Les frères Limbourg, Les Très
riches heures du duc de Berry, 1410-1416,
I - QUE SONT AU JUSTE LES TRÈS RICHES HEURES ?
II - QU'EST-CE QU'UN LIVRE D'HEURES ?
Le livre de prière utilisé par un laïc pour ses dévotions privées, contenait les prières et les méditations adaptées aux divers moments de la journée, mais aussi au jour de la semaine, au mois, et à la saison. Ces livres devinrent extrêmement populaires au XVe siècle, au point qu'ils devinrent les livres les plus enluminés dans toutes les catégories. A partir du XVe siècle, des versions imprimées par moules à bois, firent également leur apparition. Le plus célèbre de ces livres des Heures est sans doute celui des Très Riches Heures du Duc de Berry (Musée Condé, Chantilly) III - QUI SONT LES AUTEURS DES TRÈS RICHES HEURES ?
Les Très Riches Heures du Duc de Berry ont été
peintes par trois frères, les frères Limbourg, Paul (Pol),
Hermann et Jean (Jannequin). Ils étaient tous trois originaires
de la ville de Nijmegen, qui se trouve aujourd'hui dans les Flandres,
mais étaient fort probablement des Allemands. On ne sait que peu
de choses à propos de ces artistes exceptionnels. Ils seraient
nés entre 1370 et 1380, dans une famille d'artistes. Le père
aurait été un sculpteur sur bois et leur oncle, Jean Malouel,
un artisan d'art au service de la Reine de France et du Duc de Bourgogne.
En 1408, ils sont les protégés artistiques
de Jean, Duc de Berry , qui est, à cette époque, le plus
grand, généreux et riche mécène et protecteur
des Arts en France. Les frères Limbourg ont également été
les auteurs de nombreuses autres pièces artistiques, mais aujourd'hui
disparues. Ils gardèrent une position tout à fait privilégiée
à la cour de Jean de Berry, qui se déplaçait avec
eux lors de la tournée de ses résidences à travers
la France.
IV - QUI EST JEAN DE BERRY, DUC DE BOURGOGNE ?
Les frères Limbourg ont utilisé une impressionnante
gamme de couleurs, obtenues à partir de minéraux, de plantes
ou de dérivés chimiques, mélangés avec de
la gomme arabique afin d'obtenir un liant pour la peinture. Parmi les
couleurs inhabituelles pour l'époque, citons le vert de flambe,
obtenu à partir de fleurs écrasées, et le bleu, appelé
azur d'outremer, obtenu grâce à des pierres précieuses
venues du Moyen-Orient, des lapis-lazuli, broyées et pilées
pour donner ces bleus si éclatants (ce qui donne à réfléchir
sur le prix de l'œuvre !)
C'est la période des capricornes (en haut à
gauche) et des verseaux (sur la droite). C'était également
le mois des présents et des cadeaux, coutume qui semble être
tombée en désuétude au XVII ou XVIIIe siècle.
Jean de Berry est présent en bas à droite, dans sa superbe
robe bleue. Le Duc de Berry aime à être représenté
ainsi. Il est coiffé d'un bonnet de fourrure et revêtu d'une
houppelande (vêtement ample et sans manches) bleue au col montant
et serré, entouré d'un collier avec un bijou. Il ne porte
plus la barbe ni la moustache, comme il le fit de 1385 à 1405,
et de 1406 à 1409. Cette scène de banquet réalisée
entre 1410 et 1416 par les frères Limbourg est la seule de la série
à situer le sujet qu'elle évoque à l'intérieur
d'un château. C'est le grand jour des vœux et des étrennes,
célébrés autour du Duc de Berry et d'un prélat
en manteau pourpre, assis devant le feu d'une cheminée dissimulée
derrière un grand écran d'osier blanc, probablement issu
des bords de la Seine. Le duc invite ses gens et ses proches à
se présenter à lui, comme l'indique en lettres d'or l'inscription
qui se trouve derrière lui : "approche + approche". C'était
une habitude des gens de cour de se cotiser pour offrir des cadeaux à
leur suzerain et protecteur. Pour cette occasion, les frères Limbourg
illustrèrent même un livre factice. A part le Duc de Berry,
on reconnaît comme personnage clef de cette scène un échanson
(à gauche, le personnage de face en bleu), le panetier (à
droite, le personnage de dos en bleu clair), et l'écuyer-tranchant
(à droite, le personnage de dos en vert).
Cette miniature, exécutée entre 1438 et
1442 par un peintre anonyme à la cour de Charles VII, est, au contraire
de celle du mois de janvier, consacrée à la rudesse de la
vie paysanne en hiver. Au premier plan, dans un enclos (le « plessis
», destiné à tenir écartées les bêtes
sauvages), nous voyons à gauche l'intérieur de la ferme
avec une femme et deux jeunes gens qui se chauffent devant le feu. La
maison est privée de son mur de façade pour que l'on puisse
voir l'intérieur et en particulier les personnages qui s'y réchauffent.
La femme soulève légèrement sa longue robe bleue
pour mieux se chauffer, tandis que l'homme et la femme assis à
côté, courts vêtus, ne portent manifestement pas de
caleçons.
Le blanc de la neige met en valeur tous les détails de cette scène réaliste qui se fondent pour donner une image précise d'une dure journée d'hiver dans un espace qui s'étend au loin. Les empreintes sur la neige, la lourde marche du paysan, qui s'achemine vers le village, la buée qui sort de la bouche du troisième personnage, construisent une image neuve de l'hiver et annoncent l'art de Bruegel. Il est intéressant de constater qu'il reste des traces de l'esquisse qu'il faut sans doute attribuer à Paul de Limbourg et qui ne correspondent pas à la scène finale de la miniature.
Les premiers travaux paysans de l'année. On y voit les semailles, et le labour. Ce sujet, peut-être conçu par Paul de Limbourg, et réalisé par un peintre anonyme, vers 1440, fait en quelque sorte la synthèse du monde princier et noble et de la vie paysanne.
Devant le château, on assiste aux premiers travaux des champs : le berger, aidé de son chien, garde un troupeau de moutons ; plus bas, des ouvriers taillent la vigne ; à droite, dans un autre enclos, une vigne déjà taillée et une maisonnette. En dessous, un paysan se penche sur un sac, sans doute pour en prendre le grain qu'il va semer. A l'intersection des différentes pièces de terre, un petit monument, un « montoir », sert de borne. Enfin, au premier plan, un paysan guide deux bœufs qui tirent une charrue. La fée Mélusine. En 1393, Jean d'Arras dédie au Duc de Berry un roman de Mélusine, que récrit vers 1401 un autre auteur, Coudrette. Selon Jean d'Arras, "il est arrivé que des fées prennent l'apparence de très belles femmes et que plusieurs en aient épousé. Elles leur avaient fait jurer de respecter certaines conditions (...) Tant qu'ils observaient ces conditions, ils jouissaient d'une situation élevée et d'une grande prospérité. Et aussitôt qu'ils manquaient à leur serment, ils perdaient leurs épouses et la chance les abandonnait peu à peu". C'est ce qui arriva à Raymondin qui, violant le pacte, découvrit le secret de la fée Mélusine, qui se métamorphosait en serpente le samedi. La fée disparut alors, et il perdit le bonheur qu'elle lui avait apporté. Les romans tendent à faire de Jean de Berry l'héritier légitime de Mélusine, fondatrice du château.
L'arrivée du printemps, espoir d'une nouvelle vie. L'herbe est verte et un couple nouvellement formé et promis, s'échange une bague au premier plan du tableau, accompagné par les amis et la famille. Le château est une autre possession de Jean de Berry, c'est le château de Dourdan. Ce tableau, réalisé par les frères Limbourg entre 1410 et 1416, représente, dans un décor de renaissance printanière, une scène de fiançailles princières, probablement celles du Duc Charles d'Orléans et de Bonne d'Armagnac, petite-fille de Jean de Berry, célébrées le 18 avril 1410 à Gien. Le grand poète qu’était Charles d’Orléans a chanté Bonne d’Armagnac dans une ballade (n° 47) :
"Pour le plus heureux sous la nue
Le château, auquel sont accolées les maisons du bourg, est difficile à identifier. On pense à l'ordinaire à celui de Dourdan qui appartenait au Duc de Berry depuis 1400, et dans ce cas, la rivière qui coule au pied du château serait l'Orge. Mais peut-être est-ce celui de Pierrefonds, propriété du Duc d'Orléans : nous aurions alors au-devant, l'Etang du roi, et sur la droite, le Parc, comportant un bâtiment et un verger entouré de murs. L’historien Froissart, dans ses Chroniques, insiste sur la beauté des châteaux du Duc de Berry, et sur leur décor intérieur. Le château, s'il doit permettre d'exercer le pouvoir, l'exprime et le magnifie tout autant. De plus, s'opposant à la ville grouillante et à la campagne menaçante, il offre le cadre d'un monde clos et protégé d'où le peuple est exclu. Dans la peinture du groupe princier, les frères Limbourg ont apporté une attention particulière à l'équilibre de la composition, au paysage qui fait son apparition, aux oppositions de couleurs, à la somptuosité des vêtements, révélatrice du pouvoir (la livrée du jeune prince est semée de couronnes princières). La manière de les porter classe les personnages et exprime leurs qualités morales autant que leur noblesse. L'expression des sentiments est bien rendue : le fiancé regarde amoureusement sa promise qui baisse les yeux. Dans cette scène courtoise, qui est un dialogue réglé entre les deux sexes, la femme ne devait pas être parée comme l'homme. Le costume féminin a conquis sa singularité dans les sociétés princières du XIVe siècle. Une des deux suivantes porte une houppelande, qui apparaît autour de 1390 et se maintient jusque vers 1440. Elle n'est pas ouverte devant ni fendue latéralement comme celle des hommes. La ceinture de tissu, bouclée dans le dos, est placée juste sous les seins. Les manches sont soit "ouvertes", amples, soit "closes" resserrées aux poignets. La houppelande est taillée dans un drap de laine ou d'or, un satin ou un velours, qui sont fréquemment fourrés. Quant à la coiffure, à partir de 1380-1390, les oreilles sont dégagées et la chevelure est réunie sous une coiffe. Pour mettre en valeur le front, les cheveux, séparés par une raie médiane, soit tirés en arrière ; cependant, on peut les porter épars sur les épaules. Le bourrelet d'étoffe, rembourré de coton ou d'étoupe (filasse), s'ajoute à la coiffe au début du XVe siècle ; il peut être brodé, orné de plumes ou de chatons (épis longs et flexibles).
Cette scène peinte par les frères de Limbourg représente la fête du premier mai qui était une fête de l'amour :
"Le dieu d'Amour est coutumier (Charles d'Orléans, ballade n° 48)
On se rendait en cortège dans une forêt voisine pour en couper des rameaux dont on décorait ensuite les maisons et les rues en vue de célébrer le renouveau. "A minuit, tous les citadins sortirent pour se rendre au bois. La ville avait la réputation d'être le temple de la gaîté. Le matin, quand le jour fut bien clair, tous chargés de feuilles, de glaïeuls, de rameaux verts et feuillus, ils apportèrent leur arbre de mai (...) Ils montèrent leur mai aux étages et l'exposèrent aux fenêtres, embellissant tous les balcons : sur les pavés, partout, ils jetèrent de l'herbe et des fleurs pour célébrer la solennité de ce jour et de cette haute assemblée" (Jean Renart, Guillaume de Dole). Emmenées par des musiciens qui jouent de la trompe et de la flûte, les participants portent des couronnes et des colliers de feuillage. Les dames sont habillées de longues robes vertes, alors de rigueur ce jour-là. Le cavalier qui se retourne vers la première des cavalières serait le Comte de Clermont, Jean de Bourbon (en rouge, blanc et noir), et la dame serait sa troisième épouse, Marie de Berry, fille du Duc de Berry. Si leur mariage fut célébré le 24 juin 1400, Jean devint Duc de Bourbon en 1410. Ce qui renforce cette identification, ce sont les emblèmes des harnais des chevaux, des cercles d'or à sept petits ronds, et, d'autre part, le château, qui serait le Palais de la Cité à Paris, où fut célébré le mariage. Les Très Riches Heures sont donc une chronique des fastes princiers autour du Duc de Berry et de sa famille. A l'arrière-plan, on distingue à gauche la tour carré du Châtelet, avec une échauguette (guérite d'observation), puis quatre tours qui existent encore : le sommet de la tour d'angle, les deux tours de la conciergerie, la tour de l'Horloge.
Datant des années 1440, cette miniature qui semble
être l'œuvre d'un peintre de l'entourage de Charles VII, s'oppose
à la précédente comme le labeur des paysans aux fêtes
princières. Mais, comme dans la précédente, on retrouve
à l'arrière-plan de l'autre côté de l'eau,
derrière un rempart, plus distinctement, le Palais royal de la
Cité, dont nous ne voyions auparavant que les toits. Nous distinguons
de gauche à droite, la salle sur l'eau, les trois tours Bonbec,
d'Argent, et de César, la tour de l'Horloge, les deux hauts pignons
de la Grande Salle derrière la galerie Saint-Louis, le logis du
roi et la tour Montmorency ; enfin, la Sainte Chapelle. Au premier plan, nous assistons à une scène de fenaison (action de couper les foins), telle qu'on a pu en voir dans nos campagnes jusqu'à une période très récente. Seul le costume des paysans avait changé. Elle se situe au bord de la Seine, dans une prairie où l'on trouve maintenant l'aile droite du Palais de l'Institut, et plus précisément de la Bibliothèque Mazarine. C'était l'emplacement de l'hôtel de Nesle, une des résidences préférées du Duc de Berry. Une femme râtelle le foin qu'une autre met en tas avec une fourche. A droite, trois faucheurs coupent l'herbe dont ils font des andains (rangées d'herbe coupées par le faucheur) parallèles.
Cette enluminure, qui semble être l'œuvre vers 1440 de l'artiste qui a peint le mois de juin, complète la précédente par la présentation d'autres travaux agricoles. Dans un champ délimité de chaque côté par des cours d'eau et par des arbres, deux moissonneurs coupent le blé à la faucille ; ils sont présentés en deux attitudes différentes. Le blé coupé n'a pas encore été mis en gerbes. Dans le champ, on reconnaît des bleuets et des coquelicots. Au premier plan, dans le triangle de droite, une femme
en robe bleue, vue de dos, et un homme agenouillé tondent des moutons
avec force.
La scène du mois d'août, peinte par les frères Limbourg, a été réalisée entre 1410 et 1416 et représente plusieurs tableaux.
C'est un départ de chasse. Devant le cortège, un fauconnier à pied se tourne vers le premier cavalier sans doute pour lui demander ce qu'il doit faire. Une femme en robe noire, à volant blanc et à manches rouges, et un cavalier qui lance son faucon, chevauchent un palefroi (cheval de parade) gris. Sur un cheval blanc, un cavalier, seul, s'apprête à lâcher son faucon. Sur un troisième cheval, qui est brun, un couple converse : l'homme tient lui aussi un faucon sur le poing. Autour du cortège, courent les chiens dont la fonction est de lever ou rapporter le gibier, une fois que le faucon l'aura abattu. Au second plan, des gens manifestement nus se baignent dans la rivière de la Juine. De l'autre côté de l'eau, des paysans travaillent
dans un champ : à droite, deux d'entre eux mettent la moisson en
gerbes que d'autres, à gauche, chargent sur une charrette tirée
par deux chevaux. Les motifs réalistes, autrefois secondaires,
constituent maintenant le cadre de la vie princière. Le cavalier seul est sans doute le Duc de Berry. Dans les textes comme dans les illustrations, on voit souvent un chevalier tenir en dextre (la main droite) son cheval et porter sur le poing gauche un faucon ou un épervier. Le cheval n'était pas seulement une monture ; c'était un emblème de la Noblesse, un signe identificateur tant social que moral et matériel au même titre que le blason, un instrument de prestige. Le blanc, signe d'excellence, était la couleur des chevaux de Saint-Georges et de Saint-Michel, patrons de la chevalerie. Le blanc était aussi un indice de souveraineté, voire de merveilleux et de surnaturel. Pour Sicile, dans son Blason des couleurs, c'est un symbole de beauté, et de joie, d'équité raisonnable et d'honnêteté. Le fauconnier tient sur son poing gauche, attachés par une laisse, deux faucons encore munis, semble-t-il, du chaperon (capuchon dont on couvre la tête des faucons à la chasse), et, de la main droite, un long bâton dont il battra arbres et buissons pour faire s'envoler le gibier. Il porte à la ceinture un leurre, " encharné ", qui imitait la forme d'un oiseau avec deux ailes et qu'on garnissait de viande pour habituer le faucon à y revenir. Etre fauconnier ou veneur (celui qui est chargé de diriger les chiens courants) au service d'un prince n'avait rien d'humiliant : Gaston Fébus payait mieux ses veneurs que ses écrivains. Henri de Ferrières, dans les Livres du Roi Modus et de la Reine Ratio, demande au fauconnier d'aimer ses oiseaux, d'être aimable avec eux et d'en prendre un soin attentif. Une femme nue (comme c'était la coutume à l'époque pour les baignades), se prépare à entrer dans l'eau ; deux autres personnes nagent, dont l'une sur le dos. Enfin, un quatrième sort de l'eau.
Cette miniature a sans doute été peinte
en deux temps : d'abord, pour la partie supérieure (ciel et château),
au milieu du XVe siècle, entre 1438 et 1442, au temps de René
d'Anjou et Yolande d'Aragon ; puis, pour la partie inférieure,
(vendanges), par Jean Colombe, à partir d'une esquisse de son prédécesseur.
En général, on commençait par les fonds, puis on
peignait les personnages, et enfin les visages.
Au devant du château, entre les vignes et la douve, nous voyons l'emplacement d'une lice (palissade autour d'un château fort et champ clos pour les tournois), fermée par une clôture de bois, où se déroulaient en particulier les tournois. L'architecture du château entraîne le regard dans les volutes d'une rêverie poétique. Les tours, masquant l'appareil de protection sous le vêtement fleuri des fêtes, prédisposent aux aventures fabuleuses des forêts, de la table Ronde et s'ornent de parures de la nature qui signifient la présence de Dieu dans la création. " La tour flamboyante est une silhouette de rêve avec ses constellations de dais (sortes de baldaquin), pinacles (parties les plus élevées d'un édifice), pignons (parties supérieures et triangulaires d'un mur qui supportent la charpente du toit) et flèches (sommets de clochers), avec ses crochets qui vibrent en contre-jour " (François Cali).
Cette miniature est à rapprocher de celle du mois de juin. Toutes les deux, du même artiste, se situent sur la rive gauche de la Seine, à proximité de l'hôtel de Nesle. Mais, si dans celle de juin, on regardait vers l'Est, vers le Palais de la Cité, on se tourne maintenant vers le Louvre, reconstruit par Charles V. On discerne, au centre, le donjon qu'on appelait la tour du Louvre et qui renfermait le trésor royal ; puis de droite à gauche, la Tour de la Taillerie, la façade orientale avec deux tours jumelées, la tour de la Grande Chapelle, et la façade méridionale munie elle aussi de deux tours jumelées. Au-devant, court une enceinte avec des tours, des bretèches et une poterne. Sur le bord de la Seine, des personnages conversent ou se promènent ; ils portent un vêtement sombre, unicolore, court et cintré, qui est propre au milieu du XVe siècle. L'un d'eux s'apprête à partir dans une barque, tandis que l'autre amarre la sienne.
La miniature représente une scène familière de la vie campagnarde : la glandée (récolte des glands). Un troupeau de porcs paît dans un bois de chênes, sans doute un bois communal. Un des gardiens, au premier plan, est en train de faire tomber de son bâton les glands dont les porcs vont se nourrir. Un gros chien surveille les bêtes. L'enfant prodigue de la parabole de Saint Luc, que la débauche a précipité dans la misère, est réduit à garder les porcs avant de se décider à retourner chez son père. La scène a été très souvent représentée tant au théâtre, comme dans la pièce de Courtois d'Arras (XIIIe siècle), que dans les vitraux des cathédrales d'Auxerre, Bourges, Chartres, Poitiers, Sens et Troyes et dans des tapisseries. Les tympans des miniatures des douze mois ont été peints par les frères de Limbourg. Le premier demi-cercle contient un homme assis sur un char tiré par deux chevaux et portant un soleil rayonnant. Le second demi-cercle comporte les signes du zodiaque de novembre : le scorpion et le sagittaire. Les porcs ont trouvé une place dans les Très Riches Heures, malgré leur symbolique négative (ordure et obscénité d'un être vautré dans la fange et incapable de s'élever). Mais ils appartenaient à la vie quotidienne et constituaient une part importante de l'alimentation. Le porc a durant des siècles, servi de base de nourriture à toute l'Europe chrétienne. Chaque région avait ses modes de cuisson, de préparation, et de conservation. Ici on salait le porc, et on le conservait en grande partie dans des saloirs ; là, on faisait cuire les morceaux dans de la graisse : c'était le confit, tel qu'on le prépare encore dans le sud-ouest de la France. Les jambons crus et salés étaient tantôt fumés dans les cheminées, tantôt séchés à l'air, pendus aux poutres du plafond, puis conservés sous la cendre. Le paysan de Jean Colombe est frustre et brutal, à la différence de ceux de la période antérieure. Mais l'or éclaire sa tunique rose.
Cette miniature qui rappelle un dessin de Giovannino dei Grassi (Bibliothèque de Bergame) est sans doute l'œuvre de l'artiste inconnu des années 1438-1442.
Le veneur devait soigner les chiens, entretenir les chenis, tresser des filets, relever les traces et débusquer le cerf, crier et sonner. Sans son Livre de la chasse, Gaston Phébus s'attarde sur l'éducation du veneur. Un maître, dès l'âge de sept ans, doit lui apprendre à aimer et à soigner les chiens par tous les moyens, y compris le châtiment corporel. L'enfant deviendra successivement valet de chien, puis vers vingt ans, aide ; enfin, il sera veneur, portant cor, couteau, et souvent « estortoire », pour écarter les branches. C'est l'homme-clef de la chasse à courre, et son existence est dévouée à son métier. Gaston Phébus, dans le Livre de la chasse (1387-1391), distingue cinq races de chiens de chasse : l'alant, le lévrier, le courant, le chien d'oiseau et le mâtin. Hormis le lévrier, ce sont des chiens lourds et lents. On choisissait les chiens les plus forts et les plus sauvages pour chasser l'ours, le loup et le sanglier. Le prince place en tête le lévrier pour ses qualités esthétiques et sa sociabilité, et ensuite les chiens courants qui sont la base des meutes. |
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