (Sans-Souci, à Potsdam). En Espagne, le baroque s'incarne dans les statues pathétiques des processions (pasos), dans la débauche ornementale des grands retables dorés, comme dans le style churrigueresque d'un P. de Ribera . Cette exubérance, au moins décorative, se retrouve, avec une contagion de l'esprit indigène, au Mexique , sur les lourdes constructions de l'Amérique centrale, faites pour résister aux séismes, ainsi qu' au Pérou et en Bolivie . Le Brésil, à la suite du Portugal, connaît un essor tardif (courant du XVIIIe s.), mais l'invention, féconde dans l'urbanisme comme dans l'articulation des églises et dans leur décor rococo, s'y prolonge jusqu'au début du XIXe siècle (l'Aleijadinho). Le baroque littéraire, théorisé en Espagne par Baltasar Gracián et illustré par la poésie labyrinthique de Góngora, anime en Italie les subtilités de Marino, en Allemagne le pathétique d'Andreas Gryphius et l'humour picaresque de Grimmelshausen, en Angleterre les délicatesses de l'euphuisme. Il inspira, en France, l'hermétisme de Maurice Scève, les raffinements macabres de Jean de Sponde, la mythologie sensuelle de Théophile de Viau, les violences visionnaires d'Agrippa d'Aubigné . Art du reflet et de l'apparence, à travers les thèmes favoris de l'eau, du miroir et du masque, le baroque est en réalité un style fortement structuré qui se fonde sur un système d'antithèses et de symétries. Les métaphores et les périphrases y jouent le même rôle que les volutes et les spirales dans l'organisation des volumes architecturaux, tout en assurant la présence constante de l'imagination et de la surprise . Des éléments de dramaturgie baroque, comme la prolifération parallèle d'intrigues complexes, le déplacement imprévisible de l'action dans l'espace ou dans le temps, la mise en abyme de la représentation théâtrale, l'utilisation de riches décors et costumes, se retrouvent dans le théâtre européen de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe. Ainsi Shakespeare, Lope de Vega ou Calderón, le jeune Corneille et Rotrou, illustreront de leur génie particulier les genres de la tragi-comédie, de la comédie, de la pastorale puis de la tragédie. Né avec la monodie accompagnée et l'invention de la basse continue (présence d'un instrument à clavier qui accompagne toute musique d'ensemble), opposant le stile moderno au stile antico de la Renaissance, le baroque musical inclut un goût de l'ornementation et de la virtuosité. Il révèle un monde irréel, extravagant, peuplé de contrastes marqués par le « forte » et le « piano » . Il mélange les techniques naissantes, fondées sur l'emploi d'un accompagnement continu et sur des « effets », et les techniques déjà existantes. Des genres nouveaux apparaissent, tels l'opéra, l'oratorio, la cantate, la sonate et le concerto. Ces différents genres peuvent revêtir un style caractéristique selon leur destination : l'église (chiesa), la chambre (camera) et le théâtre . La forme a tre (à trois) est aussi caractéristique de l'écriture musicale baroque. Elle se compose de deux parties mélodiques (vocales ou instrumentales) soutenues par une troisième partie, la basse continue. Comme la monodie (chant à une voix) accompagnée et l'opéra se développent surtout en Italie, on peut dire que le style baroque est né dans ce pays, avec des musiciens tels que Monteverdi, Frescobaldi, Corelli, Vivaldi, Scarlatti. Cette musique s'épanouit aussi en Allemagne avec Schütz, Händel et Bach, en Angleterre avec Purcell. En France, Lully, fondateur de la tragédie en musique et du récitatif français, illustre et domine le début du règne de Louis XIV. Ses successeurs seront Marc Antoine Charpentier, François Couperin et Rameau . Depuis les années 1970, le baroque est l'objet d'une ample redécouverte, due en partie à la recherche des interprétations d'origine. De nombreux musiciens s'illustrent dans ce répertoire : William Christie et son ensemble les Arts florissants, Nikolaus Harnoncourt, les frères Kuijken, Philippe Herreweghe, Jean Claude Malgoire, Scott Ross, Jordi Savall.