Les frères Limbourg, Les Très riches heures du duc de Berry, 1410-1416,
Musée Condé, Chantilly

 

I - QUE SONT AU JUSTE LES TRÈS RICHES HEURES ?

 

 

Les Très Riches Heures du Duc de Berry représente le livre des heures, tel qu'il a existé dans la plus pure tradition médiévale. Il s'agissait en fait d'une collection de textes pour chaque heure liturgique de la journée - d'où le nom de cette œuvre -, qui incluait également des textes et écrits supplémentaires. Calendriers, prières, psaumes et messes y étaient d'ailleurs fréquemment inclus.

Les Très Riches Heures est une pièce absolument unique et merveilleuse, archétype véritable de l'Art Gothique. C'est une des premières fois dans l'histoire artistique, que le calendrier sert de base à un ornement et à un raffinement aussi poussé dans les détails. Les miniatures sont remarquables dans leur disposition dans l'enluminure, ce qui laisse penser, d'après le style, que l'un des auteurs de ces enluminures avait visité l'Italie, tout en donnant une place importante aux peintures descriptives des paysages du Nord.

Les images choisies ici – et cette conférence – porteront sur la partie qui concerne le calendrier des Très Riches Heures. Les douze enluminures, correspondant aux douze mois de l’année, ont été peintes entre 1412 et 1416, et constituent indiscutablement un chef-d’œuvre de la culture française du Moyen-âge. En terme d'importance culturelle ou historique, on pourrait sans doute comparer les Très Riches Heures au chef-d'œuvre de Leonard Da Vinci, La Joconde, représentant ainsi un travail d'enluminure tout à fait exceptionnel.

 

 

II - QU'EST-CE QU'UN LIVRE D'HEURES ?

 

Le livre de prière utilisé par un laïc pour ses dévotions privées, contenait les prières et les méditations adaptées aux divers moments de la journée, mais aussi au jour de la semaine, au mois, et à la saison. Ces livres devinrent extrêmement populaires au XVe siècle, au point qu'ils devinrent les livres les plus enluminés dans toutes les catégories. A partir du XVe siècle, des versions imprimées par moules à bois, firent également leur apparition. Le plus célèbre de ces livres des Heures est sans doute celui des Très Riches Heures du Duc de Berry (Musée Condé, Chantilly)

III - QUI SONT LES AUTEURS DES TRÈS RICHES HEURES ?

 

Les Très Riches Heures du Duc de Berry ont été peintes par trois frères, les frères Limbourg, Paul (Pol), Hermann et Jean (Jannequin). Ils étaient tous trois originaires de la ville de Nijmegen, qui se trouve aujourd'hui dans les Flandres, mais étaient fort probablement des Allemands. On ne sait que peu de choses à propos de ces artistes exceptionnels. Ils seraient nés entre 1370 et 1380, dans une famille d'artistes. Le père aurait été un sculpteur sur bois et leur oncle, Jean Malouel, un artisan d'art au service de la Reine de France et du Duc de Bourgogne.
On retrouve la trace des trois frères Limbourg en 1390 chez un orfèvre à Paris. En 1402, Jean et Paul travaillent pour Philippe le Chauve, Duc de Bourgogne, et à la mort de ce dernier, Il semble que les trois frères aient suivi la trace de leur oncle, en entrant en qualité d'artistes, au service du nouveau Duc de Bourgogne.

 

En 1408, ils sont les protégés artistiques de Jean, Duc de Berry , qui est, à cette époque, le plus grand, généreux et riche mécène et protecteur des Arts en France. Les frères Limbourg ont également été les auteurs de nombreuses autres pièces artistiques, mais aujourd'hui disparues. Ils gardèrent une position tout à fait privilégiée à la cour de Jean de Berry, qui se déplaçait avec eux lors de la tournée de ses résidences à travers la France.
C'est en février 1416 que les trois frères Limbourg meurent, dans leur jeune trentaine, probablement victimes d'épidémies, puisque la peste faisait des ravages dans ces régions du monde. Les Limbourg ont illuminé deux manuscrits pour la célèbre bibliothèque de Jean de Berry :

 

Les Belles Heures (Met. Museum, New York, c. 1408)

 

et Les Très Riches Heures (Musée Condé, Chantilly), qui fut commencé aux alentours de 1413 et resta inachevé à leurs morts. Cette œuvre fut complétée et achevée par le français Jean Colombe (1440-1493?) à peu près soixante-dix ans plus tard.

 

 

IV - QUI EST JEAN DE BERRY, DUC DE BOURGOGNE ?

 

Jean de Berry était l'un des plus importants membres de la Noblesse en France au XVe siècle. Il était le fils du roi de France Jean II le Bon (1350-1364) et de Bonne de Luxembourg. Ses frères étaient le roi Charles V, le Duc d'Anjou et le Duc de Bourgogne, et ses neveux étaient le roi Charles VI et le Duc d'Orléans. De par sa position politique, il a été impliqué dans les affaires royales, et alors qu'il était proche des Nobles de l'Armagnac, ses possessions bourguignonnes ont été maintes fois objet d'attaques des foules de Bourgogne. Pensons ici à l'attaque de son château de Bicêtre, en 1411, brûlé dans son intégralité, et provoquant la destruction de nombreuses œuvres des frères Limbourg. En 1416, il mourut, le cœur brisé par la défaite de la noblesse et de la monarchie française à la bataille d'Azincourt contre « l’Anglois » l'année précédente.

Il était probablement le meilleur connaisseur des Arts visuels de la période médiévale, avec une particulière prédilection pour les bijoux, les châteaux, l'artisanat et les animaux exotiques. Parmi sa magnifique collection, citons par exemple ses châteaux de Saumur et de Bicêtre, ses rubis de 240 carats, son élevage d'autruches et de chameaux, mais bien sûr aussi, sa magnifique collection de livres. On trouvait dans sa bibliothèque aussi bien des mappemondes, des traité d'astronomie, que de nombreux livres religieux : 14 Bibles, 16 recueils de psaumes, 18 bréviaires , 6 missels et pas moins de 15 livres d'heures, y compris bien entendu celui de ses Très Riches Heures.

 


V - TECHNIQUES ARTISTIQUES DES TRÈS RICHES HEURES

 

Les frères Limbourg ont utilisé une impressionnante gamme de couleurs, obtenues à partir de minéraux, de plantes ou de dérivés chimiques, mélangés avec de la gomme arabique afin d'obtenir un liant pour la peinture. Parmi les couleurs inhabituelles pour l'époque, citons le vert de flambe, obtenu à partir de fleurs écrasées, et le bleu, appelé azur d'outremer, obtenu grâce à des pierres précieuses venues du Moyen-Orient, des lapis-lazuli, broyées et pilées pour donner ces bleus si éclatants (ce qui donne à réfléchir sur le prix de l'œuvre !)

Les détails particulièrement fins, ce qui semble être une des qualités des frères Limbourg, étaient obtenus à l'aide de brosses et de pinceaux vraiment fins, mais également grâce à un travail réalisé sous des loupes grossissantes. Les additions artistiques opérées à la fin du XIVe siècle par l'artiste Jean Colombe, ont été effectuées avec moins de finesse que la base même de l'œuvre. Ainsi, le calendrier reste tout de même pour l'essentiel, l'œuvre des frères Limbourg, à l'exception peut-être du mois de novembre, où l'on peut aisément reconnaître la patte de l'artiste Jean Colombe.

 

La surface est douce et lustrée, obtenue par du verre fondu préparé sur une surface, généralement de métal. Cette technique est également appliquée à tout objet qui est fait, ou décoré à partir de ces matériaux. L'histoire des émaux appartient d'ailleurs, à l'histoire de la bijouterie ou de l'orfèvrerie, ainsi qu'à la science des Arts décoratifs, mais rappelons-nous qu'au Moyen-Age, l'usage des émaux était plus répandu qu'aujourd'hui, notamment l'autel de Klosterneuburg par Nicolas de Verdun.
Aujourd'hui, les émaux sont surtout utilisés comme protection ou recouvrement, comme le sont la peinture ou la laque, sur des objets de bois, de métal, etc.



___________


JANVIER

 

 

C'est la période des capricornes (en haut à gauche) et des verseaux (sur la droite). C'était également le mois des présents et des cadeaux, coutume qui semble être tombée en désuétude au XVII ou XVIIIe siècle. Jean de Berry est présent en bas à droite, dans sa superbe robe bleue. Le Duc de Berry aime à être représenté ainsi. Il est coiffé d'un bonnet de fourrure et revêtu d'une houppelande (vêtement ample et sans manches) bleue au col montant et serré, entouré d'un collier avec un bijou. Il ne porte plus la barbe ni la moustache, comme il le fit de 1385 à 1405, et de 1406 à 1409. Cette scène de banquet réalisée entre 1410 et 1416 par les frères Limbourg est la seule de la série à situer le sujet qu'elle évoque à l'intérieur d'un château. C'est le grand jour des vœux et des étrennes, célébrés autour du Duc de Berry et d'un prélat en manteau pourpre, assis devant le feu d'une cheminée dissimulée derrière un grand écran d'osier blanc, probablement issu des bords de la Seine. Le duc invite ses gens et ses proches à se présenter à lui, comme l'indique en lettres d'or l'inscription qui se trouve derrière lui : "approche + approche". C'était une habitude des gens de cour de se cotiser pour offrir des cadeaux à leur suzerain et protecteur. Pour cette occasion, les frères Limbourg illustrèrent même un livre factice. A part le Duc de Berry, on reconnaît comme personnage clef de cette scène un échanson (à gauche, le personnage de face en bleu), le panetier (à droite, le personnage de dos en bleu clair), et l'écuyer-tranchant (à droite, le personnage de dos en vert).

Au dessus de la cheminée, un dais de soie rouge est orné en son centre des armes du duc de Berry : d'azur semé de fleurs de lis d'or et engrêlé de gueules , avec des petits ours et des cygnes blessés qui symbolisent sans doute l'amour du Duc pour une dame surnommée Ursine, à décomposer en urs (ours) et sine (cygne). Une tapisserie (ou peinture) revêt le mur du fond : elle représente un épisode mythique de la guerre de Troie.

 

Les trois frères de Limbourg se sont peut-être représentés dans cette miniature, comme dans d'autres des Belles Heures et des Petites Heures : Paul serait coiffé d'un bonnet rouge replié sur l'oreille. Il dissimulerait en partie le deuxième de ses frères, tandis que le troisième apparaîtrait au-dessus des deux autres.

 

On notera la présence des chiens familiers du Duc. A l'extrême droite de la miniature, deux petits chiens se promènent sur la table, à proximité d'une nef d'or dont l'ours et le cygne sont des emblèmes du Duc, et qui était un récipient en forme de bateau contenant les objets de table personnels du maître (couteau, cuiller, sel et épices). Plus bas, un serviteur donne à manger à un lévrier blanc. Les moralistes, comme le chevalier de la Tour Landri en 1372, recommandaient de ne pas gaspiller la viande pour nourrir les chiens.

 


FÉVRIER

 

 

Cette miniature, exécutée entre 1438 et 1442 par un peintre anonyme à la cour de Charles VII, est, au contraire de celle du mois de janvier, consacrée à la rudesse de la vie paysanne en hiver. Au premier plan, dans un enclos (le « plessis », destiné à tenir écartées les bêtes sauvages), nous voyons à gauche l'intérieur de la ferme avec une femme et deux jeunes gens qui se chauffent devant le feu. La maison est privée de son mur de façade pour que l'on puisse voir l'intérieur et en particulier les personnages qui s'y réchauffent. La femme soulève légèrement sa longue robe bleue pour mieux se chauffer, tandis que l'homme et la femme assis à côté, courts vêtus, ne portent manifestement pas de caleçons.

 

Au centre et à droite, une bergerie, quatre ruches, un pigeonnier, un arbre, des tonneaux, des fagots de bois et une charrette. A l'extérieur au second plan, une meule de foin et trois personnages : l'un qui souffle dans ses doigts s'apprête à regagner la maison, tandis que l'autre abat un arbre. Tout en haut, un troisième mène un âne vers le village et son église.

 

Le blanc de la neige met en valeur tous les détails de cette scène réaliste qui se fondent pour donner une image précise d'une dure journée d'hiver dans un espace qui s'étend au loin. Les empreintes sur la neige, la lourde marche du paysan, qui s'achemine vers le village, la buée qui sort de la bouche du troisième personnage, construisent une image neuve de l'hiver et annoncent l'art de Bruegel.

Il est intéressant de constater qu'il reste des traces de l'esquisse qu'il faut sans doute attribuer à Paul de Limbourg et qui ne correspondent pas à la scène finale de la miniature.

 

Les quatre ruches en paille. Le miel avait au Moyen Age une importance capitale dans l'alimentation. Ce n'est que peu à peu que le sucre de canne se substitua au miel à partir du XIIIe siècle. D'un prix élevé, il ne se vendit longtemps qu'en très petites quantités, et il était considéré comme un médicament.

 


MARS

 

 

Les premiers travaux paysans de l'année. On y voit les semailles, et le labour. Ce sujet, peut-être conçu par Paul de Limbourg, et réalisé par un peintre anonyme, vers 1440, fait en quelque sorte la synthèse du monde princier et noble et de la vie paysanne.

 

A l'arrière-plan se dresse le château de Lusignan en Poitou, une des résidences favorites du Duc de Berry jusqu'à sa mort en 1416 ; il devint alors la propriété de Jean de Touraine, puis, au décès de celui-ci en mai 1417, celle du dauphin Charles, le futur Charles VII. C'est un bel exemple de château féodal du XVe siècle, dont on distingue, de droite à gauche, la Tour Poitevine d'où s'échappe la fée Mélusine, la Tour de l'Horloge, la barbacane (ou fortification avancée) et la double enceinte. Le respect des proportions a amené certains critiques à penser que l'artiste s'est servi d'un appareil d'optique. Mais il faut surtout souligner que la précision des détails n'ôte au château rien de sa puissance et de sa position symbolique qui dominent l'enluminure.

 

Devant le château, on assiste aux premiers travaux des champs : le berger, aidé de son chien, garde un troupeau de moutons ; plus bas, des ouvriers taillent la vigne ; à droite, dans un autre enclos, une vigne déjà taillée et une maisonnette. En dessous, un paysan se penche sur un sac, sans doute pour en prendre le grain qu'il va semer. A l'intersection des différentes pièces de terre, un petit monument, un « montoir », sert de borne. Enfin, au premier plan, un paysan guide deux bœufs qui tirent une charrue.

La fée Mélusine. En 1393, Jean d'Arras dédie au Duc de Berry un roman de Mélusine, que récrit vers 1401 un autre auteur, Coudrette. Selon Jean d'Arras, "il est arrivé que des fées prennent l'apparence de très belles femmes et que plusieurs en aient épousé. Elles leur avaient fait jurer de respecter certaines conditions (...) Tant qu'ils observaient ces conditions, ils jouissaient d'une situation élevée et d'une grande prospérité. Et aussitôt qu'ils manquaient à leur serment, ils perdaient leurs épouses et la chance les abandonnait peu à peu". C'est ce qui arriva à Raymondin qui, violant le pacte, découvrit le secret de la fée Mélusine, qui se métamorphosait en serpente le samedi. La fée disparut alors, et il perdit le bonheur qu'elle lui avait apporté. Les romans tendent à faire de Jean de Berry l'héritier légitime de Mélusine, fondatrice du château.

 

Le paysan à la charrue est un laboureur d'un certain âge qui porte une cotte bleue et un surcot (tunique) blanc. Il tient de la main droite l'aiguillon pour diriger les bœufs, et de la gauche, le mancheron de la charrue, qui s'était améliorée par l'utilisation du fer qui renforça l'action de ses pointes d'attaque, le coutre (le fer tranchant de la charrue), le soc (la pièce de la charrue qui creuse le sillon), et le versoir (la partie de la charrue qui renverse la terre détachée par le soc). L'équipe formée par l'outil, les bœufs ou les chevaux et l'homme, constituait la cellule économique de base. Sans doute le paysan continue-t-il à utiliser les bœufs – et pas les chevaux - à cause de la lourdeur de la terre.

 

La vigne. Au Moyen Age, le vignoble français était plus étendu qu'aujourd'hui, et les vins de Poitou, d'Aunis, ou de Saintonge, qui étaient surtout blancs et qui étaient exportés par La Rochelle, étaient très réputés et appréciés des Anglais et des Flamands ; dans les années 1380, ce sont au moins dix mille tonneaux de vin de Poitou qu'on vendait annuellement à Damme, avant-port de Bruges. Mais ces vins subirent la concurrence de ceux de Bordeaux dès le XIIIe siècle et de ceux de Bourgogne à la fin du XIVe siècle.

 


AVRIL

 

 

L'arrivée du printemps, espoir d'une nouvelle vie. L'herbe est verte et un couple nouvellement formé et promis, s'échange une bague au premier plan du tableau, accompagné par les amis et la famille. Le château est une autre possession de Jean de Berry, c'est le château de Dourdan. Ce tableau, réalisé par les frères Limbourg entre 1410 et 1416, représente, dans un décor de renaissance printanière, une scène de fiançailles princières, probablement celles du Duc Charles d'Orléans et de Bonne d'Armagnac, petite-fille de Jean de Berry, célébrées le 18 avril 1410 à Gien. Le grand poète qu’était Charles d’Orléans a chanté Bonne d’Armagnac dans une ballade (n° 47) :

 

"Pour le plus heureux sous la nue
Me tiens quand m'amie m'appelle
Car en tous lieux où est connue
Chacun l'appelle la plus belle.
Dieu doint (Que Dieu me donne) que, malgré le rebelle
Danger, je la voie briefment
Et que de sa bouche me die
Ami, pensez que seulement
C'estes vous de qui suis
amie".

 

Les fiancés échangent leurs anneaux devant deux témoins, tandis que deux élégantes suivantes cueillent des fleurs. Plus petit, derrière le groupe, on reconnaît un fou de cour. Le printemps, qui exprime la beauté, la joie, et le bonheur, concourt à la réussite de la fête chevaleresque, qu'exalte la splendeur des couleurs et de la lumière : la clarté est la valeur esthétique essentielle de l'aristocratie médiévale.

 

Le château, auquel sont accolées les maisons du bourg, est difficile à identifier. On pense à l'ordinaire à celui de Dourdan qui appartenait au Duc de Berry depuis 1400, et dans ce cas, la rivière qui coule au pied du château serait l'Orge. Mais peut-être est-ce celui de Pierrefonds, propriété du Duc d'Orléans : nous aurions alors au-devant, l'Etang du roi, et sur la droite, le Parc, comportant un bâtiment et un verger entouré de murs.

L’historien Froissart, dans ses Chroniques, insiste sur la beauté des châteaux du Duc de Berry, et sur leur décor intérieur. Le château, s'il doit permettre d'exercer le pouvoir, l'exprime et le magnifie tout autant. De plus, s'opposant à la ville grouillante et à la campagne menaçante, il offre le cadre d'un monde clos et protégé d'où le peuple est exclu.

Dans la peinture du groupe princier, les frères Limbourg ont apporté une attention particulière à l'équilibre de la composition, au paysage qui fait son apparition, aux oppositions de couleurs, à la somptuosité des vêtements, révélatrice du pouvoir (la livrée du jeune prince est semée de couronnes princières). La manière de les porter classe les personnages et exprime leurs qualités morales autant que leur noblesse. L'expression des sentiments est bien rendue : le fiancé regarde amoureusement sa promise qui baisse les yeux. Dans cette scène courtoise, qui est un dialogue réglé entre les deux sexes, la femme ne devait pas être parée comme l'homme. Le costume féminin a conquis sa singularité dans les sociétés princières du XIVe siècle.

Une des deux suivantes porte une houppelande, qui apparaît autour de 1390 et se maintient jusque vers 1440. Elle n'est pas ouverte devant ni fendue latéralement comme celle des hommes. La ceinture de tissu, bouclée dans le dos, est placée juste sous les seins. Les manches sont soit "ouvertes", amples, soit "closes" resserrées aux poignets. La houppelande est taillée dans un drap de laine ou d'or, un satin ou un velours, qui sont fréquemment fourrés.

Quant à la coiffure, à partir de 1380-1390, les oreilles sont dégagées et la chevelure est réunie sous une coiffe. Pour mettre en valeur le front, les cheveux, séparés par une raie médiane, soit tirés en arrière ; cependant, on peut les porter épars sur les épaules. Le bourrelet d'étoffe, rembourré de coton ou d'étoupe (filasse), s'ajoute à la coiffe au début du XVe siècle ; il peut être brodé, orné de plumes ou de chatons (épis longs et flexibles).


MAI

 

 

Cette scène peinte par les frères de Limbourg représente la fête du premier mai qui était une fête de l'amour :

 

"Le dieu d'Amour est coutumier
A ce jour de fête tenir,
Pour amoureux cœurs fêter
Qui désirent de le servir ;
Pour ce fait les arbres couvrir
De Fleurs et les champs verts gai,
Pour fêter la plus belle embellir,
Ce premier jour de mai"

(Charles d'Orléans, ballade n° 48)

 

On se rendait en cortège dans une forêt voisine pour en couper des rameaux dont on décorait ensuite les maisons et les rues en vue de célébrer le renouveau. "A minuit, tous les citadins sortirent pour se rendre au bois. La ville avait la réputation d'être le temple de la gaîté. Le matin, quand le jour fut bien clair, tous chargés de feuilles, de glaïeuls, de rameaux verts et feuillus, ils apportèrent leur arbre de mai (...) Ils montèrent leur mai aux étages et l'exposèrent aux fenêtres, embellissant tous les balcons : sur les pavés, partout, ils jetèrent de l'herbe et des fleurs pour célébrer la solennité de ce jour et de cette haute assemblée" (Jean Renart, Guillaume de Dole).

Emmenées par des musiciens qui jouent de la trompe et de la flûte, les participants portent des couronnes et des colliers de feuillage. Les dames sont habillées de longues robes vertes, alors de rigueur ce jour-là. Le cavalier qui se retourne vers la première des cavalières serait le Comte de Clermont, Jean de Bourbon (en rouge, blanc et noir), et la dame serait sa troisième épouse, Marie de Berry, fille du Duc de Berry. Si leur mariage fut célébré le 24 juin 1400, Jean devint Duc de Bourbon en 1410. Ce qui renforce cette identification, ce sont les emblèmes des harnais des chevaux, des cercles d'or à sept petits ronds, et, d'autre part, le château, qui serait le Palais de la Cité à Paris, où fut célébré le mariage. Les Très Riches Heures sont donc une chronique des fastes princiers autour du Duc de Berry et de sa famille.

A l'arrière-plan, on distingue à gauche la tour carré du Châtelet, avec une échauguette (guérite d'observation), puis quatre tours qui existent encore : le sommet de la tour d'angle, les deux tours de la conciergerie, la tour de l'Horloge.

 

Le Châtelet, édifié dès 1130 pour défendre le Grand Pont et remanié par Charles V, était, dans la partie droite, le siège d'une administration royale, la prévôté de Paris, et, dans la partie gauche, une prison.

 

Les couleurs ne sont pas dénuées de valeurs symboliques, à en juger ce que nous apprend le poète Guillaume de Machaut dans le Remède de Fortune (vers 1201-1210) et la Louange des dames (ballade n° 212) : le rouge signifie l'ardeur amoureuse, le blanc la joie et le noir la douleur ; le vert est lié à la naissance de l'amour, tandis que le bleu azur (pers (intermédiaire entre le bleu et le vert) ou fin azur) désigne la loyauté. Le jaune, couleur de la fausseté, est banni. Donner des fêtes n'est pas seulement un divertissement frivole, mais un devoir des princes. Triomphe du paraître et de la mode, elles imposent la recherche de l'élégance et de la perfection des manières.

 

Le couple princier. Jean de Bourbon a revêtu un somptueux habit noir, mi-parti rouge et blanc. Marie de Berry porte une robe verte dont la doublure est bleu azur avec des fleurs d'or. L'azur semé de fleurs d'or est une expression de la grandeur et de la solennité. Sa coiffe blanche est ornée de feuilles vertes.

 


JUIN

 

 

 

Datant des années 1440, cette miniature qui semble être l'œuvre d'un peintre de l'entourage de Charles VII, s'oppose à la précédente comme le labeur des paysans aux fêtes princières. Mais, comme dans la précédente, on retrouve à l'arrière-plan de l'autre côté de l'eau, derrière un rempart, plus distinctement, le Palais royal de la Cité, dont nous ne voyions auparavant que les toits. Nous distinguons de gauche à droite, la salle sur l'eau, les trois tours Bonbec, d'Argent, et de César, la tour de l'Horloge, les deux hauts pignons de la Grande Salle derrière la galerie Saint-Louis, le logis du roi et la tour Montmorency ; enfin, la Sainte Chapelle.

Le Palais de la Cité, qui fut jusqu'en 1417, la demeure royale à Paris, devint alors le lieu de l'administration royale, judiciaire et financière.

Au premier plan, nous assistons à une scène de fenaison (action de couper les foins), telle qu'on a pu en voir dans nos campagnes jusqu'à une période très récente. Seul le costume des paysans avait changé. Elle se situe au bord de la Seine, dans une prairie où l'on trouve maintenant l'aile droite du Palais de l'Institut, et plus précisément de la Bibliothèque Mazarine. C'était l'emplacement de l'hôtel de Nesle, une des résidences préférées du Duc de Berry. Une femme râtelle le foin qu'une autre met en tas avec une fourche. A droite, trois faucheurs coupent l'herbe dont ils font des andains (rangées d'herbe coupées par le faucheur) parallèles.

 

La Pointe du Palais, devant le rempart, donne directement sur la Seine.

 

 

Au centre du tableau, la faneuse à la fourche, qui travaille pieds nus, a beaucoup de grâce et d'élégance. Le miniaturiste a rendu aux paysans leur dignité, alors que pendant longtemps, on les avait méprisés et ignorés, ne les distinguant guère des animaux sauvages, que l'on redoutait autant qu'eux.

 

La Sainte-Chapelle commencée par Saint-Louis en janvier 1246 pour accueillir les reliques de la Passion du Christ, et consacrée le dimanche 25 avril 1246, est double. La chapelle inférieure, dédiée à Notre-Dame, était destinée aux gens du roi et aux habitants de la cour du Palais. La chapelle supérieure, consacrée à la Sainte Couronne d'épines et à la Vraie Croix destinée au roi à son entourage, fut une innovation architecturale par les dimensions de ses fenêtres (15m40 de haut par 4,5m de large).

 


JUILLET

 

 

 

Cette enluminure, qui semble être l'œuvre vers 1440 de l'artiste qui a peint le mois de juin, complète la précédente par la présentation d'autres travaux agricoles.

Dans un champ délimité de chaque côté par des cours d'eau et par des arbres, deux moissonneurs coupent le blé à la faucille ; ils sont présentés en deux attitudes différentes. Le blé coupé n'a pas encore été mis en gerbes. Dans le champ, on reconnaît des bleuets et des coquelicots.

Au premier plan, dans le triangle de droite, une femme en robe bleue, vue de dos, et un homme agenouillé tondent des moutons avec force.

Si le paysage montagneux est conventionnel, le château triangulaire aux toits d'ardoise bleue est celui de Poitiers, baigné par le Clain. Construit par le Duc de Berry à la fin du XIVe siècle, il restera en sa possession jusqu'à sa mort en 1416, et devient ensuite la possession du duc de Touraine, puis, le 17 mai 1417, de Charles de France, le futur Charles VII, qui en fit une de ses capitales. Dans ce château qui n'existe plus, on pénétrait par une longue passerelle, que protégeait une tour rectangulaire, et par un pont-levis. Un petit pont permettait d'accéder à la tour avancée. A droite du château, un ensemble de bâtiments, dont une chapelle, est protégé par un bras de rivière.

 

Le moissonneur, qui utilise une baguette sans doute pour redresser le blé, s'apprête à se servir de sa faucille. Il rappelle l'un des trois faucheurs du mois de juin : un chapeau à larges bords le protège du soleil ; il porte une chemise blanche sous laquelle on aperçoit un caleçon ; il travaille pieds nus au contraire de l'autre moissonneur.

 

Paysage de rivière avec deux cygnes, ses osiers et ses roseaux. Le miniaturiste ne saisit plus seulement le détail des phénomènes dans l'infinie diversité des apparences : « Par le jeu de l'atmosphère dont le peintre enfin sait donner l'illusion, le paysage montre la vérité de l'unité visible » (Georges Duby). Les enlumineurs, attentifs à la singularité de chaque objet, parviennent à réunir la variété des apparences dans un univers dont le principe lumineux assure la cohérence.

 

Le paysan d'une main, maintient un mouton sur son genou, et, de l'autre, tient une « force » ; il regarde travailler sa compagne et sans doute lui donne-t-il des conseils. Les moutons des Très Riches Heures du Duc de Berry n'appartiennent plus à la tradition littéraire de la pastourelle (genre lyrique ou dramatique au Moyen Age, où l'on représentait un chevalier, une bergère et des bergers) et de la bergerie ; ils prennent place dans la réalité quotidienne que le talent de l'artiste rend poétique.

 


AOÛT

 

 

La scène du mois d'août, peinte par les frères Limbourg, a été réalisée entre 1410 et 1416 et représente plusieurs tableaux.

 

Le premier plan illustre la passion de l'époque par la Noblesse pour la chasse au vol, à l'aide de rapaces et de faucons apprivoisés, qui chassaient les grands oiseaux de nos contrées, comme la grue, le cygne et le gibier d'eau, comme le canard et les poules d'eau. Ces faucons fascinaient en raison de la difficulté du dressage. Par sa hardiesse et sa beauté, le faucon offrait un symbole épuré, pour la Noblesse, de bonne éducation, de vaillance, et de relations pacifiques et de concorde. On offrait un faucon en gage d'amour ou d'amitié, ou comme prix d'un tournoi ou d'un pari. La chasse au vol, preuve de puissance et de richesse, favorisait la sociabilité et les joies raffinées ; elle manifestait l'élégance et la courtoisie des seigneurs ; elle faisait partie de la convivialité aristocratique.

 

C'est un départ de chasse. Devant le cortège, un fauconnier à pied se tourne vers le premier cavalier sans doute pour lui demander ce qu'il doit faire. Une femme en robe noire, à volant blanc et à manches rouges, et un cavalier qui lance son faucon, chevauchent un palefroi (cheval de parade) gris. Sur un cheval blanc, un cavalier, seul, s'apprête à lâcher son faucon. Sur un troisième cheval, qui est brun, un couple converse : l'homme tient lui aussi un faucon sur le poing. Autour du cortège, courent les chiens dont la fonction est de lever ou rapporter le gibier, une fois que le faucon l'aura abattu. Au second plan, des gens manifestement nus se baignent dans la rivière de la Juine.

De l'autre côté de l'eau, des paysans travaillent dans un champ : à droite, deux d'entre eux mettent la moisson en gerbes que d'autres, à gauche, chargent sur une charrette tirée par deux chevaux. Les motifs réalistes, autrefois secondaires, constituent maintenant le cadre de la vie princière.

A l'arrière plan, se dresse le château d'Etampes, que le duc de Berry avait acquis en 1400, en même temps que le comté. On distingue, derrière les remparts, les tours, la chapelle et les bâtiments couverts de tuiles, et, au milieu, le donjon quadrangulaire, la tour Guinette.

Le cavalier seul est sans doute le Duc de Berry. Dans les textes comme dans les illustrations, on voit souvent un chevalier tenir en dextre (la main droite) son cheval et porter sur le poing gauche un faucon ou un épervier. Le cheval n'était pas seulement une monture ; c'était un emblème de la Noblesse, un signe identificateur tant social que moral et matériel au même titre que le blason, un instrument de prestige. Le blanc, signe d'excellence, était la couleur des chevaux de Saint-Georges et de Saint-Michel, patrons de la chevalerie. Le blanc était aussi un indice de souveraineté, voire de merveilleux et de surnaturel. Pour Sicile, dans son Blason des couleurs, c'est un symbole de beauté, et de joie, d'équité raisonnable et d'honnêteté.

Le fauconnier tient sur son poing gauche, attachés par une laisse, deux faucons encore munis, semble-t-il, du chaperon (capuchon dont on couvre la tête des faucons à la chasse), et, de la main droite, un long bâton dont il battra arbres et buissons pour faire s'envoler le gibier. Il porte à la ceinture un leurre, " encharné ", qui imitait la forme d'un oiseau avec deux ailes et qu'on garnissait de viande pour habituer le faucon à y revenir. Etre fauconnier ou veneur (celui qui est chargé de diriger les chiens courants) au service d'un prince n'avait rien d'humiliant : Gaston Fébus payait mieux ses veneurs que ses écrivains. Henri de Ferrières, dans les Livres du Roi Modus et de la Reine Ratio, demande au fauconnier d'aimer ses oiseaux, d'être aimable avec eux et d'en prendre un soin attentif.

Une femme nue (comme c'était la coutume à l'époque pour les baignades), se prépare à entrer dans l'eau ; deux autres personnes nagent, dont l'une sur le dos. Enfin, un quatrième sort de l'eau.


SEPTEMBRE

Cette miniature a sans doute été peinte en deux temps : d'abord, pour la partie supérieure (ciel et château), au milieu du XVe siècle, entre 1438 et 1442, au temps de René d'Anjou et Yolande d'Aragon ; puis, pour la partie inférieure, (vendanges), par Jean Colombe, à partir d'une esquisse de son prédécesseur. En général, on commençait par les fonds, puis on peignait les personnages, et enfin les visages.

 

Au premier plan, ce sont les vendanges. Une femme en tablier blanc et rouge semble enceinte, des jeunes gens cueillent les grappes ; deux autres se reposent, et l'un d'eux goûte au raisin ; un autre, un panier à la main, se dirige vers un mulet porteur de deux hottes. Le raisin est chargé soit dans les hottes des mulets, soit dans des cuves sur une charrette que tirent deux bœufs.

 

Au second plan, le château de Saumur, avec ses cheminées et ses girouettes aux fleurs de lys dorées. Construit par Louis II d'Anjou, il fut donné à sa femme Yolande d'Aragon, mère du roi René et belle-mère de Charles VII sur qui elle eu un ascendant considérable. La présence de ce château s'expliquerait par le rôle important de Yolande durant la première partie du règne de Charles VII et par le plaisir que celui-ci éprouvait à y résider. Sur la gauche, derrière le mur d'enceinte, un clocher, les cheminées des cuisines et l'entrée à pont-levis : un cheval en sort, une femme s'apprête à y pénétrer, un panier sur la tête.

 

Au devant du château, entre les vignes et la douve, nous voyons l'emplacement d'une lice (palissade autour d'un château fort et champ clos pour les tournois), fermée par une clôture de bois, où se déroulaient en particulier les tournois.

L'architecture du château entraîne le regard dans les volutes d'une rêverie poétique. Les tours, masquant l'appareil de protection sous le vêtement fleuri des fêtes, prédisposent aux aventures fabuleuses des forêts, de la table Ronde et s'ornent de parures de la nature qui signifient la présence de Dieu dans la création. " La tour flamboyante est une silhouette de rêve avec ses constellations de dais (sortes de baldaquin), pinacles (parties les plus élevées d'un édifice), pignons (parties supérieures et triangulaires d'un mur qui supportent la charpente du toit) et flèches (sommets de clochers), avec ses crochets qui vibrent en contre-jour " (François Cali).

 

Au milieu de la scène des vendanges, un petit personnage, baissé, montre ses fesses. Cette touche, volontairement grotesque, contraste avec la fine élégance du château. Les paysans de Jean Colombe n'ont pas la dignité qu'ils manifestent dans les autres miniatures.

 


OCTOBRE

Cette miniature est à rapprocher de celle du mois de juin. Toutes les deux, du même artiste, se situent sur la rive gauche de la Seine, à proximité de l'hôtel de Nesle. Mais, si dans celle de juin, on regardait vers l'Est, vers le Palais de la Cité, on se tourne maintenant vers le Louvre, reconstruit par Charles V. On discerne, au centre, le donjon qu'on appelait la tour du Louvre et qui renfermait le trésor royal ; puis de droite à gauche, la Tour de la Taillerie, la façade orientale avec deux tours jumelées, la tour de la Grande Chapelle, et la façade méridionale munie elle aussi de deux tours jumelées. Au-devant, court une enceinte avec des tours, des bretèches et une poterne.

Sur le bord de la Seine, des personnages conversent ou se promènent ; ils portent un vêtement sombre, unicolore, court et cintré, qui est propre au milieu du XVe siècle. L'un d'eux s'apprête à partir dans une barque, tandis que l'autre amarre la sienne.

 

Au premier plan, à gauche, un paysan, monté sur un cheval, herse un champ ; sa herse (instrument aratoire muni de dents, qui sert à briser les mottes d'un champ labouré) est alourdie par une grosse pierre pour permettre aux dents de pénétrer plus profondément dans la terre. A droite, un autre homme sème à la volée. Des pies et des corneilles picorent les semences à proximité d'un sac blanc rempli de grains et d'une gibecière. Un épouvantail et des fils tendus les éloignent de la partie arrière.

 

 

 

L'épouvantail représente un archer. Ceux-ci, à l'exemple des Anglais, jouaient un rôle plus important dans les batailles. Par l'ordonnance du 28 avril 1448 furent même créées des compagnies de francs archers que les communes devaient équiper, et qui se rendirent très vite impopulaires par leurs exactions et leur lâcheté au point qu'ils furent supprimés en 1480. Ainsi naquit le type comique du « franc archer » vantard et couard (Monologue du franc archer de Bagnolet, écrit entre 1468 et 1480).


Les pies et les corneilles n'appartiennent pas à l'espace amoureux du monde courtois comme les rossignols, les merles, les alouettes…, mais à la réalité campagnarde. D'autre part, ils passaient pour des créatures du Diable, révoltées contre Dieu et de mauvais augure.

 

L'enceinte est renforcée par des tours et des bretèches, ouvrages avancés qui pouvaient prendre plusieurs formes : chemise crénelée en maçonnerie, construction en bois ou terrasse.

 


NOVEMBRE

 

 

 

Cette image, à l'exception du tympan, est l'œuvre de Jean Colombe qui vécut à la fin du XVe siècle à la cour de Savoie. Aussi, peut-on penser qu'il s'agit d'un paysan savoyard stylisé : un château et un village s'accrochent aux rochers ; une rivière serpente entre les montagnes bleuies.

 

La miniature représente une scène familière de la vie campagnarde : la glandée (récolte des glands). Un troupeau de porcs paît dans un bois de chênes, sans doute un bois communal. Un des gardiens, au premier plan, est en train de faire tomber de son bâton les glands dont les porcs vont se nourrir. Un gros chien surveille les bêtes.

L'enfant prodigue de la parabole de Saint Luc, que la débauche a précipité dans la misère, est réduit à garder les porcs avant de se décider à retourner chez son père. La scène a été très souvent représentée tant au théâtre, comme dans la pièce de Courtois d'Arras (XIIIe siècle), que dans les vitraux des cathédrales d'Auxerre, Bourges, Chartres, Poitiers, Sens et Troyes et dans des tapisseries.

Les tympans des miniatures des douze mois ont été peints par les frères de Limbourg. Le premier demi-cercle contient un homme assis sur un char tiré par deux chevaux et portant un soleil rayonnant. Le second demi-cercle comporte les signes du zodiaque de novembre : le scorpion et le sagittaire.

Les porcs ont trouvé une place dans les Très Riches Heures, malgré leur symbolique négative (ordure et obscénité d'un être vautré dans la fange et incapable de s'élever). Mais ils appartenaient à la vie quotidienne et constituaient une part importante de l'alimentation. Le porc a durant des siècles, servi de base de nourriture à toute l'Europe chrétienne. Chaque région avait ses modes de cuisson, de préparation, et de conservation. Ici on salait le porc, et on le conservait en grande partie dans des saloirs ; là, on faisait cuire les morceaux dans de la graisse : c'était le confit, tel qu'on le prépare encore dans le sud-ouest de la France. Les jambons crus et salés étaient tantôt fumés dans les cheminées, tantôt séchés à l'air, pendus aux poutres du plafond, puis conservés sous la cendre.

Le paysan de Jean Colombe est frustre et brutal, à la différence de ceux de la période antérieure. Mais l'or éclaire sa tunique rose.


DÉCEMBRE

 

 

 

Cette miniature qui rappelle un dessin de Giovannino dei Grassi (Bibliothèque de Bergame) est sans doute l'œuvre de l'artiste inconnu des années 1438-1442.

 

Derrière la forêt épaisse dont les arbres ont conservé leurs feuilles et qui était un des séjours favoris des rois de France (Saint Louis s'y rendait la justice sous un chêne) se dressent les tours carrées et le donjon du Bois-de-Vincennes, achevés par le roi Charles V. Celui-ci y entreposa une partie de son trésor. Il avait compris que le prestige de la couronne se mesurait à la splendeur des bâtiments où s'exerçait la fonction royale. Au XIVe siècle, il y eut une rivalité entre les constructeurs de châteaux. La hauteur des murs et la forme du donjon traduisaient la puissance du seigneur, au même titre que les trésors qui y étaient entreposés.



Ce château où Charles V aimait à résider et qui clôt la série des douze mois, symbolise la force physique et morale, comme dans la miniature de Jean Fouquet qui, vers 1455, a donné le même cadre à la scène de Job sur son fumier dans les Heures d'Etienne Chevalier.

 

L'artiste a représenté le terme d'une chasse à courre : l'hallali (ici l’agonie - cri de chasse annonçant que le cerf est aux abois) par terre du sanglier que finit de sonner de son cor un veneur. Comme la quête du sanglier était moins subtile que celle du cerf, on s'attardait surtout sur la mise à mort. C'est une chasse d'hiver. On se servait de l'épieu ou de l'épée pour tuer l'animal.

 

Par rapport à la fauconnerie, la vénerie (art de chasser avec des chiens courants) offrait un plaisir plus sportif, plus violent et plus dangereux. C'était pour l'aristocratie une manifestation de sa force guerrière. Les chiens s'acharnent sur le sanglier, bête alors redoutée et appréciée pour sa viande.


Le donjon est ressenti comme le cœur du château : y conduire un hôte, c'était lui témoigner confiance et amitié autant que démontrer sa propre puissance. C'est là qu'on enferma les armes des Parisiens quand on les leur confisqua. Si le donjon perd alors de son efficacité militaire, il conserve sa valeur symbolique.

Le veneur devait soigner les chiens, entretenir les chenis, tresser des filets, relever les traces et débusquer le cerf, crier et sonner. Sans son Livre de la chasse, Gaston Phébus s'attarde sur l'éducation du veneur. Un maître, dès l'âge de sept ans, doit lui apprendre à aimer et à soigner les chiens par tous les moyens, y compris le châtiment corporel. L'enfant deviendra successivement valet de chien, puis vers vingt ans, aide ; enfin, il sera veneur, portant cor, couteau, et souvent « estortoire », pour écarter les branches. C'est l'homme-clef de la chasse à courre, et son existence est dévouée à son métier.

Gaston Phébus, dans le Livre de la chasse (1387-1391), distingue cinq races de chiens de chasse : l'alant, le lévrier, le courant, le chien d'oiseau et le mâtin. Hormis le lévrier, ce sont des chiens lourds et lents. On choisissait les chiens les plus forts et les plus sauvages pour chasser l'ours, le loup et le sanglier. Le prince place en tête le lévrier pour ses qualités esthétiques et sa sociabilité, et ensuite les chiens courants qui sont la base des meutes.

Retour Conférences