SANDRO BOTTICELLI, LA NAISSANCE DE VENUS, VERS 1485,
PEINTURE SUR TOILE 172,5 X 278,5 CM,
GALERIE DES OFFICES, FLORENCE.

 


Abordant le rivage sur un coquillage, une Vénus grandeur nature ramène le nu féminin dans les arts plastiques, dont il avait été banni pendant mille ans. Durant tout ce temps, Vénus symbolisa uniquement la luxure et il fallut attendre la Renaissance pour redécouvrir la beauté du corps humain.

 


Le célèbre tableau (172,5 x 278,5 cm) est l'un des plus grands trésors de la Galerie des Offices à Florence.

 

Pendant mille ans, on n'avait rien vu de tel en Europe : un nu féminin presque grandeur nature, la représentation d'une femme qui dévoile gracieusement son corps parfait. Aphrodite, déesse grecque de la beauté et de l'amour, que les Romains appelaient Vénus, fête son retour dans la Florence de la Renaissance. Sortie du creux d'une vague et portée par le souffle du vent, elle s'approche du rivage sur un coquillage.

 

Cette scène païenne a été peinte en 1486 par le Florentin Sandro Botticelli , un homme pieux dont l'atelier satisfaisait essentiellement aux nombreuses demandes de ses concitoyens : douces madones, enfants-Jésus, images de saints. Les œuvres à sujet religieux constituaient alors la quasi-totalité de la production artistique. Selon des estimations, les thèmes profanes n'en représentaient pour leur part que 13 % ; la plupart du temps, il s'agissait de portraits.

 

C'est à l'apogée de sa gloire que le peintre de madones osa entreprendre une série de quatre « mythologies » grand format - des tableaux ayant pour thème des légendes antiques et païennes.

 

L'une d'entre elles est la « Naissance de Vénus »

 

Les autres sont :

 

Le Printemps,

 

Pallas et le Centaure et

 

la Calomnie d’Apelle

 

Le premier nu masculin de la Renaissance, un jeune David en bronze, avait déjà été modelé d'après nature vers 1430 par le sculpteur florentin Donatello.

 

Deux mots sur celui-ci, si vous le voulez bien, avant de poursuivre…

 

Le David de Donatello est une sculpture en bronze réalisée entre 1430 et 1432, remarquable par le fait qu'elle est la première sculpture moulée dans un moulage en bronze. Initialement au Palais Médicis en 1453, puis transférée en 1495 au cortile du Palazzo Vecchio, elle est conservée et exposée maintenant au palais du Bargello de Florence.

Cette œuvre a été commandée par Cosme de Médicis, protecteur de la république de Florence entre 1434 et 1464, elle est confisquée après l'expulsion de cette famille princière en 1495. Elle a été présentée au gouvernement républicain de Florence, comme une allégorie politique prorépublicaine, présentant le renversement violent de la tyrannie des Médicis.

 

C'est une statue de grandeur nature de 1,58 m, figurée en ronde-bosse, qui a produit un choc la première fois qu'elle a été vue, par sa représentation d'un jeune homme nu.

 

Rappelons qu’une ronde-bosse qualifie un élément sculpté dont on peut faire le tour (ex. la Vénus de Milo),

 

à la différence du bas-relief (dont la particularité est de ne présenter qu'un faible relief, le sujet représenté ne se détachant que faiblement du fond.

 

Il y reste engagé à mi-corps. Un effet de profondeur peut être créé par une perspective simulée, des tailles décroissantes de personnages ou éléments de décors. On parle de « demie ronde-bosse » si une partie du relief se détache du fond. Ex. la vache sacrée à Mamallapuram en Inde dont les pattes arrières sont traitées en bas-relief et la patte avant en demie ronde-bosse)

 

ou du haut-relief (type de sculpture, proche du bas-relief mais où les personnages sont presque entièrement sculptés (environ les trois quarts du volume réel), et ne sont reliés au fond que par un membre, le flanc ou le dos. Ex. Ramsès II à Abou Simbel).

 

De la sculpture du David de Donatello Giorgio Vasari écrivit : « Elle est si naturelle et d'une telle beauté qu'il semble incroyable aux artistes qu'elle n'ait pas été moulée sur un modèle vivant ».

 

Sur un socle en couronne de lauriers, elle dépeint le jeune roi David, avec un énigmatique sourire,

 

dont le pied est posé sur l'imposante tête de Goliath, juste après l'avoir tué.

 

Le jeune homme est là, debout, nu, avec seulement un chapeau et des bottes,

 

tenant l'épée de Goliath,

 

les plumes du casque de Goliath montant le long d'une de ses jambes.

 

La pose maniérée, l'attitude précieuse et recherchée, les exagérations anatomiques, le regard plongé dans l'ombre du casque, mais plus encore la trop grande élégance de cette figure ajoute une riche psychologie à l'épisode biblique. La complexité intellectuelle de ce jeune guerrier, combattant nu, mais coiffé paradoxalement d'un casque élégant, a toujours fasciné les spectateurs de ce chef-d'œuvre de la sculpture de la Renaissance italienne. La vulnérabilité du personnage accroît la sensualité de cette figure allégorique maniérée d'une certaine préciosité florentine qui séduira tous les sculpteurs français de la seconde moitié du XIXe siècle.

 

 

Si la sensualité de cette figure est indéniable, l'esthétique en vogue à l'époque s’attachait davantage à la « nudité héroïque », seul concept à rendre compte de la pureté, de la bonne moralité et de la vertu du héros. C'est cette nudité héroïque qui, à l'époque révolutionnaire, vint contrebalancer le caractère androgyne de cette sculpture.

 

Que cinquante années se soient écoulées entre le David de Donatello et la « Naissance de Vénus » montre que les tabous instaurés par un christianisme hostile au corps pesaient davantage sur la représentation du sexe féminin.

 

Pendant longtemps, seules des Eve pécheresses à la pomme et au serpent osaient se présenter dévêtues dans les œuvres d'art, pour être bientôt punies et chassées du Paradis, courbées de honte (Masaccio).

 

Contrairement à ces Eve gothiques, la Vénus de Botticelli repose visiblement sur des études anatomiques et s'inspire de modèles antiques.

 

De la statuaire grecque classique, l'artiste de la Renaissance a repris l'appui sur une seule jambe, le séduisant déhanchement de la déesse et son geste de pudeur.

 

Elle correspond au « canon » que des artistes comme Polyclète et Praxitèle avaient élaboré dans leurs recherches d'harmonie et d'un idéal esthétique.

 

Ce canon veut par exemple que l'écart entre les deux mamelons soit identique à celui qui sépare les mamelons du nombril et le nombril de l'entre-jambes. D'innombrables nus furent exécutés suivant cette règle, depuis les statues de la Grèce antique jusqu'aux figures des sarcophages romains tardifs. Puis, elle tomba dans le discrédit et l'oubli. Redécouverte seulement à la Renaissance, elle continue d'influencer notre goût.

 

La déesse de la beauté peinte par Botticelli est l'une des vedettes des Galeries des Offices de Florence et ne peut être que difficilement protégée de l'affluence de ses admirateurs. Ceci est encore plus vrai depuis la restauration du tableau, achevée au printemps 1987. La toile mesurant 172,5 sur 278,5 cm a été débarrassée d'un vernis appliqué tardivement, qui l'assombrissait d'une patine jaune-brun.

 

Désormais, le ciel, la mer et les divinités rayonnent de nouveau dans leurs couleurs d'origine, les couleurs claires et froides de la détrempe a tempera .

 

Une pluie de roses accompagne la déesse de l'amour.

 

C'est ainsi que le poète grec Anacréon (environ 550 à 465 av. J.C.) nous conte qu'un buisson de roses aurait jailli de terre lorsqu'elle posa pour la première fois le pied sur le rivage.

 

Des roses rouge pâle enlacent la taille de la jeune fille qui attend Vénus sur la grève. Il pourrait s'agir d'une des trois Grâces qui, dans l'Antiquité, faisaient partie de la suite de la déesse, ou encore d'une des trois Heures, personnification des saisons. Les anémones à ses pieds et sa robe parsemée de bleuets annoncent l'Heure du printemps - la saison durant laquelle Vénus faisait revenir la beauté et l'amour après les rigueurs de l'hiver.

 

On pourrait aussi appeler la « Naissance de Vénus », « Le Printemps », comme l'autre grande mythologie de Botticelli exposée aux Offices. Dans ce tableau, nous retrouvons en effet les mêmes personnages : Vénus - vêtue cette fois-ci - tient sa cour dans un jardin, entourée de divinités éoliennes, de jeunes filles en fleurs et de Grâces presque nues.

 

En 1550, les deux œuvres se trouvaient au Castello, une villa dans les environs de Florence,

 

appartenant au duc Cosme 1er de Médicis.

 

C'est à cette époque que son architecte, Giorgio Vasari, peintre et auteur de biographies d'artistes, les évoque pour la première fois.

 

Il décrit l'une des œuvres de la façon suivante : « La naissance de Vénus et les airs et les vents qui la poussent vers la terre accompagnée d'amours » et l'autre ainsi « Vénus parée de fleurs par les Grâces annonçant le printemps ».

 

 

 

Les historiens d'art ont longtemps cru que Botticelli avait peint ses deux tableaux pour le propriétaire de la villa. Celui-ci s'appelait en 1486 Laurent de Pierfrancesco de Médicis,

 

surnommé aussi « le Cadet » pour le distinguer de son cousin, Laurent le Magnifique , qui régnait en vrai souverain sur la République de Florence.

Pourtant, un inventaire découvert récemment révèle que si le tableau « Le Printemps » se trouvait bien en possession de Laurent le Cadet en 1498, la « Naissance de Vénus », en revanche, ne l'était pas. On ignore donc pour qui il a été peint.

 

On a bien sûr tenté d'établir un lien entre le tableau et les plus célèbres des Médicis, Laurent le Magnifique et son frère Giuliano (Julien en français.

 

Leurs fêtes splendides chantées par les poètes ont toujours enflammé l'imagination.

 

C'est ainsi qu'on a vu dans la « Naissance de Vénus » un hommage à Simonetta Vespucci, l'épouse d'un marchand florentin.

 

Proclamée « Reine de beauté », elle fut le personnage principal d'un tournoi organisé en 1475 par Giuliano de Médicis.

 

Les exégètes en conclurent à une liaison amoureuse entre Giuliano et Simonetta, supposant que la déesse de Botticelli pouvait avoir les traits de Simonetta puisque celle-ci était née à Porto Venere (Port-de-Vénus) sur la côte Ligure.

 

Tous deux moururent peu de temps après la fête, Giuliano sous les coups de dague de ses ennemis politiques, Simonetta de tuberculose, ce qui ajoute une note tragique supplémentaire à l'interprétation populaire... qui ne s'appuie malheureusement sur aucune preuve tangible.

 

Autre question en suspens : comment la famille des Médicis entra-t-elle en possession de ce tableau ? On suppose qu'il était destiné à une villa des environs de Florence.

 

Aux peintures sur bois à sujets religieux, on préférait dans ces villas de campagne les fresques ou les toiles aux thèmes riants. Ces œuvres convenaient aux résidences fraîches et ombreuses où les banquiers se retiraient pour se reposer de leurs affaires et du bruit, et fuir les épidémies. Botticelli a sans doute peint son tableau pour l'un de ces citoyens possédant à la fois le sens des affaires, le sens politique et l'amour des arts, et qui, peut-être, étaient en mesure de savourer le poète grec Anacréon dans le texte.

Les Grecs et les Romains vénéraient Aphrodite-Vénus. Le triomphe du christianisme causa sa perte et au Moyen Âge, on la considérait comme l'incarnation de la luxure et du péché.

Un récit du sculpteur florentin Lorenzo Ghiberti (1378-1455) nous apprend combien on se défiait encore de Vénus au XIVe siècle : un jour, on découvrit à Sienne une statue antique « d'une très grande perfection ». Les habitants la « dressèrent avec beaucoup de respect sur la fontaine de la ville ». Mais lorsque le fléau de la guerre s'abattit sur Sienne, on fut moins bien disposé à son égard.

Un orateur lança cet avertissement : « Le culte des idoles étant interdit par notre foi, on ne saurait douter d'où viennent nos malheurs » (Lorenzo Ghiberti : Commentarii III, pp. 86, 89, 138, 139). Le 7 novembre 1357, le conseil municipal décida de « briser la statue et d'en enterrer les fragments dans les faubourgs de Florence » afin qu'elle porte désormais malheur aux ennemis de Sienne. Au cours de sa vie, le même Ghiberti eut l'occasion de voir une autre Vénus, découverte à Florence « lorsqu'on creusa sous la maison de la famille Brunelleschi ». Le climat culturel ayant changé à Florence, elle échappa au sort de la Vénus siennoise. Lassés des traditions moyenâgeuses, les Florentins cherchèrent de nouveaux modèles et les trouvèrent dans l'Antiquité. Le mouvement qu'on appelle la Renaissance avait pris son essor.

 

Nous ignorons d'où Sandro Botticelli, qui appartenait déjà à la deuxième génération d'artistes de la Renaissance, a puisé son inspiration pour la « Naissance de Vénus ».

 

Il connaissait sans nul doute la collection de gemmes antiques des Médicis, ornées de néréides et de divinités marines (dans la mythologie grecque, les néréides sont des nymphes marines, filles de Nérée et de Doris. Au nombre de cinquante, elles forment le cortège de Poséidon ; elles sont représentées comme de belles jeunes filles à la chevelure entrelacée de perles ; elles sont portées sur des dauphins, des taureaux ou des chevaux marins. Certaines Néréides sont célèbres, telles Amphitrite, épouse de Poséidon, ou Thétis, mère d'Achille).

 

C'est aussi à son époque que parurent dans sa ville natale les premières éditions imprimées des textes traduits par les humanistes florentins, par exemple les Hymnes homériques en 1488 (Ces Hymnes qui n’ont d’ « homériques » que le nom, en référence à l’hexamètres (vers de six pieds) utilisé par Homère. Cette collection de trente-quatre courts poèmes épiques composés entre le VIIe et le IVe siècle avant notre ère) :

 

« C'est Aphrodite, la belle, la vertueuse, que je veux chanter…
Le souffle du vent d'ouest l'a portée
De l'écume jaillissante et par-dessus la mer profonde
Jusqu'à Chypre, son île, aux rivages frangés de vagues.
Et les Heures couronnées d'or,
L'ont accueillie avec joie.»

(Hymnes homériques cités chez Edith Hamilton in La Mythologie – Ses dieux, ses héros, ses légendes, p. 28, Verviers, 1962).

 


Dans sa « Théogonie » écrite au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, le poète Hésiode parle lui aussi d'Aphrodite Anadyomène (emprunté, par l'intermédiaire du latin, du grec anaduomenê, participe présent de anaduesthai, « sortir des flots ». Qui sort de l'eau) : lors du combat des dieux, Chronos renversa et émascula son père Ouranos, le ciel étoilé.

Lorsque la semence de ce dernier se répandit dans les flots, la déesse de l'amour naquit de l'écume de la mer fécondée par le ciel : « tout autour, une blanche écume [le sperme] sortait du membre divin. De cette écume une fille se forma » Hésiode, Théogonie, Traduction Paul Mazon, Les Belles-Lettres, 1928). (Rappelons que son nom Aphrodite signifie en propre « née de l’écume », aphros en grec).

 

Cette naissance avait le caractère d'un mystère et se rattachait à des symboles que l'on retrouve dans le tableau de Botticelli.

 

C'est ainsi que le manteau de pourpre présenté à la déesse sur le rivage n'a pas seulement une fonction esthétique, mais aussi une signification rituelle.

 

Figurant déjà sur les vases grecs de l'Antiquité, il marque la frontière entre deux domaines : le nouveau-né comme le mort était toujours enveloppé dans un linge.

Au Moyen Âge, on attribua les symboles traditionnels de la Vénus antique, les roses par exemple, au personnage qui, désormais, dominait tout et en était le pôle opposé, la Vierge Marie.

 

Il en va de même pour le coquillage : en relation avec la déesse païenne, il signifie, à l'instar de l'eau, la fécondité et - en raison de sa ressemblance avec le sexe de la femme - le plaisir des sens et la sexualité.

 

Mais lorsqu'il forme une voûte au-dessus de la Vierge du Retable de Saint-Barnabé, il symbolise la virginité : on croyait alors que les coquillages étaient fécondés par la rosée.

 

L'ambivalence de ces symboles indique qu'il existait des points communs entre les figures mythiques féminines de l'Antiquité et celles du Moyen Âge. Quant à Botticelli, il n'éprouva visiblement aucun scrupule à se servir du même modèle pour les deux représentations.

 

 

Homère mentionne déjà le dieu du vent joufflu en relation avec Vénus. Il se nommait Zéphyr, soufflait de l'ouest et apportait le printemps dans le pays. Au sujet de sa compagne Chloris, qui enlace de ses membres d'albâtre le corps brun de Zéphyr, le poète romain Ovide rapporte qu'après l'avoir violée, le vent la prit pour épouse et fit d'elle la déesse des fleurs, appelée Flore.

 

D'où Botticelli, artisan et fils de tanneur, tirait-il ses connaissances mythologiques ? Le jeune garçon est maladif et occupe ses journées à lire, dit-on à propos de son enfance (cf. Ronald Lightbown, Sandro Botticelli, Éditions Citadelles, 1990, p. 58). Après une formation d'orfèvre et de peintre, on peut se demander s'il était en mesure de lire aussi bien Homère qu'Ovide, comme maint riche marchand de la ville des bords de l'Arno. On peut en douter lorsqu'on apprend ce que contenait la bibliothèque des frères Maiano. Selon un inventaire, ces deux artistes de la même ville, de la même génération et de la même classe sociale que Botticelli possédaient en 1498 tout juste 29 livres, dont la moitié était de nature religieuse. Leurs ouvrages sur l'Antiquité se limitaient à une vie d'Alexandre et une édition de Tite-Live. Il est probable que Botticelli n'en possédait pas davantage.


« Lorsque nous avons à peindre un tableau historique », conseillait l'architecte et historien d'art Leon Battista Alberti (1404-1472) (Leon Battista Alberti, Traité « Della Pittura », cité in Uffizi, Studi e Ricerche 4 : La Nascita di Venere e l’Annunziazione del Botticelli ristaurate, Firenze, mars 1987 p. 28), «... nous prenons conseil auprès de nos amis. » Par son voisin Giorgio Antonio Vespucci, Botticelli était en relation avec l'élite intellectuelle de sa ville, des hommes érudits qui s'efforçaient de redécouvrir l'Antiquité avec le soutien des Médicis.

 

Botticelli a également travaillé avec le poète et humaniste Ange Politien (1454-1494).

 

Il orna une bannière de tournoi pour Giuliano de Médicis avec des allégories composées par l'érudit. Dans ses Stances pour le tournoi, le Politien décrit une Naissance de Vénus, correspondant à la représentation de Botticelli. Il est possible qu'il ait conseillé Botticelli pour son « programme » des « Mythologies ».

 

Le philosophe Marsile Ficin (1433-1499) fut certainement aussi de bon conseil. Son œuvre tentait de réconcilier la philosophie antique avec le christianisme - les humanistes se rendaient eux aussi chaque jour à la messe. Il voulait fondre les conceptions païennes et la théologie moyenâgeuse en une doctrine unique. Par opposition à une Vénus inférieure, terrestre, la « Vénus céleste » y jouait un rôle extrêmement positif : dans le système de Marsile Ficin, elle symbolisait l'humanité, la compassion, l'amour, et sa beauté ouvrait au mortel les portes du Ciel.

 

Même si Ange Politien et Marsile Ficin n'étaient pas les conseillers directs du peintre, ils réhabilitaient, dans leur société, les divinités anciennes, ce qui permit à un peintre pieux de Florence de représenter une Vénus nue sans courir le danger qu'elle soit « brisée et enterrée ».

 

Parce que l'œil prend du plaisir à « voir un certain mouvement dans les vêtements », l’écrivain, philosophe, peintre, architecte, théoricien de la peinture et humaniste, Leon Battista Alberti conseillait aux peintres de mettre dans leurs tableaux

 

un Zéphyr soufflant à travers les nuages afin que les « habits pris par le vent flottent gracieusement dans l'air » (Aby Warburg, La Naissance de Vénus & Le Printemps de Sandro Botticelli : Etude des représentations de l'Antiquité dans la première Renaissance italienne, Allia, 2007, 72 p. Première Édition : Leipzig, 1893).

 

Botticelli a appliqué ce conseil à la lettre. Dans sa « Naissance de Vénus », tout est doté de vie et de mouvement, les vagues de la mer, les branches des orangers à l'arrière-plan, les roses qui tombent doucement à terre, les robes des personnages.

 

En particulier leur chevelure qui, comme l'exigeait Alberti, « doit former des tourbillons comme si elle voulait se nouer ou onduler dans l'air, telle des flammes ou des serpents qui s'entrelacent. » (Aby Warburg, op. cit.).

 

Sur les statues et les reliefs découverts dans les fouilles romaines, les artistes de la Renaissance furent frappés par la représentation du mouvement comme expression de la vie et de la nature. C'est elle que les artistes voulaient reproduire. En 1434, Alberti formula dans son traité « De la Peinture » son esthétique « moderne » formée au contact de l'Antiquité. Bien que ce traité ne fût imprimé qu'au siècle suivant, il fut connu beaucoup plus tôt à Florence et a dû être la Bible artistique de Botticelli. Le « Manuel de Peinture » publié dès 1400 par Cennino Cennini fut certainement utilisé dans son atelier. Il indiquait comment broyer des pierres de lapis-lazuli (pierre fine d'un bleu opaque) pour le bleu des bleuets sur la robe de l'Heure ou comment appliquer de fines feuilles d'or sur le manteau de pourpre de Vénus.

 

Mais Botticelli se révéla également un novateur sur le plan technique : pour sa « Naissance de Vénus », il ne choisit pas le support habituel en bois de peuplier. L'œuvre n'est pas peinte sur un panneau en bois, comme le « Printemps », mais constitue le premier exemple connu en Toscane d'une toile grand format. Si Botticelli n'a pas choisi le support habituel en bois de peuplier mais une toile, c’est parce que cette surface était moins coûteuse que les panneaux en bois utilisés pour les peintures d'église et de cour.

 

Et si Botticelli se servait, comme on l’a dit, de la technique de détrempe couramment employée à cette époque (Cennini conseille de prendre plutôt des œufs de poules élevées en ville, les œufs de la campagne ayant une couleur trop prononcée), il dissolvait cependant les pigments dans un minimum de corps gras, méthode qui donna les meilleurs résultats : la toile est aujourd'hui restée ferme et élastique, la peinture est à peine craquelée. Lorsque les restaurateurs ôtèrent la couche de vernis à l'huile appliquée plus tard, ils découvrirent une couche tout à fait inhabituelle de blanc d'œuf. Alliée à la détrempe « maigre », elle conférait au tableau un aspect proche de la fresque, tel qu'il convenait à une maison de campagne. C'est sans doute parce que cette toile se trouvait dans une villa des environs de Florence que Vénus fut sauvée car, bientôt, tous les efforts des humanistes pour réhabiliter la déesse Vénus furent réduits à néant.

 

Après avoir chassé les Médicis de Florence, le moine Savonarole instaura en effet entre 1494 et 1498 une théocratie très sévère.

 

Dans la nuit du Mardi gras 1497, il fit brûler sur un « bûcher des vanités », à côté des fards, des bijoux et des cheveux postiches, toutes les « images lascives ». Il paraît que Sandro Botticelli se serait lui aussi trouvé au nombre des partisans du moine fanatique et qu’il jeta lui-même des toiles au feu. Quoiqu'il en soit, il y avait bien longtemps qu'il ne peignait plus de mythologies païennes ni de femmes nues.


Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, vers 1485 :

On découvre dans la salle que lui consacre le Musée des Offices à Florence les grands Botticelli. L'allégorie de la Naissance de Vénus et, sur le mur suivant, celle du Printemps, œuvres de maturité, sont sans doute les plus représentatives du lyrisme poétique de Botticelli et de l'idéalisme qui caractérisait la culture humaniste à l'honneur dans l'entourage de Laurent le Magnifique. On y trouve, portés à leur perfection, les éléments qui font le charme de l'art, tout empreint de spiritualité, de ce peintre qui voulait « par les mouvements du corps montrer les mouvements de l'âme » : sinuosité des lignes, contours appuyés et précis, goût du détail raffiné, tonalités légères, grâce du mouvement, mélancolie inquiète des visages.

L’œuvre n'est pas peinte sur un panneau en bois. Botticelli n'a pas choisi le support habituel en bois de peuplier mais utilisé, pour la première fois en Toscane, une toile grand format, surface moins coûteuse que les panneaux en bois utilisés pour les peintures d'église et de cour. Si Botticelli se servait de la technique de détrempe couramment employé à son époque, il mélangeait les pigments dans un minimum de corps gras, méthode qui donna les meilleurs résultats : la toile est aujourd'hui restée ferme et élastique, la peinture est à peine craquelée. Lorsque les restaurateurs ôtèrent la couche de vernis à huile appliquée plus tard, ils découvrirent une couche tout à fait inhabituelle au blanc d’œuf. Alliée à la détrempe maigre, elle conférait au tableau un aspect proche de la fresque, tel qu'il convenait à une maison de campagne.

C'est une peinture d'histoire, racontant un épisode mythologique : d'après la Théogonie d’Hésiode, Aphrodite est la fille d'Ouranos dont les organes sexuels tranchés par Cronos tombèrent dans la mer et engendrèrent la déesse, née de l’écume fertile des vagues (aphros), Vénus-Aphrodite anadyomène (surgie des eaux). Vénus est donc fille du Ciel et de la Mer.

Elle fut poussée par Zéphyr (ici la figure ailée avec une cape bleue), le vent du printemps, (la jeune femme ailée qui accompagne Zéphyr serait Chloris ou, peut-être, Aura, la brise), d'abord à Cythère, puis sur la côte de Chypre. Là elle fut accueillie par les saisons, les Heures, vêtues et parées pour aller chez les immortels.

Dans la Naissance de Vénus, sur un fond de mer et de ciel aux tons froids d'une admirable transparence, surgit donc une jeune femme d'une grâce mélancolique et fragile ; les lignes ondoyantes des étoffes, des cheveux dénoués, de la silhouette légèrement inclinée de Vénus, donnent à cette scène la grâce d'une danse.

Le tableau représente donc un épisode concentré de l'image du mythe : l'arrivée de Vénus à Chypre. Il est composé en triptyque :
- À gauche : un couple ailé : Zéphyr et Chloris.
- Au centre : Vénus nue.
- À droite : une nymphe (Heure ou Saison) accueille Vénus.
Les personnages apparaissent plaqués sur un décor qui représente de manière naïve l'eau avec les vagues et les roseaux (en bas à gauche).
Quel est le message proposé par la Naissance de Vénus ?
Son thème, très célèbre, la naissance d’une nouvelle humanité, est sans doute inspiré en grande partie des Métamorphoses (poème mythologique en 15 livres, an 1 ou 2 apr. J.-C., rassemblant environ 250 fables, consacrées aux transformations de héros mythologiques en plantes, animaux ou minéraux) et des Fastes d’Ovide.

Botticelli s'est inspiré également d'un poème de son contemporain Politien qui décrit la naissance de Vénus, ainsi que d'un hymne antique à Aphrodite :
« ... Chypre, l’île vers laquelle le souffle humide de Zéphyr aux joues gonflées transportait Aphrodite sur les vagues de la mer écumante. Les Heures au diadème doré l'accueillirent avec joie et la vêtirent d'atours divins... » Deuxième hymne à Aphrodite.
Un titre plus adéquat serait donc : « L'accostage de Vénus ».

À la fin du XVe siècle, époque où cette œuvre vit le jour, il devait y avoir de très nombreuses Vénus de ce genre dans les riches palais florentins. Il n'en reste que peu d'exemples, ce qui s'explique par l'iconoclasme qui se déchaîna dans les années 1490, sous l'influence du sévère moraliste Savonarole.

Il faut se rappeler que l'influence néo-platonicienne est toujours présente. Ici, Vénus représente elle-même la beauté grâce à la construction harmonieuse de son corps : l'écartement de ses seins et leur distance au nombril forme un triangle que l'on peut reporter à la base du cou. Son regard rêveur et évasif fixe un point indéfini. La Vénus de Botticelli est si belle que nous ne remarquons toutefois pas la longueur artificielle de son cou, la chute excessive de ses épaules et l'étrange façon dont son bras gauche est relié au corps. Ou plutôt, nous devrions dire que les libertés que Botticelli a prises avec la nature pour réaliser son œuvre ajoutent à la beauté en communiquant l'idée que la féminité et la délicatesse ont été apporté sur nos rivages par un cadeau du ciel.

Ce tableau propose une image de l'humanisme qui réalise la synthèse entre le monde païen et le monde chrétien : le monde païen, monde du mythe, de la beauté antique, le monde chrétien, c'est l'image des anges, d'Ève qui accèdent à la civilisation.

Zéphyr et Chloris flottent dans les airs, enlacés, formant une double entité. Dans la mythologie grecque, Chloris est une nymphe des îles Fortunées ou Hespérides (îles fabuleuses de l’Atlantique, identifiées aux Canaries, au large du Maroc méridional). Elle est appelée Flore par les Romains. Zéphyr l'aima, la ravit et en fit son épouse, la conservant dans l'éclat de la jeunesse et lui donnant l'empire des fleurs. Leur hymen se célébra au mois de mai et les poètes, en décrivant les saisons, n'oublient pas de donner une place à ces deux époux dans le cortège du Printemps. Flore était particulièrement adorée chez les Sabins qui transportèrent ce culte à Rome, où elle était célébrée lors des Floralies. Zéphyr (son nom signifie « vent d'ouest » en grec) gonfle ses joues et la blonde Chloris souffle la brise tiède qui pousse Vénus sur le rivage. Autour d'eux tombent les roses au cœur doré, qui, selon la légende, apparurent en même temps que Vénus. C'est ainsi que le poète grec Anacréon (VIe siècle av. J.-C.) nous raconte qu'un buisson de roses aurait jailli de terre lorsqu'elle posa pour la première fois le pied sur le rivage.
La pose de la déesse, dite « Vénus pudica » (pudique), provient de la statuaire antique : le bras gauche légèrement recourbé, la main couvrant le pubis, l'autre bras couvrant les seins. La nudité de Vénus est le symbole de la pureté et de l'innocence ; la Vénus du Capitole, conservée aux musées du Capitole de Rome, comme nous l’avons vue, en est un parfait exemple.
Selon certaines sources, Vénus serait née dans un coquillage.

Dans un foisonnement de lignes sinueuses, Botticelli dépeint ici Vénus alors qu'elle s'apprête, en un mouvement à peine esquissé, à descendre de sa conque géante. Nous ne voyons pas ici la naissance de Vénus sortant de l'onde, mais l'instant où, portée par la conque, elle arrive à Paphos, dans l’île de Chypre. Le coquillage, en relation avec la déesse païenne signifie, à l'instar de l'eau, la fécondité et en raison de sa ressemblance avec le sexe féminin, le plaisir des sens et la sexualité. Non seulement donc la féminité incarnée navigue-t-elle sur sa coquille telle son écrin d'une blancheur de nacre, mais de plus la forme de ce coquillage constitue la métaphore de son sexe, comme sa blancheur celle de l'hymen. Toutefois, lorsque le coquillage forme une voûte au dessus de la madone du retable de saint Barnabé, il symbolise la virginité. On croyait, au Moyen Age, que les coquillages étaient fécondés par la rosée. Cette naissance avait le caractère d'un mystère et se rattachait à des symboles que l'on retrouve dans le tableau de Botticelli.

Lorsqu'elle va poser le pied à terre, une nymphe (divinité des fontaines, des fleuves, des bois et des montagnes), l'une des Heures probablement, l'accueille avec un vêtement pourpre. Il pourrait s'agir d'une des trois Grâces qui, dans l'Antiquité, faisaient partie de la suite de la déesse, ou encore d'une des trois Heures (Horae en latin), personnification des saisons. Sa robe très ornée et le somptueux manteau qu'elle tend à Vénus sont brodés de pâquerettes rouges et blanches, de primevères jaunes et de bleuets, fleurs de printemps appropriées au thème de la naissance. Elle porte un collier de myrte, herbe de Vénus, et une ceinture de roses (la fleur de Vénus) roses comme celle de la déesse Flore dans Le Printemps. Les anémones à ses pieds et sa robe fleurie annoncent l'Heure du printemps : la saison durant laquelle Vénus faisait revenir la beauté et l'amour après les rigueurs de l'hiver. Le manteau de pourpre présenté à la déesse sur le rivage n'a pas seulement une fonction esthétique, mais aussi une signification rituelle. Figurant déjà que les vases grec de l'Antiquité, il marque la frontière entre deux domaines : le nouveau né comme le mort était toujours enveloppé dans un linge. La naissance de Vénus est ainsi le symbole de la transmission de la beauté de l'ordre divin au monde des mortels.

Les arbres en haut à droite forment un bosquet d'orangers - correspondant au jardin sacré des Hespérides (nymphes grecques du couchant. Au nombre de trois, elles avaient pour mission de veiller sur le jardin des dieux, dont les arbres produisaient des pommes d'or qui donnaient l'immortalité et qu'Héraclès déroba. Les Anciens situaient ce jardin au pied de l'Atlas) de la mythologie grecque - dont chaque fleur est ponctuée d'or. L'or est omniprésent, soulignant la préciosité de sa matière et faisant écho au statut divin de Vénus. Une ligne dorée rehausse chaque feuille vert foncé, et les troncs des arbres sont striés de courtes diagonales dorées.


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