Introduction à la civilisation chinoise :

 

LE TIBET :

 

POURQUOI LA CHINE A-T -ELLE OCCUPÉ LE TIBET ?

 

 

Le Tibet, ce toit du monde un peu fabuleux, inaccessible aux Occidentaux jusqu'au début du XXe siècle, fait son entrée dans une histoire, ô combien sanglante, avec l'entrée en masse des troupes chinoises à Lhassa [1], sa capitale, en 1959 .

Il en résulte la fuite précipitée du Dalaï Lama [2] en Inde et la mise en coupe réglée du pays désormais administré directement par Pékin comme une simple province de la nouvelle République populaire.

 

Depuis lors, rien ou presque n'a changé. Le Dalaï Lama vit toujours en exil en Inde à Dharamsala [3]  ; le gouvernement de Pékin continue à administrer le pays avec une poigne de fer et la grande majorité des Tibétains continue à s'opposer, comme elle le peut, à cette main mise.

 

Pourtant le Dalaï Lama persiste, contre l'extrémisme de certains de ses jeunes partisans, à parler d'une solution politique possible et certains officiels à Pékin évoquent parfois aussi, mais plus discrètement, d'éventuels compromis.

 

Pour comprendre toute la complexité d'une telle issue, il faut au préalable analyser les données réelles du drame tibétain. D'une part les ambitions de la Chine et leur évolution dans le temps, d'autre part, les aspirations du peuple tibétain lui-même .

 

I - QUE VOULAIT LA CHINE AVANT 1950 ?

 

Tout d'abord donc, que voulait la Chine avant 1950 ? Jusqu'à cette date récente, les ambitions de la Chine au Tibet avaient été constantes et mesurées.

 

Dès le Xe siècle, le Tibet commence à entretenir des rapports de vassalité avec les empereurs de Chine. A partir du XVIe siècle, cette subordination se concrétise par l'installation de gouverneurs chinois, les « amban », qui manifestent l'autorité de l'Empereur à Lhassa . Mais ce protectorat est léger et il ne gène en rien la théocratie tibétaine dans l'exercice de son pouvoir intérieur traditionnel .

 

C'est au départ cette politique plutôt débonnaire que Mao semble vouloir poursuive après sa victoire dans la Révolution de 1949. Et le Tibet aurait ainsi pu rester une zone d'autonomie sous influence chinoise comme ce fut le cas pendant des siècles.

 

Pourtant en quelques années, de 1950 à 1959, tout change . En effet, l'autonomie régionale du Tibet est de moins en moins respectée par la Chine . A partir de 1955 avec la fin de la Guerre de Corée [4], la Chine introduit des soldats au Tibet, place des conseillers, organise un noyau communiste tibétain.

 

En réaction, progressivement, un mouvement anti-chinois s'organise à son tour. Et c'est dans la nuit du 19 au 20 mars 1959 que tout bascule .

 

II - QUE SE PASSE-T-IL DANS LA NUIT DU 19 AU 20 MARS 1959 ?

 

Une rébellion générale du Tibet éclate à Lhassa cette nuit-là. 20 000 Tibétains civils se sont rebellés contre une masse compacte de quelque 40 000 soldats chinois. Après une semaine de combats, le mouvement est écrasé par le recours aux bombardements aériens . Cette victoire chinoise sur la rébellion tibétaine entraîne la fuite précipitée du chef religieux suprême, le Dalaï Lama, qui choisit l'exil en Inde pour échapper à l'arrestation et à la déchéance .

 

La Chine passe cette nuit-là du protectorat à l'annexion pure et simple .

C'est un bouleversement complet de la vie d'un peuple qui ne retrouve plus ses marques ni même ses frontières, puisque le Tibet, devenu simple province de la nouvelle République populaire, est en même temps amputé d'un bon tiers de son territoire d'origine réparti entre les entités voisines à majorité chinoise .

 

III - POURQUOI MAO A-T-IL ENVAHI LE TIBET ?

 

Pourquoi Mao a-t-il été conduit à réagir si brutalement en 1959 ?

 

Trois raisons fondamentales ont poussé Mao à envahir en force le Tibet  :

 

- Première raison : l'idéologie . Nous sommes en Chine même en pleine radicalisation du régime.

Mao a commencé à critiquer l'évolution réformiste de Khrouchtchev [5] en Union soviétique et lancé l'année précédente un Grand Bond en avant [6] catastrophique dans les campagnes chinoises . L'affirmation d'une autorité sans faille de la Chine sur tout son territoire fait donc partie d'un même ensemble de mesures radicales.

Les Tibétains sont ainsi pris dans l'œil du cyclone de la Révolution chinoise : ils le paieront chèrement ! Villages rasés, monastères détruits ou pillés, élite envoyée au goulag.

 

- Deuxième raison : la tradition coloniale . La Chine a progressivement assimilé dans son Histoire des régions entières, autrefois vides de population Han et peu peuplées par des peuples allogènes [7], ainsi en Mandchourie [8] et plus près du Tibet au Yunnan [9], porte de l'Indochine [10]. Les dirigeants communistes ont ainsi un plan de colonisation grandiose qui concerne la moitié ouest, à peu près vide, de leur territoire. Le Tibet est inclus dans ce plan qui se recommande de la tradition impériale.

La Mandchourie
Le Yunnan

 

- Mais il faut mentionner aussi une Troisième raison , tout à la fois plus géopolitique, et plus paranoïaque aussi : la prévention d'un conflit, jugé inévitable, avec l'Union soviétique et l'Inde voisine .

En 1959, Mao est au bord de la rupture avec Moscou. Il voit aussi Khrouchtchev courtiser avec succès l'Inde de Nehru [11]. Une alliance russo-indienne pourrait aboutir un jour à contester une souveraineté chinoise au Tibet encore mal assurée. Il faut donc pour Mao reprendre très fortement en mains, sans plus attendre, cette immense étendue que les Soviétiques alliés aux Indiens pourraient selon lui, à tout moment, lui soustraire .

 

 

 

IV - COMMENT A REAGI LE TIBET ?

 

Comment a réagi le Tibet ? C'est le deuxième élément fondamental qu'il faut considérer avant d'aborder la question de la solution politique : les Tibétains ont largement résisté à ce projet colonial .

 

En effet, quarante ans plus tard, la politique d'annexion de la Chine demeure un échec. Les Tibétains ne se sont pas ralliés, à quelques exceptions, au communisme de Pékin, bien au contraire.

 

La colonisation chinoise est inexistante en dehors de la ville de Lhassa et des marches [12] voisines de la Chine proprement dite.

 

La sécurité des frontières, elle-même, n'est guère assurée. Pourtant à quelques exceptions spectaculaires près, la résistance tibétaine aura surtout été politique et non-violente chez un peuple qui pourtant semblait peu préparé à cette épreuve.

 

Cet échec chinois a pour cause fondamentale la capacité de résistance d'un peuple tout entier .

 

V – COMMENT A RÉSISTÉ LE TIBET ?

 

Comment le Tibet a-t-il su résister ? Le Tibet a pu résister parce que son peuple a su en quarante ans accomplir une étonnante mutation, presque sans équivalent ailleurs. Mutation qui s'exprime de trois manières assez différentes :

 

- Tout d'abord, les Tibétains sont devenus, en une génération, un peuple en diaspora [13]. Et ils se sont adaptés à cette existence, situation absolument inouïe dans l'Histoire tibétaine. Jusqu'alors, il y avait bien quelques lamas tibétains à Pékin, quelques autres en Mongolie, quelques marchands établis de l'autre côté de l'Himalaya au Népal, mais c'était des minorités infimes. Le peuple tibétain n'avait jamais quitté son territoire, il faisait corps avec son environnement montagnard.

Aujourd'hui des dizaines de milliers de Tibétains vivent en Inde, d'autres de plus en plus nombreux se retrouvent au Népal, mais aussi à Hong Kong, en Suisse et aux Etats-Unis . Si beaucoup y enseignent le bouddhisme, nombreux sont aussi ceux qui ont réussi dans les affaires et se sont assimilés aux cultures environnantes.

 

Cet essaimage réussi a permis au Dalaï Lama de pratiquer, surtout ces dernières années, une stratégie de médiatisation du conflit qui a pris appui sur l'engouement occidental pour la culture du Tibet .

 

- Deuxième mutation : les Tibétains ont réappris à faire la guerre . Autrefois très redoutés, les Tibétains s'étaient assoupi dans le pacifisme monacal et n'avaient guère opposé de résistance tant aux Anglais au début du XXe siècle qu'aux Chinois dans les Années 50.

 

La résistance des maquisards Kampa , équipés par la C.I .A. dans les Années 60, qui abattent dans une embuscade le gouverneur militaire chinois, en 1967, vient contredire cette image traditionnelle.

 

Les survivants de ces combats, intégrés dans l'Armée indienne au début des Années 70, maintiennent intacte leur réputation.

 

- Mais troisième mutation : c'est la résistance non-violente des Tibétains sur place qui assure le véritable blocage de l'occupation chinoise.

 

Dès que la dictature se relâche après la mort de Mao, les Tibétains manifestent dans les rues de Lhassa, revendiquent le retour de leur culture et refusent, malgré la tentative de les acheter, de faire le jeu des Chinois.

 

La Chine a donc perdu… mais le Tibet n'a pas encore gagné. Si la situation a évolué depuis les Années 80, une solution politique au conflit n'a pas encore été trouvée .

 

VI – UNE SOLUTION POLITIQUE SERAIT-ELLE POSSIBLE ?

 

Une solution politique serait-elle donc possible ?

 

Observons tout d'abord que des trois raisons qui ont déterminé Mao à envahir le Tibet, deux sont tombées. Le risque d'une offensive soviéto-indienne s'est dissipé avec la Guerre froide ; l'ambition coloniale s'est heurtée elle à un milieu de vie insupportable par son altitude et son climat aux paysans chinois traditionnellement hostiles aux montagnes .

 

Reste le prestige international et l'intransigeance des dirigeants de Pékin . Or cette occupation met à rude épreuve l'image de la Chine dans le monde et risque de freiner le développement international de sa toute nouvelle puissance économique.

De plus, l'idéologie patriotique chinoise qui peu à peu remplace le socialisme utopique de Mao semble plus accommodable à certaines revendications tibétaines comme le passé récent l'a déjà démontré.

 

Du côté tibétain , le prestige du Dalaï Lama est tel que personne, même ses frères parfois critiques, n'ose s'opposer à lui quand il écarte résolument la revendication de l'indépendance totale . Le Dalaï Lama veut seulement pouvoir revenir librement à Lhassa et il exige que le pouvoir y soit exercé par un gouvernement élu dans le cadre d'une autonomie négociée .

 

Ce personnage extraordinaire qui n'a jamais encouragé le terrorisme et ne cherche pas à affaiblir la puissance de la Chine demeure donc un interlocuteur privilégié pour les dirigeants chinois.

 

Mais où s'arrêterait le nouveau Tibet ? C'est peut-être sur la définition de l'entité autonome et de ses frontières exactes , que la discussion serait la plus âpre… mais aussi peut-être la plus profitable , tout comme entre Israéliens et Palestiniens…

 

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[1] Lhassa peut vouloir dire littéralement « La terre des dieux » ( Lha = divinité, Sa = terre, sol) bien que d'anciens documents tibétains et des inscriptions démontrent que le lieu était autrefois appelé Rasa , qui veut dire littéralement « la terre des chèvres » ou le "lieu entouré" (par une enceinte de montagnes).

 

[2] Dalaï signifie « océan » en mongol, Gyatso (rgyam mtsho) en tibétain, océan de sagesse étant sous-entendu. Quant à Lama (bla ma), il signifie Maître spirituel ( guru en sanskrit, la langue et de la littérature sacrées des brahmanes).

En 1949, Mao Tsé Toung, à la tête du parti communiste chinois, arrive au pouvoir en Chine et, niant les revendications d'indépendance du Tibet, notamment affirmées en 1913, y envoie des troupes militaires en 1950, officiellement pour « libérer » le Tibet de la présence étrangère. C'est en 1950, à l'âge de 15 ans, que le dalaï lama devient chef d'État et du gouvernement tibétain. Il passe les neuf années qui suivent à la recherche d'une solution pacifique à la crise, avant d'être contraint de fuir en Inde, où il établit, à Dharamsala, un gouvernement tibétain en exil. Pendant la Révolution culturelle, la persécution de la population est à son comble. Comme dans toute la Chine à cette période, les monastères sont détruits, moines et nonnes emprisonnés et torturés. Aujourd'hui encore, non seulement les Tibétains sont sévèrement réprimés et empêchés de s'exprimer, mais en plus, ils subissent la très forte pression d'une politique de colonisation. Si rien ne change, la culture tibétaine risque de disparaître d'ici 15 ans comme l'affirme le Dalai Lama. Depuis son exil en 1959, le dalaï lama est dénoncé systématiquement par le gouvernement chinois qui le qualifie d'indépendantiste. Malgrè cela, le dalaï lama persévère dans la voie de la non-violence et demande à la Chine de négocier pour aboutir à un compromis politique.

Le 14e Dalaï lama, Tenzin Gyatso , a reçu le soutien de nombreuses personnalités et institutions de par le monde pour sa lutte non-violente pour la liberté du Tibet. Il a notamment reçu le Prix Nobel de la paix en 1989 et la Médaille d'or du Congrès des États-Unis le 17 octobre 2007. Personnalité exceptionnelle, il a rassemblé les Tibétains en exil. Selon le 14e Dalai Lama, si « le mouvement pour le Tibet a attiré un large soutien mondial, c'est en raison des principes universels que le peuple tibétain a incorporé dans sa lutte. Ces principes sont la non-violence, la démocratie, le dialogue, le compromis, le respect des préoccupations sincères des autres, et de notre environnement commun ».

[3] Dharamsala est une ville du nord de l'Inde, située dans l'État de l'Himachal Pradesh. Comme indiqué plus haut, elle est la terre d'accueil du 14e Dalaï lama, Tenzin Gyatso, actuellement en exil.

[4] La guerre de Corée eut lieu de 1950 à 1953 entre les forces de la Corée du Nord communiste, soutenues par la République populaire de Chine et l'Union soviétique, et celles de la Corée du Sud sous influence occidentale, soutenues par les Nations unies (principalement les États-Unis).

[5] Nikita Sergeïevitch Khrouchtchev (prononcer Kroutchof ), (17 avril 1894 - 11 septembre 1971), est un homme d'État soviétique d'origine ukrainienne, qui s'affirma progressivement comme le principal dirigeant de l'URSS entre la mort de Staline (5 mars 1953) et son éviction du pouvoir le 14 octobre 1964. Il doit son ascension politique à partir des années 1930 à la protection personnelle de Joseph Staline, dont il intègre le cercle des intimes. Il est premier secrétaire du Parti communiste de l'Union soviétique de mars 1953 à octobre 1964 et, à partir de 1958, président du Conseil des ministres (Gouvernement) de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Principal inspirateur de la politique de déstalinisation à l'intérieur et de la coexistence pacifique à l'extérieur, il marque aussi les limites de ce nouveau cap en revenant sur certaines mesures de libéralisation du régime, en écrasant la révolution hongroise de 1956, ou en affrontant les États-Unis lors de la crise de Cuba en 1962. Ses hésitations et ses échecs le font écarter du pouvoir par la nomenklatura, inquiète de la remise en cause de ses privilèges. Il a laissé d'importantes Mémoires qui en font un témoin-clé de l'ère stalinienne et post-stalinienne.

[6] Le Grand Bond en avant est une politique économique lancée par Mao Zedong et mise en œuvre de 1958 à 1962. Concepteur du Grand Bond en avant, Mao Zedong veut donner une nouvelle orientation politique à la Chine. Cette campagne qui mobilise par la propagande et la coercition l'ensemble de la population a pour but de stimuler en un temps record la production par la collectivisation agricole, l'élargissement des infrastructures industrielles et la réalisation de projets de travaux publics d'envergure. Irréaliste si ce n'est irréel, ce programme se révèle être un fiasco, la Chine échappant de peu à l'effondrement complet de son économie (on parle de près de 30 millions de chinois mort de faim pendant cette période).

[7] Allogène  : D'une origine différente de celle de la population autochtone.

[8] La Mandchourie est le nom d'un vaste territoire au nord-est de l'Asie, dont la plus vaste extension couvre le nord-est de la Chine (environ 1 550 000 km²), et l'est de la Russie sur l'océan Pacifique (environ 1 000 000 km²).

[9] Le Yunnan est une province du sud-ouest de la République populaire de Chine. Littéralement, le nom signifie « Sud des Nuages ».

[10] L'Indochine ou péninsule indochinoise ou Asie du Sud-Est continentale est une péninsule du continent asiatique située entre la Chine et l'Inde. Elle est entourée à l'ouest par le Golfe du Bengale, la mer d'Andaman et le détroit de Malacca et à l'est par la mer de Chine méridionale. Traditionnellement, les bouches du Gange formaient sa limite occidentale. Elle comprend les pays et territoires suivants : la Birmanie , le Cambodge, le Laos, Singapour, la Thaïlande , le Viêt Nam, la Malaisie péninsulaire.

[11] Jawaharlal Nehru , né le 14 novembre 1889 et mort le 27 mai 1964, connu aussi sous le nom de Pandit Nehru , fut l'une des figures de proue de la lutte pour l'indépendance de l'Inde et du parti du Congrès avant de devenir le 1 er premier ministre de l'Inde le 15 août 1947. Il est le père d'Indira Gandhi, première femme à occuper le poste de premier ministre en Inde, femme de Feroze Gandhi sans le moindre lien avec Mohandas Gandhi.

[12] Marche  : province frontière organisée militairement.

[13] Le terme « diaspora » désigne la dispersion d'une communauté ethnique ou d'un peuple à travers le monde. À l'origine, ce terme ne recouvrait que le phénomène de dispersion proprement dit. Aujourd'hui, par extension, il désigne aussi le résultat de la dispersion, c'est-à-dire l'ensemble des membres d'une communauté dispersés dans plusieurs pays.

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2 VIDEOS sur le TIBET :

 

- Le Dessous des Cartes 02/10/1999 "Le Tibet"

- Le Dessous des Cartes - " Lahassa : la memoire confisquée"

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