LA RÉPUBLIQUE  DE PLATON

RÉSUMÉ ET THÈMES
 

PREMIÈRE PARTIE : RÉSUMÉ DE LA RÉPUBLIQUE

A - Méthode suivie

Afin de rendre possible et surtout efficace la confrontation entre le texte de Platon et notre résumé, nous avons conservé, d'une part, la division en livres de I à X que l'Anti­quité nous a transmise, d'autre part, la pagination de l'édition Estienne. Nous avons ajouté à cette pagination traditionnelle celle de l'édition Garnier-Flammarion (traduction de Robert Baccou), la plus maniable pour les étudiants. Nous renvoyons, bien entendu, également aux éditions Gallimard (t. I des œuvres de Platon dans « la Pléiade », trad. de Léon Robin), Les Belles Lettres (Budé, trad. d'Émile Chambry et introd. de Auguste Diès). Ces trois éditions sont infiniment précieuses pour la qualité de leurs notes et de leurs introductions.

B - Argument

La richesse extrême du contenu et de la construction de l'œuvre rendent périlleuse toute tentative de résumer en quelques lignes la problématique de La République. Quand on s'y risque, on est amené à dire que l'objectif de Platon est de démontrer qu'on ne peut traiter de la nature et de la nécessité de la Justice sans s'interroger aussi sur la nature et la nécessité d'une Cité juste et sur l'éducation que l'on doit donner aux gouvernants de cette Cité.

Les divisions du dialogue sont les suivantes :

- Livre I :Le problème de la justice sous l'angle individuel.
- Livres II, III, IV : Le problème de la justice quand on envisage la fondation d'une Cité parfaite.
- Livres V à VII : Les conditions de la réalisation de la justice par une éducation appro­priée des gardiens de la Cité.
- Livres VIII et IX : Pourquoi et comment la justice se dégrade dans l'individu et la Cité, et les principales formes de cette dégradation.
- Livre X : Conclusions et ouverture sur la justice dans l'Au-delà.

 

LIVRE I : ON NE PEUT BIEN POSER LE PROBLEME DE LA JUSTICE SI ON NE L'ENVISAGE QUE POUR L'INDIVIDU

PROLOGUE :Au Pirée, les frères de Platon (Adimante et Glaucon) rencontrent, à l'occasion d'une fête, le sage et riche vieillard Céphale et, arrivés en sa demeure, entament une discussion sur la destinée et la justice (327-330 b, pp. 75-78).

LES PERSONNAGES : Socrate, Glaucon et Adimante, Nicératos, Polémarque fils de Céphale, l'orateur Lysias, Euthydème, Charmantide, Clitophon, le sophiste Thrasymaque.

La discussion entre Socrate et Céphale :
- C. : avec le flétrissement des plaisirs du corps, augmentent le plaisir et le désir de la conversation.
- S. : La sagesse provient de la conversation.
- C. : On ne doit pas regretter la vieillesse qui calme les sens. Les regrets de certains vieillards proviennent de leur naturel qui a toujours été mauvais.
- S. : Ta sérénité n'est-elle pas due à tes richesses ?
- C. : Elles sont nécessaires mais non suffisantes. D'ailleurs, je les ai acquises par héritage.
- S. : Quel est le plus grand bien procuré par la fortune ?
- C. : Évitant la pratique de la tromperie et du mensonge, elle permet de pratiquer la justice. Al'heure de quitter ce monde, je me demande ce qu'il y a de vrai dans les mythes qui évoquent les châtiments qui attendent, dans l'Hadès, l'homme injuste.

I - PREMIERE TENTATIVE DE DEFINITION DE LA JUSTICE : CONSISTE-T-ELLE À « RENDRE À CHACUN CE QU'ON LUI DOIT » (LA JUSTICE-DETTE : 331c-336d, pp. 78-84)

- A - 331c-332a. - Demande de précision par Socrate : cela signifie-t-il que l'on doive toujours dire la vérité et toujours rendre ce que l'on a reçu, en particulier lorsque notre créancier est devenu fou ? Céphale ayant abandonné l'entretien, son fils Polémarque accepte la définition précédente, attribuée au vieux poète Simonide, tout en concédant qu'elle perd sa valeur quand celui à qui on doit rendre quelque chose est devenu fou.

- B - 332b-336a. - Débat sur un prolongement de la définition précédente, proposé par Polémarque : « On doit faire du bien aux amis, du mal aux ennemis. »

1) [332b-337a] Préliminaires
a)Socrate précise : ce qui est dû est ce qui convient : - comme la médecine qui donne aux corps les remèdes ; - comme la cuisine qui donne aux mets les assaisonnements.
b)Polémarque revient à la définition : la justice procure du bien aux amis, du mal aux ennemis.
2) [333a-334b] Première objection de Socrate : être juste est-ce, seulement, être capable de faire le bien ?
a)Ceux qui sont capables d'utiliser leurs talents pour le bien ont forcément la possi­bilité de les mettre au service du mal. Par exemple : - le médecin est le plus capable de faire du bien ou du mal à ses malades ; - le pilote est le plus capable de faire du bien ou du mal à ses matelots et à sa cargaison.
Donc habileté n'entraîne pas nécessairement justice.
b)En temps de guerre, le juste (ici, le loyal) semble être utile puisqu'il s'allie à ses amis et nuit à ses ennemis. Mais, en temps de paix, la justice n'a de valeur que négative puisqu'elle ne s'identifie pas à l'habileté (le juste se contente de garder l'argent qu'on lui a confié tandis que l'habile financier s'emploie à le faire fructifier).
3) [334c-335c, pp. 82-83] Deuxième objection de Socrate : la fin de la définition de la justice proposée par Polémarque n'est pas satisfaisante car on peut confondre ami et ennemi
a)On peut, en effet, être juste et/ou le paraître : - être juste et le paraître ; - être juste et ne pas le paraître ; - ne pas être juste et le paraître ; - ne pas être juste ni le paraître.
b) Ils'ensuit que le juste peut, sans le vouloir, faire du mal à ses amis et du bien à ses ennemis.
4) Troisième objection de Socrate : l'extrême fin de la définition proposée par Polé­marque est également critiquable : faire du mal à un cheval ou un homme ne les rend pas meilleurs mais pires : ce traitement rend injuste celui qui ne l'était pas et renforce la dureté de celui qui l'était déjà.

- C - Conclusion : Ondoit donc rejeter la définition de la justice proposée par Polémarque.

II - LA JUSTICE CONSISTE-T-ELLE À RECHERCHER L'AVANTAGE DU PLUS FORT (336b-354c, pp. 84-104)

- Introduction [336b-338c, pp. 84-87] Thrasymaque reproche à Socrate sa manière de conduire l'entretien : interroger est plus facile que d'exposer ses propres idées. Quant à lui, Thrasymaque, il brûle d'envie de démontrer que le juste est l'avantage du plus fort.

- A - 338c-347a. - Discussion sur la nouvelle définition.
1) [338cd] En quel sens, demande Socrate, entendre « plus fort » ? Physiquement ?
Auquel cas tout le monde devrait suivre un régime athlétique. Politiquement alors ?
2) [338e-347b] Selon Thrasymaque, le juste est l'avantage du gouvernement constitué.
a)[338c-341a] Discussion sur le terme de gouvernement :
- Objection de Socrate : comme on peut se tromper en confondant ami et ennemi, les gouvernants aussi peuvent se tromper : le juste n'est donc pas plus l'avantage que le désavantage du plus fort.
- Réponse de Thrasymaque : « Celui qui se trompe le fait quand sa science l'aban­donne » (p. 89). Quand il parle de gouvernement, Thrasymaque entend celui qui remplit son office. De même, quand on parle de médecin en général, on parle de celui qui connaît et guérit les maladies et non de celui qui se trompe.
b) [341c-347e] Discussion sur le terme « avantage » (pp.90-96).
- Thèse de Socrate (341c-342e, p. 91) : les gouvernants ont en vue l'avantage des gou­vernés. Si on reprend l'exemple de la médecine, on voit que le médecin recherche l'avan­tage du malade. Si on prend l'exemple de la navigation, on voit que le capitaine recherche l'avantage de ses passagers et de sa cargaison. Il y a donc tout lieu de penser que le gou­vernant, quant à lui, recherche l'avantage des gouvernés.
- Réponse de Thrasymaque (343a-344e, pp. 91-93). Si l'on prend l'exemple du berger, on voit qu'il recherche non l'avantage des « gouvernés » (les moutons) mais le sien propre : il élève des bêtes pour les vendre et les tuer.
Nombre d'exemples montrent que la pratique de l'injustice est bien plus profitable que celle de la justice : - en affaires, le juste est souvent victime de l'injuste ; - en famille, le juste qui préfère la justice à ses proches, encourt leur haine ; - mais surtout la plus parfaite injustice - la tyrannie - est célébrée et admirée. Ceux qui blâment l'injustice sont, en fait, incapables soit de la souffrir, soit, de la faire subir.
- Contre-attaque de Socrate (344c-347a, p. 93) : « Après avoir donné la définition du vrai médecin, tu n'as pas donné celle du vrai berger. » En tant que tel, le berger ne se propose que le bien de ses moutons. Ceux qui font du mal aux moutons (les bouchers) ne sont pas, en tant que tels, des bergers. Tous les métiers rapportent, certes, un profit sous forme d'argent. Le berger n'est pas le seul à en gagner : le médecin aussi en perçoit. Leurs métiers sont utiles, qu'on les rétribue ou non. Voilà pourquoi les vrais gouvernants gou­vernent non en vue de leur profit personnel mais pour le bien de leurs administrés. Ils exercent le pouvoir non par goût mais par nécessité (p. 95, anticipation des « philosophes­-rois »).

- B - 347d-352e, pp. 96 à 101. - Discussion sur une conséquence de la définition de Thrasymaque : la vie de l'homme injuste est-elle supérieure à celle du juste ?
1) [348d-348e, p. 97] Aux demandes de précision de Socrate et de Glaucon, Thrasy­maque répond que l'injustice suprême réussit parfaitement et que la pratique de la jus­tice témoigne de stupidité tandis que celle de l'injustice témoigne de prudence (donc de vertu !).
2) [349b] L'injuste l'emporte-t-il vraiment, comme le veut Thrasymaque sur le juste ?
a)[349b-350] Socrate fait admettre à Thrasymaque une différence essentielle entre le juste et l'injuste : le juste ne cherche pas à l'emporter sur l'injuste (dans une action, on est juste ou on ne l'est pas : il n'y a pas de hiérarchie dans la justice). L'injuste, au contraire, entre en compétition avec le juste et avec d'autres injustes (hiérarchie dans l'injustice).
b)[350b-351a] Est-ce l'injuste (selon Thrasymaque) ou le juste (selon Socrate) qui est « sage et bon » ? - Admettons, dit Socrate, que le savant est sage et que le sage est bon. - Un musicien est savant en musique, un médecin en médecine. - Le musicien voudra l'emporter sur un non-musicien et non sur un autre musicien, le médecin sur un non­-médecin et non sur un autre médecin.
Donc, alors que l'homme injuste, qui se dit sage et bon, veut l'emporter et sur le juste et sur d'autres injustes, le vrai sage et bon - comme le montrent les exemples du musicien et du médecin - « ne voudra pas l'emporter sur son semblable mais sur celui qui ne lui ressemble pas » Voilàpourquoi seul le juste est bon et sage alors que l'injuste est ignorant et méchant !

- C - 351-352c, pp. 99 à 101. - Discussion sur la deuxième conséquence de la définition de Thrasymaque : l'injustice a-t-elle la force en partage ?
1) [351ad, p. 100] Thèse de Socrate : dans la mesure où l'injustice engendre haine et dissension, même une bande de brigands, pour mener à bien ses forfaits, doit faire régner parmi ses membres, un semblant de justice (loi du milieu).
2) [351d-352d] Conséquence : l'injustice « parfaite » est impossible. Pour que l'injus­tice atteigne son but, elle doit toujours comporter une certaine dose de justice.

- D - 352e-353e, pp. 101 à 104. - Conclusion : la vie du juste est préférable à celle de l'injuste.
1) De même que les outils, les organes des sens ont, chacun, une fonction. S'acquitter de sa fonction est bien et vertu, mal s'en acquitter est vice, dit Socrate (qui anticipe sur sa thèse de la justice comme harmonie entre les fonctions de l'âme dans l'individu, des individus dans la Cité).
2) La fonction de l'esprit est de commander. « Une âme mauvaise commande et sur­veille mal. »Une âme bonne s'acquitte bien de ses fonctions.
3) Celui qui vit dans le bien est heureux, dans le mal, malheureux.

CONCLUSIONS DU LIVRE I (354ac, pp. 103)
L'injustice n'est pas plus profitable que la justice. La manière dont les problèmes ont été posés n'a pas permis de définir la nature de la justice (anticipation du changement de perspective dans le livre II : il faudra examiner la justice à l'échelle de la Cité).

 

LIVRE II : LA SEULE OBSERVATION DE L'INDIVIDU NE PEUT SUFFIRE À DÉTERMINER LA NATURE DE LA JUSTICE. IL FAUT CONSTRUIRE IDÉALEMENT UNE CITÉ

I - LES CONCEPTIONS VULGAIRES ET FAUSSES DE LA JUSTICE (357a-367e, pp. 107 à 117)

- A - 357a-358c, p. 108. - Socrate et Glaucon se demandent dans quelle sorte de biens placer la justice.
1) [357 cd] Glaucon, distingue trois sortes de biens : - ceux que l'on recherche pour eux-mêmes (joie et plaisirs inoffensifs) ; - ceux que l'on recherche pour eux-mêmes et leurs conséquences (bon sens, vue, santé) ; - ceux que l'on recherche pour leurs consé­quences seulement (gymnastique, médecine, professions lucratives, etc.).
2) [357d-358e] Où placer la justice ? demande Glaucon à Socrate. Socrate : dans les biens cultivés pour eux-mêmes et pour leurs conséquences. Glaucon : pour la plupart des hommes, on fuit la difficulté intrinsèque de la justice mais on recherche des suites : récom­penses et distinctions. - Socrate : c'est l'opinion de Thrasymaque. - Glaucon : je vais la reprendre et louer la vie de l'injuste afin d'entendre ta réplique.

- B - 353e-367e. - Glaucon et Adimante célèbrent l'un, la justice, l'autre, l'injustice, quand on les pratique surtout pour les avantages qu'elles procurent.
1) [358e-362b] Pour Glaucon, il vaut mieux pratiquer l'injustice :
a)[358e-359b] origine de la justice : faire taire les dissensions entre les hommes.
b) [359b-360d] motifs : on ne la pratique que parce qu'on a peur de souffrir ou parce qu'on est impuissant à la commettre (cf.le mythe de Gygès : un berger ayant obtenu le pouvoir de se rendre invisible, tue son roi et épouse la reine).
c) [360e-362c] La vie de l'injuste est supérieure à celle du juste : - la parfaite injustice (paraître juste sans l'être) conduit au gouvernement ; - la parfaite injustice (ne pas paraître mais être juste) conduit à la torture et à la mort.
2) [362d-366d, pp. 111 à 115] Pour Adimante, il vaut mieux pratiquer la « justice » à cause des avantages qu'elle procure.
a) [362d-363e] Son apparence est avantageuse - pour la bonne réputation qu'elle procure auprès des hommes ; - parce que les dieux réservent aux justes une ivresse éternelle !
b) [363e-366b] La conception des particuliers et des poètes : - en fait, si tout le monde célèbre la justice, tout le monde accorde que même les dieux réservent l'infortune aux vertueux et le sort contraire aux méchants ; - de plus, les méchants peuvent « répa­rer » leurs fautes par des dons et des sacrifices.
c) (p. 115) : personne n'est donc juste volontairement.
3) [366d-367e] C'est pourquoi justice et injustice doivent être considérées pour elles­-mêmes, indépendamment de leurs effets extérieurs. Adimante supplie alors Socrate de consentir à révéler enfin sa conception de la justice.

II - CONSTRUCTION PAR SOCRATE D'UNE CITÉ JUSTE (368a-374d, pp. 117 à 124)

Introduction [368a-396a] Méthode à suivre pour discerner la justice : - rechercher sa nature à l'échelle des cités, où elle est écrite en gros caractères ; - appliquer les résultats de cette investigation à l'âme humaine (N.B. : cité fondée en 427c, p. 179).

- A - 369a-372d, pp. 117 à 121. - La Cité en formation ou saine.
1) [369a-369e] Fondements : « l'impuissance où se trouve chaque individu de se suf­fire à lui-même et le besoin qu'il éprouve d'une foule de choses ». Les principaux besoins sont : manger, se loger, se vêtir. Les premières fonctions à assurer sont donc celles d'agriculture, de maçonnerie, de tissage.
2) [369e-370e] Conséquences : répartition des fonctions - en exploitant les différences d'aptitudes (p. 118), - en accroissant l'efficacité du travail par la spécialisation des tâches (p. 119).
3) [370e-371e, pp. 119-120] Pour vraiment satisfaire les besoins, il faut introduire, dans la Cité, des commerçants, d'où : - spécialisation d'hommes dans l'import-export ; - spé­cialisation d'hommes dans les transports ; - utilisation d'une monnaie pour faciliter les échanges ; et donc avènement : - d'une classe de marchands (sur place) et de négo­ciants (en voyage), d'une part, - d'une classe de salariés, d'autre part, qui louent leur force de travail.
4) [372ac] Où est la justice ? demande Socrate. Peut-être dans les relations des citoyens entre eux, au milieu de cette vie simple et frugale (anticipation de L. IV, 433c, p. 186). Mais Glaucon proteste contre cette peinture idyllique et demande qu'on lui dépeigne...

- B - 372d-374d, pp. 121 à 123. - La Cité pleine de luxe et corrompue.
1) [372e-373d, p. 122] Multiplication morbide des besoins : devient « indispensable » le superflu, c'est-à-dire, tout ce qui est imitation, comme : - l'art, qui est une tromperie sur la réalité (cf. l. X) ; - la parure féminine, tromperie sur le corps ; - la cuisine, trom­perie sur le goût.
2) [373d-374d] La guerre, qui a son origine dans l'insatiable désir de possession, en résulte inévitablement... Puisqu'elle est inéluctable, il faudra donc former des guerriers, des gardiens.

III - RECRUTEMENT ET ÉDUCATION DES GARDIENS DE LA CITÉ (374d-383c, pp. 123 à 133)

- A - 374d-376d, pp. 124 à 126. - Qualités requises selon Socrate :
1) [374e-375a] On doit fonder une armée de métier car existent des aptitudes spéciales pour la fonction de gardien.
2) [375ae] Pour que les guerriers ne se retournent pas contre leurs maîtres et contre ceux dont ils doivent assurer la protection, ils doivent, comme les chiens, être doux envers leur maître mais féroces contre leurs ennemis.
3) [376ad] Ils doivent donc se rendre capables d'apprendre les différences entre amis et ennemis. Comme les philosophes, ils seront « avides d'apprendre ».

- B - 376d-383c, pp. 126 à 133. - Grandes lignes de l'éducation :
1) [376e-377a]. S'interroger sur l'éducation des gardiens doit permettre de découvrir la naissance de la justice et de l'injustice dans la Cité. Deux volets dans cette éducation : les arts des Muses, la gymnastique.
2) [377a-383e] Parmi les arts des Muses, il faut examiner avec grand soin les fables :
a) [377ad] Du bon usage des fables eu égard à leur fond. Importance extrême du pro­blème : les fables sont utilisées pour l'éducation. Or le commencement est ce qu'il y a de plus important. C'est quand un être est jeune et tendre qu'il reçoit durablement l'em­preinte dont on veut le marquer.
Immoralité des fables [377d-378e] : - elles présentent des dieux anthropomorphiques, dont les aventures horribles peuvent servir d'excuses aux forfaits humains (Cronos châ­trant son père Ouranos) ; - « l'enfant ne peut discerner ce qui est allégorie et les opinions qu'il reçoit à cet âge deviennent d'ordinaire indélébiles et inébranlables ». Ilfaut donc imposer des règles et des modèles aux poètes.
b) [378e-383c] La seule théologie que devraient enseigner les fables : Dieu est parfait. De sa perfection se déduisent : - sa bonté, d'où l'on déduit qu'il n'a pas créé tout, en particulier le mal ; - son immuabilité, car l'altération, le changement (comme dans la pourriture ou la rouille) témoignent d'imperfection.

 

LIVRE III : FORMATION DE GARDIENS JUSTES PAR L'ADAPTATION DE L'ÉDUCATION MORALE ET PHYSIQUE À LA REGLE DE LA FONCTION PROPRE

I - SUITE DES REMARQUES SUR L'ÉDUCATION LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE DES GARDIENS (386a-403c, pp. 133 à 155)

- A - 368a-399b, pp. 133 à 150. - Impératifs auxquels doivent se conformer les fables :
1) [368a-392c, pp. 137 à 144] Suite des remarques sur le fond : quelles conduites et quels sentiments doit-on encourager ?
a)[386a-387d, pp. 137-138] Les poètes ne doivent pas aliéner la jeunesse, en lui inspi­rant, par la peinture de l'Hadès, la crainte de la mort : on ne doit pas représenter l'Hadès comme un lieu terrifiant (les fleuves des Enfers : Cocyte, Styx, les spectres) car cette peinture inciterait les jeunes gens à préférer l'esclavage à la mort, alors que l'esclavage est pire que la mort. - Un honnête homme ne doit pas regarder la mort comme terrible quand elle lui enlève un ami.
b)[387d-388e] Les poètes ne doivent pas inciter les citoyens aux lamentations par le tableau de dieux et de héros s'abandonnant à ces sentiments (Achille pleurant Patrocle, Zeus Sarpédon).
c) [388e-389b] Les poètes ne doivent pas dépeindre les dieux riant sottement car le rire est inadmissible pour les dieux et les hommes : il nuit à l'équilibre de l'âme (désap­probation d'Homère).
d)[389bd, p. 140] Les simples citoyens ne doivent pas mentir. Seuls les chefs de la Cité peuvent mentir si c'est dans l'intérêt de la Cité.
e)[389d, pp. 141-142] On exaltera la résistance à la faim, la tempérance et la disci­pline et on écartera tous les passages célébrant la débauche des dieux et des hommes (plaisirs de la table et de l'amour : Zeus et Héra, Arès et Aphrodite).
f)[390e] Les guerriers ne devront pas être cupides.
g) [391d] Ils ne devront mépriser ni les hommes ni les dieux car le mal ne vient pas des dieux.
h)[392c] Les fabulistes commettent leur plus grave erreur quand ils louent l'injustice au détriment de la justice. Quand on aura examiné la nature de la justice, on pourra savoir ce qu'il convient de faire dire aux poètes.

2) [392c-398b, pp. 144-149] La forme des fables :
a)[392c] Classification des styles de récits, eu égard à l'imitation : - narratif simple (style indirect : « Homère dit que ») ; - imitatif dramatique (style direct du théâtre) - imitatif narratif et dramatique (tirades mêlées de récits, épopée).
b)[394e-397d, pp. 146-149] Choix à faire en vertu des objectifs de l'éducation des gar­diens : - [394e, pp. 146] Les gardiens ne doivent pas être des imitateurs car chacun ne doit exercer que la fonction qui lui est propre et parce que l'imitation devient habitude et l'habitude une seconde nature ; - [395d] On n'acceptera des récits que ceux qui sont à la forme simple et qui célèbrent les vertus nécessaires aux gardiens ; - [397d] On rejettera les formes mixtes parce que, dans la Cité juste, chacun ne doit avoir qu'une fonction (p. 149).
c) [398a] Conclusion : dans la Cité juste, on saluera comme un être sacré le poète-­imitateur et on l'enverra dans une autre ville après « avoir versé de la myrrhe sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes ».

3) [398b-399b, pp. 150-151] Parmi les chants et les mélodies accompagnant les fables, on n'admettra, dans la Cité juste, que la virile dorienne pour la guerre et la calme et noble phrygienne pour la paix. La musique est, en effet, au service des paroles, non l'inverse !

- B - 399b-402d, pp. 151-155. - Motifs de toutes ces mesures :
1) [399b-400e, pp. 151-152] Elles sont destinées à purifier la Cité et à exalter « la sim­plicité véritable d'un esprit qui allie la bonté à la beauté ».
2) [400e-402, p. 153] La peinture, l'architecture, l'éducation artistique en général doivent développer l'amour du beau et la haine du laid.
3) [402a-403c, pp. 154-155] Source « philosophique » des mesures précédentes :
a)[402b] L'éducation ici entrevue est le reflet et l'anticipation de l'éducation dialec­tique qui apprend à connaître les essences des choses.
b)[402d] Il en résulte, par exemple, que l'amour véritable aime avec sagesse : le plaisir sensuel en est exclus.

II - GYMNASTIQUE, MÉDECINE ET POLITIQUE (403c-412c, pp. 155-164)

- A - 403ce, pp. 155-156. - Importance de la gymnastique :
1) [403c] Débutée lors de l'enfance, sa pratique se poursuit tout au long de la vie, mais c'est l'âme qui doit diriger le corps.
2) [403e] Indications générales : - nourriture simple ; - tempérance alimentaire et sexuelle.

- B - 405a-410a, pp. 157-162. - Parallèle entre justice et médecine :
1) [405a] Un grand nombre de médecins et de juges prouve le dérèglement physique et moral d'une Cité.
2) [406c, pp. 158-160] Rôle de la véritable médecine : Dans la mesure où, dans la Cité juste, chacun a une fonction à remplir, le médecin n'est utile que pour redresser une santé momentanément compromise, non pour prolonger la vie d'incurables.
3) [408d-410a, pp. 160-161] Le bon juge et le bon médecin : Si le médecin guérit le corps, c'est par l'âme. Son traitement a d'autant plus de valeur si lui-même a été malade et a pu se guérir. Le juge, lui, soigne l'âme par l'âme. Il n'est expérimenté qu'à un grand âge car c'est à travers les autres seulement qu'il doit avoir connu l'injustice. Mais il est des hommes qu'on ne peut soigner ni amender. C'est pourquoi « on laissera mourir ceux qui ont le corps malsain et on mettra à mort ceux qui ont l'âme perverse et incorrigible ».

CONCLUSIONS DE I ET DE II (410b-412b, pp. 162-163)
Il faut réaliser un équilibre harmonieux entre la gymnastique et les arts des Muses sous la direction d'un chef chargé de régler le mélange entre les deux éléments de l'âme (le courageux et le philosophique).
Celui qui s'adonne seulement à la musique perd peu son courage s'il en avait. Celui qui se livre à la gymnastique et à la bonne chère sans se soucier de Lettres et de Philo­sophie, devient grossier, violent, sauvage.
Ainsi sont achevées les grandes lignes de l'éducation.

III - CHOIX DES CITOYENS QUI DOIVENT COMMANDER OU OBÉIR (412c-419b, pp. 164-168)

- A - 412c-414c, pp. 164-166. - Choix de l'élite :
1) [412c] Recrutement des chefs parmi les meilleurs des vieillards, ceux qui ont de l'intelligence, de l'autorité et du dévouement à l'intérêt public. Ils sont issus des gardiens.
2) [413c] Les gardiens futurs chefs devront posséder trois qualités nécessaires au bien de la Cité : - ne pas être ambitieux sous l'effet du temps ou du raisonnement ; - ni sous l'effet du chagrin et de la douleur ; - ni sous l'effet du plaisir ou de la crainte. On contrôlera la possession de ces qualités.
3) [414b] Ceux qui auront satisfait à l'ensemble des épreuves seront appelés « gardiens accomplis » et les autres « gardiens auxiliaires ».

- B - 414c-415c. - Pour que tout citoyen joue son rôle sans récriminer, on inventera un « noble mensonge » : le mythe des trois genres.
Si la contrée où se trouve la Cité est la mère de tous les Citoyens qui doivent la chérir, certains appartiennent : - à la race d'or : les gardiens accomplis et les magistrats ; - d'autres à la race d'argent : les gardiens auxiliaires ; - d'autres encore à la race de fer et d'airain : les artisans et les laboureurs. Leurs rejetons devraient leur être semblables mais il se peut que d'un genre naisse un enfant d'un autre genre puisque tous les citoyens sont frères.

- C - 415d. - Comment faire pour que les auxiliaires soient des bergers et non des loups pour les autres citoyens ?
Outre les précédentes mesures d'éducation, il faut que les gardiens vivent en com­munauté et ne possèdent rien en propre. Ils seront les salariés de la Cité car s'ils possé­daient des biens, et de l'argent, ils deviendraient aussi individualistes et hargneux que les laboureurs accrochés à leur lopin de terre. (Suite des exigences dans le livre IV)

 

LIVRE IV : BONHEUR DES GARDIENS SUBORDONNÉ À CELUI DE LA CITÉ ; PARALLÉLISME ENTRE LA JUSTICE DANS L'INDIVIDU ET LA JUSTICE DANS LA CITÉ

I - SOCRATE ET ADIMANTE : LA VIE DES GARDIENS ET LE BONHEUR DE LA CITÉ
(420a-427c, pp. 171-179)

- A - 420a-421d, pp. 171-173. - Le bonheur de la Cité tout entière passe avant celui des individus, fussent-ils gardiens.
À Adimante qui demande quelle source de bonheur ont les gardiens en dehors de leur salaire, Socrate répond qu'il est vrai qu'ils ne possèdent aucun bien personnel. Mais le but recherché est le bonheur de toute la Cité et non celui d'une de ses classes. Chacun doit garder sa fonction et surtout les gardiens.

- B - 421d-423c, pp. 173-174. - Suppression, dans la Cité, des divisions qui ont pour origine la richesse ou la pauvreté :
1) [421d] Parce que, dit Socrate, richesse et pauvreté perdent les arts et les artisans. L'artisan enrichi cesse de vouloir accomplir sa tâche. L'artisan appauvri ne peut se pro­curer tous les outils nécessaires et éduque mal ses enfants. Il faut donc éviter la richesse car elle « engendre le luxe, la paresse et le goût de la nouveauté ; la pauvreté, car elle engendre bassesse, méchanceté et goût de la nouveauté ».
2) [422a] Parce que, dans la guerre, une Cité non attachée à la richesse (« chiens solides »)pourrait mieux lutter contre des Cités corrompues par le luxe (« moutons gras et tendres ») et avoir plus facilement des alliés.
3) [423a] Parce que, dans toute autre cité, il y a deux factions ennemies : les riches et les pauvres.

- C - 423b-422e. - Les limites de la Cité doivent s'étendre jusqu'au point où elle court le risque de perdre son unité.

- D - 423e-425b, pp. 175-177. - Conditions de la validité de ces réformes : prise en charge, par la Cité, de l'éducation de la jeunesse et défiance envers les nouveautés­ :
1) [423e] Parce que l'enfance et la jeunesse acceptent plus facilement ces mesures.
2) [424b] On veillera à ne pas altérer cette éducation en y introduisant des éléments nouveaux en gymnastique et en musique car toute nouveauté entraîne des risques de sédition.
3) [424d] Les jeux et la conduite des jeunes gens doivent être réglés de sorte qu'ils favorisent la soumission aux lois et la vertu.
4) [425b] Motivation de ces mesures : « l'élan donné par l'éducation détermine tout »(p. 177).

- E - 425b-427b, pp. 177-179. - Inutile, dans une bonne cité, de s'attarder à un grand nombre de préceptes et de lois :
1) [425c] Parce que des honnêtes gens trouveront d'eux-mêmes les préceptes pratiques nécessaires aux affaires et à la justice, dit Socrate.
2) Parce qu'un grand nombre de préceptes est aussi peu efficace pour une cité malade qu'un grand nombre de remèdes pour un malade qui ne veut pas changer de régime.
3) [427ab] Parce que ces lois ou sont inutiles, ou découlent des instructions précédentes.
4) Pour tout ce qui regarde le culte, il suffit de s'en remettre à Apollon. La cité est donc fondée (p. 179).

II - GLAUCON ET SOCRATE : PARALLÉLISME DE LA JUSTICE DANS LA CITÉ ET DANS L'INDIVIDU (427c-444a, pp. 179-197)

- A - 427c-432a, pp. 179-187. - La justice dans la Cité.
1) [427c-31a, pp. 179-184] Les trois vertus de la Cité parfaite : - sagesse, c'est-à-dire, prudence dans les délibérations. Elle suppose la science et appartient aux gardiens qui sont à la tête de la Cité (p. 180, 428b) ; - courage, vertu des guerriers élevés dans le culte de la patrie par les arts des Muses et la gymnastique, qui laissent en eux des traces indé­lébiles (pp. 181-182, 429a) ; - tempérance qui maîtrise les passions inférieures, les équi­libre, et dont la répartition dans l'ensemble de la Cité est assurée par la classe inférieure (pp. 183-184, 430d).
2) [432b-434c, pp. 184-187] La justice, condition et complément des trois autres vertus. La justice est le principe « qui ordonne à chacun de remplir sa propre fonction ».Elle est donc à la fois le complément et la condition des autres vertus. L'injustice apparaît quand on ne remplit pas sa fonction dans la Cité, en particulier, quand un artisan tente de s'élever au rang de guerrier ou un gardien auxiliaire au rang de magistrat.

- B - 434d 439c, pp. 187-194. - La justice dans l'individu.
1) [434e-436a] Il y a probablement, dans l'âme comme dans la Cité, trois éléments (et non pas seulement deux : raison et passion) : - celui par lequel nous comprenons ; - celui par lequel nous nous irritons ; - celui par lequel nous désirons.
2) [436b-439c] La tripartition de l'âme se démontre quand on considère la lutte que les désirs se livrent entre eux et avec la raison. Ces trois éléments sont donc : - l'élément rationnel (Nous) ; -l'élément irascible ou cœur (Thumos) ; - l'élément concupiscible (qui porte sur les plaisirs) (Épithumétikon).         

- C - 439d-443d, pp. 192-197. - Correspondances entre individu et Cité.
1) [439e] La tripartition de l'âme est illustrée par l'exemple de Léontios, irrité par son désir, qu'il juge scandaleux, de voir des cadavres de suppliciés.
2) [441c] Aux trois parties de l'âme correspondent les trois vertus tant sociales qu'indi­viduelles : - la sagesse, vertu de l'intelligence et des chefs ; - le courage, vertu de l'iras­cibilité et des auxiliaires ; - la tempérance, maîtrise des désirs bas, vertu des artisans.
Il y a justice quand chaque partie de l'âme ou chaque citoyen assure sa fonction, c'est-à-dire quand le nous domine l'épithumétikon par l'intermédiaire du thumos. Le but du livre II est donc enfin atteint.

III - CONCLUSION : JUSTICE ET POLITIQUE (444a-445e, pp. 197-199)

- A - Être juste consiste à suivre l'ordre naturel, injuste, à se dresser contre la nature, c'est-à-dire, à bouleverser la hiérarchie des classes de la Cité ou des parties de l'âme.
- B - Il y a, en conséquence, une seule forme de nature vertueuse mais beaucoup de formes de vices.
Il y a beaucoup de mauvais régimes politiques mais il n'y a qu'un seul que l'on puisse qualifier de bon. Il est à la fois monarchique si l'on considère le rôle dévolu aux chefs, et aristo­cratique si l'on prend en compte l'aide que leur apportent les gardiens auxiliaires (N.B. il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce passage qui anticipe sur le livre VIII et faire comme si la terminologie politique n'avait pas évolué depuis Platon : dans la me­sure où, selon lui, le classement des citoyens dépend seulement de leurs aptitudes, cette conception peut, à bon droit, passer, aujourd'hui, pour démocratique).

 

LIVRE V : ORGANISATION DE LA CITÉ JUSTE PAR L'ÉGALISATION DES TÂCHES DES AUXILIAIRES, HOMMES OU FEMMES, ET LA COMMUNAUTÉ DE LEURS ENFANTS.
NÉCESSITÉ DE LA VENUE AU POUVOIR DE PHILOSOPHES-ROIS

- INTRODUCTION(449a-451c, pp. 203-205)
L'entretien est brusquement interrompu par Polémarque et surtout Adimante puis Glaucon qui supplient Socrate de laisser pour l'instant de côté le problème des institu­tions. Ils lui demandent de revenir au rôle des femmes dans la Cité et de décrire la conception de la prise en charge des tout jeunes enfants.

I - PREMIERE VAGUE RISQUANT DE SUBMERGER SOCRATE : ÉGALITÉ DE FONCTION DES HOMMES ET DES FEMMES (451c-457b, pp. 205-212)

- A - 451c-456b, pp. 205-211. - Cette réforme est possible :
1) [451d, pp. 205-206] Analogie biologique : les femelles des chiens ne diffèrent pas en nature mais en degré des mâles.
2) [452a] Si les femmes reçoivent la même éducation que les hommes (gymnastique, musique, art de la guerre), il est normal de leur faire assumer les mêmes fonctions, en tenant compte de leur plus grande faiblesse physique.
3) [453e] Eu égard aux fonctions d'administration, la différence entre sexes n'est pas plus essentielle que celle entre chauves et chevelus ! La spécialisation des femmes dans les tâches domestiques est donc injustifiée.

- B - 456c-4.57b, pp. 211-212. - Cette réforme est souhaitable.
Dans la Cité platonicienne, grâce à leur pratique des arts des Muses et de la gymnas­tique, les gardiens sont l'élite des hommes, les gardiennes l'élite des femmes. Leur bon­heur entraîne celui de la Cité tout entière.

II - DEUXIEME VAGUE : COMMUNAUTÉ DES FEMMES ET DES ENFANTS (457c-466d, pp. 212-222)

« Les femmes de nos guerriers seront communes toutes à tous : aucune n'habitera en particulier avec aucun d'eux ; de même, les enfants seront communs, et les parents ne connaîtront pas leurs enfants ni ceux-ci leurs parents. »

- A - 458c-460b, pp. 213-215. - Réglementation des bons mariages.
1) [458b] Le temps des fiançailles : « nécessité naturelle »d'une attraction mutuelle, grâce aux gymnases et autres lieux d'éducation, des gardiens et des gardiennes.
2) [459b] Les mariages :
a)Institution de mariages saints et avantageux : pour que les enfants soient « de bonne race » les parents devront être dans « la fleur de l'âge » : - 20 à 40 ans pour les femmes ; - 20 à 55 ans pour les hommes.
b)[460ab] Au cours de cérémonies collectives, tirage au sort, truqué par les magis­trats, pour favoriser les unions entre sujets d'élite et défavoriser celles entre sujets médiocres ; facilités d'accouplements accordées aux meilleurs guerriers.

- B - 460b-461d. - Sort des enfants issus de ces unions.
1) [460b] Procréation : dès leur naissance, les enfants des sujets d'élite, après une courte période d'allaitement par les mères, sont confiés à des nourrices des deux sexes. Les enfants des sujets inférieurs ou les inadaptés sont cachés en un lieu secret.
2) [461d] Communauté de parenté : tous les enfants d'une même génération sont frères et la génération antérieure est celle des « pères et mères ».

- C - 462a-466d, pp. 216-222. - Avantage et justification de cette communauté.
Dans la mesure où il n'est pas de « plus grand mal pour la Cité que ce qui la divise et la rend multiple au lieu d'une », et de plus grand bien « que ce qui l'unit et la rend une »(p. 217), il appert (il ressort avec évidence) que la famille traditionnelle, et son corollaire l'héritage, divisent les citoyens ; alors que la propriété et la famille étendues aux dimensions de la Cité, ou, tout au moins, de la classe des gardiens, les rassemblent, les unissent et les font vivre dans la concorde.

III - UNE APPLICATION DE LA COMMUNAUTÉ DE TÂCHES DES GARDIENS, DES GARDIENNES ET DE LEURS ENFANTS : LA CONDUITE À LA GUERRE (466e-471b, pp. 222-227)

- A - 466e. - Les enfants des gardiens assisteront aux combats pour prendre exemple sur leurs aînés mais ils seront exercés à s'enfuir rapidement en cas de danger.

- B - 468a-469a, pp. 223-224. - Le champ de bataille révélateur :
1) [468a] des actes de lâcheté : - les déserteurs seront relégués dans les classes infé­rieures ; - les prisonniers seront abandonnés à l'ennemi ;
2) [468b-469a] des actes de courage : - les soldats courageux recevront l'hommage des jeunes gens ; - ils pourront embrasser qui ils veulent ; - les morts recevront une noble sépulture.

- C - 468b-470a, pp. 2?-5-226. - Conduite à l'égard des ennemis.
Les guerriers devront distinguer entre les Grecs (même famille) et les Barbares (enne­mis véritables), d'où : - pas de mise en esclavage de Grecs par d'autres Grecs ; - pas de dépouillement de cadavres ; - pas de dévastation de territoires mais seulement confis­cation de la récolte de l'année.

IV - TROISIÈME ET PLUS HAUTE VAGUE : UN TEL ÉTAT NE PEUT NAÎTRE QUE SI « LES PHILOSOPHES DEVIENNENT ROIS OU LES ROIS PHILOSOPHES » (471c-480a, pp. 227-237)

Introduction-transition(471-c-473e, pp. 227-229).
Les considérations précédentes consistaient à construire le modèle d'une Cité juste, non à montrer que ce modèle est réalisable. Si l'on tient à poser le problème de sa réa­lisation, on dira qu'il suffit de faire une révolution par en haut et de placer à la tête de la Cité que l'on veut édifier des « philosophes-rois ».

- A - 473e-476e, pp. 229-232. - Nécessité d'unir philosophie et politique dans la per­sonne des chefs de la Cité.
1) [474ab] Paradoxe énorme, objecte Glaucon.
2) [474c-475e] Mais, répond Socrate, le philosophe est celui qui recherche la vérité tout entière et non, comme l'amoureux qui ne voit pas les défauts de celle qu'il aime, ou l'ivrogne qui accepte n'importe quel vin, une parcelle.
3) [476ad] Le philosophe est celui qui est capable d'aimer et de contempler les essences des choses. Par exemple, il s'élève à l'essence du beau et ne s'arrête pas aux multiples choses belles. Ceux qui s'arrêtent aux choses belles ne sont que des rêveurs « qui prennent le reflet d'une chose non pour un reflet mais pour la chose elle-même » (p. 232 :anticipa­tion de l'allégorie de la Caverne, voir note 343).

- B - 476e-480a, pp. 232-237. - De la distinction entre philosophes et hommes du com­mun suit la distinction entre philosophie et philodoxie puis celle entre connaissance et opinion.
1) [476e-477a] Trois objets de connaissance : - ce qui est (l'être) ; - ce qui est tout en n'étant pas et qui n'est pas tout en étant (le devenir) ; - ce qui n'est pas (le non-être, le néant).
2) [477b-479d, pp. 233-2351 Leur correspondent deux types de connaissance : - la science, contemplation de l'être et des essences ; - l'opinion, qui croit connaître les apparences, c'est-à-dire, ce qui est soumis au temps et qui tient donc « entre l'être absolu et le non-être absolu ».Elle est donc intermédiaire entre l'ignorance et la science.
3) [479e-480a, pp. 235-237] Et deux types d'homme : - l'homme du commun, qui voit la multitude des belles choses mais n'aperçoit pas le beau en soi, la multitude des choses justes mais sans voir la justice elle-même. C'est un philodoxe (ami de l'opinion) ; - le philosophe, capable de s'élever à la contemplation des essences : des choses belles au beau en soi, des choses justes à la justice, du multiple à l'unité.

 

LIVRE VI : LE NATUREL PHILOSOPHE EST NÉCESSAIRE AUX CHEFS DE LA CITÉ, MÊME SI AUJOURD'HUI ON NE LEUR CONFIE PAS LE POUVOIR. L'IDÉE DU BIEN, GUIDE DES PHILOSOPHES-ROIS

I - LES QUALITÉS NÉCESSAIRES AUX PHILOSOPHES-ROIS SELON SOCRATE (484a-487a, pp. 240-244)

- A - 484ad, pp. 240-242. - Pour quelles raisons confier le gouvernement de la Cité aux philosophes.
Seuls ils peuvent atteindre à la connaissance de l'immuable et posséder en leur âme un modèle lumineux grâce auquel ils éclairent, ici bas, les lois du juste, du beau et du bon pour les établir et les conserver.

- B - 485a-487a, pp. 242-244. - La nature des philosophes doit allier expérience et spéculation.
1) [485bc] Dispositions spéculatives : L'amour de la science tout entière (c'est-à-dire, de « l'essence éternelle qui n'est point soumise à la génération et à la corruption »),ce qui implique la disposition, dès leur jeunesse, à rechercher en tout la vérité, à fuir le men­songe, à préférer les plaisirs de l'âme à ceux du corps.
2) [485de] Dispositions morales : tempérance, élévation d'esprit, courage et mépris de la mort, justice et douceur.
3) [486ac] Dispositions intellectuelles : facilité à apprendre, bonne mémoire, esprit mesuré, enclin à rechercher l'essence de chaque chose.

Conclusion (486e-487a) : liaison entre elles de toutes ces dispositions.

II - EN RÉPONSE AUX OBJECTIONS D'ADIMANTE, SOCRATE EXPLIQUE POURQUOI,
DANS LES CITÉS ACTUELLES, ON NE CONFIE PAS LE POUVOIR AUX PHILOSOPHES
(487b-497a, pp. 244-254)

- A - 487b-490b, pp. 245-248. - On accuse, dit Adimante, les philosophes de perversité et de bizarrerie. Quand ils ne le sont pas, on estime qu'ils sont inutiles. Réponses de Socrate :
1) [488b] Première image : des matelots prétendent que gouverner n'exige pas de qualités particulières et ils se confient à un patron un peu sourd et un peu myope plutôt qu'à un connaisseur qu'ils mettraient d'ailleurs en pièces si celui-ci réclamait le comman­dement. De la prétendue inutilité des philosophes sont donc causes non les sages mais les peuples qui ne savent pas employer les talents des philosophes. Le peuple doit se confier au philosophe comme le malade à son médecin.
2) [489e-490b] C'est le plus grand nombre qui est pervers car il s'arrête aux apparences de l'opinion tandis que le philosophe recherche l'essence des choses.

- B - 490c-497a, pp. 248-254. - Les dégradations du naturel philosophe, causées par la multitude et ses flatteurs.
1) [491b-496e, pp. 248-252] En les utilisant pour des buts vils, la multitude pervertit définitivement l'âme des hommes aptes à la philosophie.
a)[491c) Aucun caractère, si brillant soit-il, ne peut résister aux pressions des préjugés de la multitude. Ceux qui auraient pu être philosophes deviennent les plus grands pervers et les plus grands criminels car les grands crimes et l'extrême perversité sont le fait de natures vigoureuses (pp. 249-250, allusion à Thrasymaque et à Alcibiade).
b) [492b-493e, pp. 250-251) Les sophistes sont les flatteurs du peuple. Ils savent com­ment satisfaire (deuxième image) « les appétits d'un animal grand et robuste » et ne peuvent en rien guider les futurs philosophes.
c) [294a] Il est impossible que le peuple soit philosophe car la foule ne peut admettre que « le beau en soi existe distinct de la multitude des belles choses ou les autres essences distinctes de la multitude des choses particulières ».
d) [494b-496a) Aucune chance de salut, dans un tel contexte, pour le naturel philosophe. Gâté par son éducation, sous l'emprise des flatteurs, il ne peut suivre sa vocation. Ceux qui étaient nés pour la philosophie s'en étant éloignés, d'autres s'introduisent auprès de cette orpheline et la déshonorent par leur indignité (p. 253).
2) [496be] « Bien faible reste donc le nombre de ceux qui peuvent avoir dignement commerce avec la philosophie » si ce n'est ceux qui, comme Socrate, ont une nature divine (pp. 253-254).

III - DANS UN GOUVERNEMENT FAVORABLE, LE PHILOSOPHE ASSURE SON SALUT ET CELUI DE LA CITÉ (497a-502, pp. 254-259)

- A - 497ad, pp. 254-255. - Ce gouvernement est celui dont Socrate a tracé le plan et qui doit conserver l'esprit de la constitution.

- B - 497e-502a, pp. 255-259. - Comment la Cité doit traiter la philosophie pour ne point périr.
1) [498a-499a] Ce n'est pas, comme aujourd'hui, aux adolescents qu'il faut donner une éducation philosophique, mais à des hommes d'âge mûr.
2) [499bd] Il faut qu'il y ait une heureuse nécessité qui contraigne le petit nombre de philosophes, que l'on prétend « inutiles »,à prendre la tête de la Cité.
3) [499e-500b] La multitude changera d'opinion si on éloigne de la philosophie ceux qui en sont indignes. Ceux dont la pensée s'applique à la contemplation des essences fixes et immuables n'ont pas d'animosité envers la multitude. Convenablement guidé, le peuple le comprendra.
4) [500c-502a] « Une cité ne sera heureuse qu'autant que le plan en aura été tracé par des artistes utilisant un modèle divin » de la justice, de la beauté et de la tempérance, et qui l'appliqueront à la copie qu'ils en feront. Ainsi sont balayées les objections.

- C - 502b, p. 259. - Condition de réalisation de ce programme : il suffit qu'un chef éclairé se sauve pour sauver sa Cité.

IV - C’EST PAR LA CONTEMPLATION DU BIEN QUE DOIT DÉBUTER L'ÉTUDE DES PHILOSOPHES (502d-511e, pp. 259-269)

- A - 502b-504a, pp. 260-262. - La « longue route » des philosophes-rois.
Ils devront, par de hautes études, rechercher le modèle parfait dont devra s'inspirer toute cité, nécessairement imparfaite, qui en sera la copie.
- B - 505a-510d, pp. 262-269. - L'Idée du Bien, la plus haute des connaissances.
1) [505b-506e] Pour fonder une cité juste, les gardiens devront avoir en vue une idée précise du Bien et repousser les conceptions vulgaires qui assimilent le Bien au plaisir et même celles qui le restreignent à l'intelligence (pp. 264-267).
2) [506e-509b, pp. 264-267] Le Bien est, dans le monde intelligible, ce que le soleil est dans le monde sensible
a)[507be] Rappel des antécédents de la dialectique : Il y a de multiples choses belles, de multiples choses bonnes, mais nous appelons « beau en soi, bien en soi, l'être réel de chacune des choses que nous posions d'abord comme multiples » ;
b) [508a-509d] Analogie entre le soleil et le Bien. Le soleil éclaire le monde sensible et, en même temps, est vu par l'œil qui, dans le monde sensible, équivaut à l'intelligence dans le monde intelligible. - L'Idée du Bien joue, dans le monde intelligible, le rôle du soleil dans le monde sensible : elle éclaire l'intelligence et est comprise par elle. Le Bien donne aux choses intelligibles « leur être et leur essence », quoiqu'il ne soit pas leur essence mais bien au-dessus de cette dernière.
3) [509c-510b, pp. 267-269] Interprétation de l'analogie : les domaines de la connaissance :
a) Le reflet est à l'original ce que l'opinion est à la science. De la science à l'opinion, l'Idée du Bien se reflète et se dégrade en copies de copies ;

On peut schématiser ainsi le texte de Platon :

image

et en détaillant :

 

Monde sensible

Monde intelligible

 

       Inférieur

       Supérieur

       Inférieur

     Supérieur

 

Objets
connus

Reflets des objets
(eikones : images)
Ex. : reflet dans l’eau
de la roue

Objets et êtres
Existants
Ex. : la roue du char

Schémas
Hypothétiques
Ex. : le cercle du
géomètre

Idées
anhypothétiques
(c-à-d certaines, dont
on ne peut douter)

Facultés

Perceptions des
reflets (eikasia)

Opinion sur les
données des sens
(pistis)

Connaissance
discursive telle
celle des mathé-
matiques (Dianoia)

Contemplation du
Bien et des Idées
qui en dépendent
(Noésis)

Types de
 citoyens

Philodoxes

Philosophes

Si on lit le tableau ci-dessus, de gauche à droite, on voit qu'on progresse vers la réalité et l'unité, de droite à gauche, qu'on régresse vers les reflets et la multiplicité. Autrement dit, de droite à gauche, on se dirige de l'unité vers la multiplicité ou encore du modèle vers les copies, puis des idées anhypothétiques vers les schémas hypothé­tiques, puis des schémas hypothétiques vers les objets existants au sens courant, puis, enfin, des objets existants à leurs images.

b) [510c-511e, pp. 268-269] Les deux phases de la connaissance intelligible (discursion et contemplation). L'objet des mathématiques est, certes, intelligible, car les figures tem­poraires que dessinent les géomètres ne leur servent que pour raisonner sur des essences (le carré en soi, la diagonale en soi, etc.). Mais le mathématicien est inférieur au dialec­ticien car l'objet des mathématiques est hypothétique (tout système mathématique repose sur des conventions de départ, des postulats). Le dialecticien, lui, vise à la contemplation des essences anhypothétiques. La connaissance discursive (dont les mathématiques sont le fleuron) est donc intermédiaire entre l'opinion et la science.

 

LIVRE VII : COMMENT DEVRONT ETRE SCIENTIFIQUEMENT ÉDUQUÉS LES FUTURS MAGISTRATS CHARGÉS DE LA CONDUITE DE L'ÉTAT ET DE L'ÉDUCATION DU PEUPLE

I -  L'ALLÉGORIE DE LA CAVERNE (514a-521c, pp. 274-279)

Elle est destinée à faire comprendre l'état d'esprit de l'homme avant l'éducation, l'état d'esprit de celui qui a passé par toutes les phases de l'éducation et la méthode éducative elle-même.

- A - 511a-517a, pp. 274-275. - Le récit
Au fond d'une caverne sont enchaînés des prisonniers. Derrière eux, monte une longue pente vers la sortie. Vers l'extrémité de cette pente, mais encore à l'intérieur, brûle un grand feu. En deçà de ce feu, des hommes, à l'abri d'un mur, portent, en parlant de petites statues d'hommes et d'animaux qui dépassent le niveau du mur.

De ces statues, ou marionnettes, les prisonniers ne voient que les ombres projetées sur le fond de la caverne. Des paroles échangées par les montreurs de marionnettes, ils n'entendent que l'écho.

Qu'un prisonnier brise ses chaînes, se retourne, gravisse la pente jusqu'au mur : il verra alors les marionnettes elles-mêmes. Elles seront, pour lui, les originaux, les mo­dèles dont les ombres de la caverne n'étaient que des copies.

Découvrant le feu, franchissant le mur et continuant sa marche, il verra que les marionnettes ne sont que des copies des montreurs. Sortant de la caverne, il découvrira qu'elles reflètent les hommes et les animaux vivant à l'extérieur et que le feu n'est qu'une copie du soleil.

Dépassons encore ce stade : on comprend que les objets et les êtres du monde sensible ne sont que les copies des Idées et que le soleil est, comme on l'a compris précédemment, l'image sensible du Bien intelligible.

On peut, si l'on veut, figurer de dessous et de profil ce récit pour le rendre encore plus parlant.

-

image

- B - 517a-521c, pp. 275-280. - L'interprétation
1) [517a c] Correspondances générales entre le texte sur le Bien (fin du Livre VI) et l'allé­gorie : l'original est à la copie ce que le Bien est au soleil, le soleil au feu, les montreurs aux marionnettes, les objets du monde sensible à leurs ombres, les paroles à leurs échos.
2) [517a-518b, p. 276] Les philosophes qui ont eu la joie de contempler la clarté de l'Idée du Bien semblent ridicules lorsqu'on leur demande, par exemple dans les tribu­naux, de disputer sur les ombres de la Justice. Leur vue souffre d'être passée de la lumière à l'ombre, alors qu'auparavant ils souffraient d'être passés de l'ombre à la lumière.
3) [518bd, p. 277] C'est « avec l'âme tout entière » que doit s'opérer la conversion vers le Bien.
4) [518e-519b] Si, dès l'enfance, on éduque avec discernement les talents de l'âme, celle-­ci pourra alors être en mesure de distinguer le Bien.
5) [519ce] Ne seront capables de diriger convenablement l'État ni les gens sans cul­ture ni ceux qui auront consacré à la culture toute leur vie. C'est pourquoi il faut con­traindre ceux, qui auront été capables de contempler le Bien « de redescendre auprès des prisonniers »,car, ne l'oublions pas, on doit faire le bonheur non d'une classe mais de la Cité tout entière.
6) [520a-521c] Cette mesure n'est pas une injustice car ces philosophes-là auront des devoirs envers la Cité qui a pourvu à leur éducation. Ils paieront leur dette en redescen­dant dans la Caverne parce qu'ils sont les seuls à même de gouverner une réalité d'État et non un rêve d'État. Un tel État ne sera parfait qu'à condition que ceux qui le gouvernent accomplissent leur tâche non par ambition mais par devoir.

II - LES ÉTUDES DES FUTURS PHILOSOPHES MAGISTRATS (521d-534e, pp. 280-293)

- A - 521d-522b, p. 280. - Introduction
Pour parvenir à la conversion de l'âme vers ce qui existe éternellement, ne peuvent plus suffire la gymnastique puisqu'elle « veille au déve­loppement du corps et à son dépérissement », ni la musique et la culture littéraire qui concernent aussi ce qui périt ; encore moins, on s'en doute, les métiers artisanaux, mais...

- B - 522c-531c, pp. 281-288. - Les disciplines discursives préparatoires de portée universelle :

1) [522c-526c, pp. 281-285] L'Arithmétique :
a)[522ce] Parce qu'aucun métier, et en particulier l'art de la guerre, ne saurait s'en dispenser ;
b)[522e-524d] La perception, tactile ou visuelle, nous donne sur le monde des indica­tions contradictoires. Un même objet nous paraît, tour à tour, lourd ou léger, mou ou dur, grand ou petit. Seule l'intellection (l’activité de l'intellect) nous fait comprendre la nature de la quantité. La per­ception concerne, en effet, le monde sensible, l'intellection, le monde intelligible ;
c) [524e-525a] En nous faisant comprendre ce qu'est l'unité en elle-même, l'arithmé­tique attire l'âme vers la vérité ;
d) [525b-526c] Elle convient donc puisqu'en ont besoin le guerrier et le philosophe, ce que doivent à la fois être les gardiens. Bien entendu, on en exclura ses applications vulgaires et on n'en retiendra que ce qui aide à la contemplation du vrai.

2) [526d-527c, pp. 285-286] La géométrie plane :
Il n'y a pas de doute qu'elle sert aux stratèges pour « l'établissement d'un camp, le siège d'une place, un plan de bataille, etc. ».Mais il ne faut se restreindre ni à cette géométrie utilitaire ni à celle des métreurs et des architectes. La géométrie intéresse les philosophes parce qu'elle fait connaître des figures pures et éternelles, « ce qui toujours existe, et non pas ce qui, à un moment donné, com­mence ou finit d'être quelque chose ».

3) [527b-530d, pp. 286-287] L'Astronomie et la Stéréométrie (ou Géométrie des solides) :
a)[527d-528a] Glaucon pense qu'on doit aussi étudier l'astronomie à cause de son uti­lité pour le découpage du temps, l'agriculture, la navigation et l'art militaire. Socrate le détrompe : Glaucon n'a cité que l'astronomie perceptive. Or l'astronomie ne doit être considérée que dans sa contribution à l'intellection ;
b) [528ae, p. 287] Dans sa précipitation, Socrate a commis une erreur de méthode après la géométrie en deux dimensions, c'était la géométrie en trois dimensions, ou sté­réométrie, qu'il fallait apprendre. Malheureusement, l'absence d'intérêt pour elle des gouvernements actuels n'a pas encore rendu possible la constitution de cette discipline en science. Vient logiquement après elle une géométrie dont l'objet est l'étude des solides en mouvement, c'est-à-dire, l'astronomie ;
c) [528-530d, p. 288] Glaucon pense alors qu'on doit étudier l'astronomie parce qu'elle amène à considérer les choses d'en haut... Nouvelle erreur, réplique Socrate : Glaucon demeure dans le domaine de la perception. On ne doit considérer les mouvements des corps célestes que comme une approximation grossière (analogue à l'approximation que constituent les figures de géométrie tracées sur un tableau) des corps intelligibles en trans­lation, si l'on veut pratiquer l'astronomie réelle, c'est-à-dire intelligible.
4) [530d-531c, pp. 289-290] L'Harmonique :
Elle doit être étudiée à la manière de l'astro­nomie. Non avec l'oreille comme en use le vulgaire qui reste ainsi dans le monde sen­sible, mais avec l'intellect, c'est-à-dire en recherchant ce que cette discipline a en commun avec l'arithmétique : les nombres.

- C - 531d-534e, pp. 290-293. - La Dialectique, couronnement et synthèse des études, des futurs philosophes-magistrats.
1) [531d-534e, pp. 290-291] Les études précédentes ne sont que le prélude dont la dialec­tique est le chant. Ces disciplines n'ont, en effet, d'avantage que si on se rend capable de discerner ce qu'elles ont en commun. Or bien rares, même parmi les experts de ces disci­plines, sont ceux qui savent dialoguer, saisir l'essence de chaque chose et parvenir au Bien, terme du monde intelligible.
2) [532b-533d, p. 291] Le prisonnier de la Caverne, même délivré de ses chaînes, ne parvenait, dans un premier temps, à fixer son regard seulement sur les apparences et non sur les réalités. Il a fallu, jusqu'ici, écarter tous les arts d'apparences. Il faut, mainte­nant, comprendre que les sciences préparatoires, telles la géométrie, ne peuvent atteindre le fondement de la réalité : elles reposent, en effet, sur des hypothèses.
3) [533d-534e, p. 292] La Dialectique, sommet de la hiérarchie des connaissances. La dialectique ne peut se contenter d'hypothèses. Elle recherche le principe. Il est maintenant opportun d'indiquer sa place dans la théorie des connaissances (533d-534b) :

Intellection

1ère   section :  Science
2e      section :  Discursion

Domaine
de l’Être

Opinion

3e      section :  Créance (croyance)
4e      section :  Simulation

Domaine
du Devenir

image

La discursion comprend les disciplines que l'on a, jusqu'ici, appelées, par habitude « sciences ». Ce qu'on dénommera, désormais, « Science » relève de la dialectique. Le dialecticien « saisit pour chaque chose la raison de son essence ». Quant à la contempla­tion du Bien, elle est nécessaire pour rassembler en elle toutes ces raisons.

III - LA SÉLECTION DES PHILOSOPHES-ROIS (535a-540, pp. 293-300)

- A - 535a-536, pp. 293-294. - Précautions préliminaires.
Dans la classe des gardiens, on recherchera non seulement ceux qui font preuve de facilité à apprendre et de bonne mémoire mais surtout ceux qui aiment se donner de la peine pour des études très exigeantes. C'est pourquoi on rejettera les « fils bâtards » de la philosophie, c'est-à-dire, d'une part, ceux qui ne se donnent de la peine que pour les exer­cices du corps, d'autre part, ceux qui négligent de rechercher toujours la vérité, et enfin ceux qui ne pratiquent pas toutes les vertus. A ces conditions seulement l'État sera gou­verné avec justice.

On recrutera les futurs magistrats dès leur jeunesse car c'est la jeunesse qui possède l'endurance nécessaire à un tel cursus.

 

- B - 536d-537c, p. 295. - De l'éducation par le jeu à l'éducation par la raison.
Ce n'est pas pendant l'enfance qu'on doit donner l'éducation dialectique. L'éducation pré-dialectique se dispense sous forme de jeux, car si on peut imposer au corps des exercices physiques, on ne peut imposer à l'âme la vérité. L'enfance sera donc une période d'observation pendant laquelle on s'efforcera de repérer les meilleurs tempéraments, par exemple à l'occasion des guerres Ce n'est que vers l'âge de vingt ans, car, auparavant les exercices physiques, par la fatigue qu'ils occasionnent, nuisent à l'acquisition des connaissances, d'autant plus qu'il faudra rassembler ces connaissances « en vue d'une ­vision d'ensemble ». « Le dialecticien est, en effet, celui qui a une vision d'ensemble. »

- C - 537d-539e, pp. 296-297. - Quand ils auront atteint trente ans environ, seront dési­gnés, s'ils ont renoncé à l'usage de leurs sens, ceux qui sont aptes à la Dialectique.
Mais il convient de prendre, ici, une précaution capitale : le discrédit dans lequel tombe souvent la philosophie provient de ce qu'on a présenté trop tôt la Dialectique à des jeunes gens. Si on la leur présente, en effet, à l'âge des jeux, ils ne se servent de l'art d'argumenter que pour réfuter à tort et à travers. Ils tournent en dérision les sages maximes des ancêtres dont l'autorité les impressionnait enfants. Ils finissent par ne plus croire en rien, tels des enfants adoptifs qui, ayant percé le mystère de leur naissance, ne respectent plus ceux qui les ont élevés et tombent sous la coupe des flatteurs.

- D - 539ed, p. 298. - Entre trente et cinquante ans, les gardiens sélectionnés redescen­dront dans la Caverne pour y prendre des responsabilités militaires.
Agés de cinquante ans, ceux qui auront fait l'objet d'une nouvelle sélection pourront contempler la lumière du Bien. Quand viendra leur tour de gouverner, ils se serviront de ce modèle dans l'intérêt de l'État et des particuliers en consentant à se consacrer aux affaires publiques. Après leur mort, la Cité leur rendra des honneurs magnifiques.

IV - CONDITIONS DE RÉALISATION DE LA CITÉ JUSTE (540d-541b, p. 299)

Son édification, on l'a compris, est très difficile car elle dépend très étroitement de l'éducation. Aussi ne deviendra-t-elle possible que le jour où l’on décidera de ne conserver, dans la future Cité, que les enfants de moins de dix ans : ce sont eux seuls qui ne sont pas corrompus par les mœurs actuelles. Ainsi se terminent les propos sur la Cité juste et les hommes qui lui correspondent.

 

LIVRE VIII : LES DÉGRADATIONS SUCCESSIVES DES GOUVERNEMENTS ET DES HOMMES, DE LA TIMARCHIE À LA TYRANNIE

INTRODUCTION-TRANSITION (543a-544b, pp. 303-305)

1) [543ac, p. 103] Socrate rappelle à Glaucon qu'ils s'étaient accordés sur les condi­tions nécessaires à l'établissement d'un bon gouvernement : communauté des femmes et des enfants, éducation identique pour les deux sexes, communauté économique pour les gardiens, pouvoir aux meilleurs.
2) [543c-544b] Glaucon, quant à lui, rappelle que, selon Socrate, ce type d'État et les hommes qui y vivent sont les meilleurs. À l'opposé, existent quatre formes défectueuses de gouvernements et d'hommes que Socrate n'a pas, jusqu'ici, eu le loisir d'analyser. Glaucon souhaite que Socrate développe maintenant son point de vue sur ce sujet.
3) [544c-545b, pp. 304-305] Socrate accepte et remarque qu'existent en effet ces quatre sortes de mauvais gouvernements ainsi que des formes intermédiaires. Ce sont, par ordre de dégradation : la timarchie[1], l'oligarchie, la démocratie, la tyrannie. Il y a donc, en tenant compte du bon gouvernement (monarchique et aristocratique), cinq formes de gouver­nements et de tempéraments. On examinera lequel est le plus juste et procure le plus de bonheur.

I - DE L'ARISTOCRATIE À LA TIMARCHIE (545c-550c, pp. 305-309)

- A - 545c-548d, pp. 305-308. - La dégradation de l'aristocratie en timarchie.
1) [545c-547b] Elle a son origine dans l'impossibilité d'organiser toujours, dans la Cité idéale (aristocratique), des unions parfaites entre les gardiens. D'unions imparfaites naî­tront des enfants où se mêleront l'argent et le bronze à l'or, le fer à l'argent. Ainsi naîtront des dissensions entre ces nouveaux gardiens parce que certains d'entre eux subor­donneront l'esprit (Nous)au cœur (Thumos).
2) [547bc, p. 306] Les gardiens chez lesquels domine l'esprit et ceux chez lesquels domine le cœur s'accorderont dans un compromis : abolition de la communauté des biens, instauration de propriétés privées, asservissement des artisans.
3) [547d-548d, p. 307] Naît alors un régime intermédiaire entre l'aristocratie et l'oli­garchie, dans lequel des gardiens se disputent entre eux, tantôt pour l'honneur, tantôt pour l'accroissement de leurs richesses. Dans ce régime dominent les ambitieux.

- B - 548d-550c. - L'homme timocratique.
1) [548d-550c] Sa nature : dédaigneux du raisonnement, passionné pour la chasse et pour la gymnastique, docile aux supérieurs, féroce envers les inférieurs, il aime les honneurs quand il est jeune, la richesse à l'âge mûr.
2) [549c-550c] Genèse de son caractère : adolescent, il est soumis aux influences contradictoires d'un père vertueux mais sans ambition et d'une mère navrée que son mari ne soit point riche. Tiraillé entre l'esprit, incarné par son père, et le désir incarné par sa mère, il recherche tout d'abord les honneurs.

II - DE LA TIMARCHIE À L'OLIGARCHIE (550c-555b, pp. 309-312)

- A - 550c-551b. - Passage de la timarchie à l'oligarchie.
Si l'oligarchie (en propre, système de gouvernement où le pouvoir est aux mains de quelques privilégiés) est caractérisée par le gouvernement des riches sur les pauvres, c'est parce que, au cours de la timarchie, le goût pour l'enrichissement a fini par prendre le pas sur la vertu. Les affairistes se substituent aux ambitieux. Le critère pour appartenir à la classe dirigeante devient alors un seuil de fortune.

- B - 551b-553a, pp. 310-312. - Les défauts du régime oligarchique.
La fortune est un critère absurde pour gouverner. On s'en rend compte si on l'applique à la direction d'un navire : il est évident que le plus riche n'est pas forcément le plus compétent. Qu'un État soit gouverné par des riches entraîne inévitablement la division des citoyens entre deux groupes antagonistes : les riches et les pauvres. Lors d'une guerre, les riches hésiteront à employer les pauvres de crainte qu'ils ne se rebellent.
Mais surtout un tel régime ne comporte plus la stabilité des classes nécessaires à la cohésion de l'État. Chacun étant libre d'acheter ou de vendre, peut changer sans cesse de fonction. Plus grave, ce libéralisme économique et politique entraîne dans la pauvreté la grande masse des citoyens, dont certains sont réduits à devenir coquins ou mendiants.

- C - 553a-555b, pp. 312-313. - L'homme oligarchique.
1) [553ae] Un exemple de la manière dont un jeune homme acquiert un comportement oligarchique : ayant vu son père, qui a lutté pour le service de la Cité, être payé d'ingra­titude, il ne croit plus à l'honneur et il emploie désormais les ressources de son esprit à accumuler des richesses.
2) [555ab, p. 313] Dès lors, sa conduite ressemble à celle du régime oligarchique : il ne pense qu'à thésauriser ; ses désirs sont semblables à ceux des mendiants ou des coquins. Homme double, sa noble apparence contraste avec ses désirs cupides.

III - DE L'OLIGARCHIE À LA DÉMOCRATIE (552b-562a, pp. 314-321)

- A -555b-558c. - Genèse et nature de la Cité démocratique.
1) [555b-557a] Origine de la démocratie (en propre, gouvernement où le peuple exerce la souveraineté) : le désir insatiable de richesse perd l'oligar­chie. Les gouvernants ne se soucient plus de réglementer l'acquisition des fortunes. Bien­tôt, quantité de citoyens, déshonorés ou réduits à la pauvreté, complotent contre les riches gouvernants. À la faveur d'une guerre ou d'une révolution (quand le parti oligar­chique appelle à son secours une autre cité oligarchique ou quand le parti populaire s'assure le soutien d'une cité démocratique) les pauvres s'emparent du pouvoir.
2) [557a-558b] Le régime démocratique : il proclame comme principes l'égalité et la liberté. Il n'est, en fait, qu'un « bariolage » des autres régimes. N'importe qui peut se permettre d'accéder à la magistrature. Les mauvais gouvernants ne sont pas sanctionnés. On ne se soucie plus de la compétence des magistrats puisque sont portés au pouvoir les flatteurs des désirs populaires.

- B - 558d-562e, pp. 318-321. - L'homme démocratique.
1) [558d-559d] Comment un fils d'oligarque devient démocrate. Il a développé en lui les plaisirs non nécessaires. Les désirs nécessaires sont ceux dont la satisfaction contri­bue à la vie, qu'il s'agisse de la nourriture ou de l'amour. Mais s'il n'est pas convenablement éduqué, il se laissera soumettre à des désirs non nécessaires de nourritures qui flattent le palais mais sont dangereuses pour le corps et d'amours frelatés comme ces nourritures.
2) [559d-561a, p. 319] Dans la bataille qui se fait en lui de désirs antagonistes, les désirs superflus l'emportent sur les nécessaires. Le jeune homme qualifie alors de stupi­dité la honte, de lâcheté la sagesse, de rusticité la modération et, inversement, de distinc­tion la démesure, de dignité d'homme libre le refus de l'autorité, de grandes manières le libertinage et de virilité l'impudence.
3) [561a-562a, pp. 320-321] Ballotté entre des tendances opposées, ne poussant guère la réflexion, il satisfait tantôt les unes, tantôt les autres, en parfait égalitariste, à la nature bariolée comme celle du régime dans lequel il baigne.

IV - DE LA DÉMOCRATIE À LA TYRANNIE (562a-569c, pp. 322-330)

- A - 562a-564a, pp. 322-324. - Comment la démocratie se change en anarchie.
De même que l'insatiable désir de richesse précipita l'oligarchie dans la démocratie, de même l'insatiable désir de liberté précipite maintenant la démocratie dans la tyrannie (en propre, gouvernement d'un tyran).
Le refus de toute autorité conduit, en effet, les citoyens d'une démocratie à se révolter contre des gouvernants sans envergure. Dans une telle conjoncture, le fils ne craint plus son père ; le père, par peur de son fils, adopte les opinions de celui-ci. Chacun se pro­clame l'égal des autres, même s'il s'agit d'un étranger ou d'un esclave. La notion même de loi est rejetée et le trop-plein de liberté s'apprête à se changer en excès de servitude.

- B - 564b-565d, p. 324. - De l'anarchie à l'appel au tyran.
Les paresseux, les coquins et les pauvres, écartés du pouvoir par les oligarques, essaient, avec le concours des orateurs de la plèbe et à l'aide des deniers de parvenus, de prendre ce pouvoir. Pendant ce temps, d'anciens riches, ruinés par les parvenus, tentent, eux, de reconquérir leurs fortunes et de se maintenir au pouvoir. Lassé de ces dissensions, le peuple fait alors appel à un homme providentiel, rendant ainsi possible l’avènement du tyran.

- C - 565d-570, pp. 325-330. - L'avènement du tyran.
Celui qui s'est gagné la confiance du peuple ne tarde pas, pour exercer pleinement son nouveau pouvoir, à bannir, voire à mettre à mort ses propres amis. Il s'entoure de gardes pour assurer sa sécurité. Il organise sans cesse des guerres pour satisfaire de rares amis et éliminer un nombre qui va croissant d'ennemis. Allant jusqu'à recruter des mercenaires étrangers, il supprime les citoyens les plus estimables et se débarrasse de ses rivaux potentiels.
Pendant ce temps, les poètes chantent ses louanges : preuve supplémentaire qu'il faut décidément les éloigner de la Cité... Quand le peuple se rend enfin compte qu'il a été dupé, il ne peut plus se révolter car il n'a plus d'armes. Le tyran élimine alors son « père », le peuple qui l'a porté au pouvoir : cet homme est donc, sans conteste, un parricide.

 

LIVRE IX : MISÈRE DU TYRAN ET BONHEUR DU JUSTE

I - GENÈSE ET NATURE DE L'HOMME TYRANNIQUE (571a-576b, pp. 333-338)

- A - 571a-572b, p. 333. - Approfondissement de la réflexion sur les désirs.
1) [571a-571b] Parmi les désirs superflus, certains sont dangereux si le raisonnement ne lutte pas contre eux. Tels sont les désirs d'inceste ou de meurtre qui apparaissent dans le sommeil.
2) [571b-572b] L'homme raisonnable ne satisfait qu'en rêve de tels désirs.

- B - 572b-573d, p. 334. - De l'homme démocratique à l'homme tyrannique.
L'homme démocratique imite, dans sa jeunesse, son père oligarque qui n'estimait que « les désirs relatifs aux biens de fortune ».Puis, sousl'influence de débauchés, il s'abandonne à la luxure et vit dans la démesure.

- C - 573d-576b, pp. 335-338. - Le genre de vie de l'homme tyrannique.
1) [573d-574c] Pris d'une fringale de festins et de maîtresses, s'abandonnant aux désirs les plus vils, il accumule les dettes. Pour les rembourser, il puise par violence dans la bourse de ses parents.
2) [574c-575a, p. 336] Pour un mignon, il sacrifie son père, pour une maîtresse, sa mère. Il consent, enfin, à se livrer dans la réalité aux actes qu'il ne commettait jusque là qu'en songe.
3) [575b-576b, p. 337] Quand il rencontre des compagnons de son acabit, il forme avec eux une bande de voleurs, d'escrocs ou de faux témoins qui se met au service d'un des­pote étranger ou d'un candidat à la tyrannie dans leur propre pays. Serviles devant les puissants, odieux aux faibles, ces jeunes gens sont incapables « de goûter à la liberté et à l'amitié authentiques ».

II - LA PIRE CONDITION EST CELLE DU TYRAN, LE PIRE RÉGIME LA TYRANNIE (576c-588a, pp. 338-352)

- A - 576c-577b, p. 338. - Introduction.
Si on poursuit le parallèle entre individus et États dans lesquels ils vivent, on en déduit que le bonheur le plus grand est éprouvé par l'individu royal dans un régime aris­tocratique alors que le tyran connaît, dans le régime tyrannique, le plus grand malheur, affirme Socrate à Glaucon (qui succède à Adimante).

- B - 577c-588a, pp. 339-350. - Les arguments de Socrate.
1) [577c-580c] Servitude de l'homme tyrannique et du tyran :
a)[577c-578d] Tous les habitants d'une cité tyrannique vivent au milieu de désirs jamais rassasiés et de craintes continuelles ;
b)[578d-580a, p. 341] La vie du tyran est semblable à celle d'un particulier tyrannique qui, possesseur d'un grand nombre d'esclaves, retiré dans un endroit désert avec sa famille et ses biens, aux prises avec des voisins envieux, vivrait dans un encerclement d'ennemis extérieurs et intérieurs comme dans une prison. Il se croit maître. Il est, en fait, l'esclave de ses serviteurs et de ses mercenaires qu'il est contraint de flatter. Plein de désirs, il ne peut les satisfaire ;
c) [580 bc, p. 342] Il est donc aisé de conclure qu'il est plus malheureux que l'homme oligarchique, celui-ci plus que l'homme timocratique et ce dernier plus que l'homme royal.
2) [580d-586e, p. 343] Ce qu'on en peut dire si on se réfère à la tripartition de l'âme :
a)[580d-581e] « Puisqu'il y a dans l'âme trois fonctions, il y a aussi trois sortes de plaisirs, trois sortes de désirs et trois sortes de principes d'action »,et également trois espèces d'hommes :

       Fonctions

     Parties de l'âme

     Plaisirs et désirs

           Hommes

de connaissance
(Nous)

Amie de la sagesse

de connaître
et d'être sage

Ami de la sagesse
ou Philosophe

d'ambition
(Thumos)

Amie du triomphe

de dominer et de
rechercher les honneurs

Ami du triomphe

de désir
(Epithumia)

Amie du gain

d'amour, de nourriture
etde richesses

Ami du gain

Chacun de ces trois hommes glorifie le plaisir qui lui est propre et méprise les deux autres types de plaisirs ;
b)[581e-583b, p. 344] La supériorité du philosophe : le philosophe l'emporte sur les deux autres parce qu'il développe le plus, en lui, l'expérience et le raisonnement. Il est donc supérieur au guerrier qui, lui, est supérieur au commerçant ;
c) [583c-586e, pp. 346-350] La supériorité du plaisir philosophique : la plupart des plaisirs ne sont que des simulacres de plaisir. Quand on fait consister le plaisir en cessa­tion de douleur, on ne désigne ainsi que le repos. On peut interpréter celui-ci autant comme cessation de plaisir que comme cessation de douleur. Le repos n'est donc pas une réalité mais un simulacre de plaisir. Les prétendus plaisirs sont ceux « qui passent par le corps pour atteindre l'âme »afin de combler un vide du corps. Le plaisir véritable s'atta­che, lui, non, à ce qui est corporel, donc périssable, mais à ce qui est éternel. Ce plaisir naît de la contemplation de la vérité immuable. C'est pourquoi celui qui ne se satisfait que des désirs du thumos (l’élément irascible de l’âme, susceptible d’emportement, de colère, de courage) et de l'épithumia (l’élément concupiscible de l’âme, siège du désir et des passions) ne connaît pas le vrai plaisir qui ne peut s'éprouver qu'à condition que l'on subordonne thumos et épithumia au nous (l’élément rationnel de l’âme, l’intelligence), à l'esprit.

- C - 586e-588a, pp. 350-352. - L'infinie supériorité du bonheur royal.
Obéissant avant tout à la partie rationnelle de l'âme, le nous, le roi éprouve le plus grand plai­sir. Le tyran, qui se soumet à la partie la plus irrationnelle de l'âme éprouve « la vie la plus dépourvue d'agrément ».Un « simple calcul » donne l'idée de l'immense distance qui sépare le roi du tyran : - le tyran est éloigné de trois rangs de l'oligarque : 1) oligarque, 2) démocrate, 3) tyran ; - l'oligarque est éloigné de trois rangs du roi : 1) roi, 2) timo­crate, 3) oligarque ; - le tyran est donc éloigné de neuf rangs du roi (3 x 3) et son plai­sir est éloigné de celui du roi de 729 rangs (9 x 9 x 9) !

III - RUINE DE LA THÈSE SELON LAQUELLE IL EST AVANTAGEUX DE COMMETTRE L'INJUSTICE « QUAND, ÉTANT INJUSTE EN PERFECTION, ON PASSE D'AUTRE PART POUR ETRE JUSTE » (588b-592b, pp. 352-355)

On peut se représenter l'homme comme étant un être composé, d'une part dans son intérieur, d'un côté, d'une sorte d'hydre (serpent fabuleux à sept têtes) se terminant par des têtes, les unes d'animaux paisibles, les autres de bêtes féroces, d'un autre côté, d'un lion plus petit que l'hydre ; d'autre part, d'un revêtement extérieur - plus petit que la chimère précédente - qui a allure humaine. Si cet homme entretient surtout ses bêtes féroces, il est tout à fait injuste. S'il entretient à la fois les bêtes féroces et les animaux paisibles, il est à demi-injuste mais finira par succomber à l'injustice. Si, au contraire, c'est l'homme, aidé du lion, qui com­mande à l'hydre, la partie raisonnable de l'âme triomphe sur la partie bestiale.
La liberté absolue n'est donc pas souhaitable. En l'âme doit régner la raison. Si nous sommes incapables d'obéir à celle-ci, alors, les gardiens de la Cité, qui la représentent et la défendent, doivent nous soumettre à son autorité. Sous l'autorité de la raison, les autres éléments de l'âme peuvent vivre en harmonie comme les musiciens sous l'autorité du chef d'orchestre.

CONCLUSION (592ab, pp. 355-356)
On ne trouve sans doute pas d'exemple sur la terre de la Cité idéale mais celui qui veut fonder un État juste devra toujours avoir présent dans son esprit ce modèle de conduite collective et individuelle.
LIVRE X : L'AMOUR DE LA JUSTICE CONDUIT À PROSCRIRE, DANS LA CITÉ, LES ARTS D'IMITATION ET À ESPÉRER, DANS L'AU-DELÀ, DES RÉCOMPENSES ÉTERNELLES

I - ON DOIT CONDAMNER LA POÉSIE PARCE QU'ELLE N'EST QU'IMITATION D'IMITATION (595a-608c, pp. 359-373)

- A - 595a-597e, pp. 359-362. - Nature générale de ce type d'imitation.
Pour comprendre pourquoi la condamnation d'Homère et des poètes tragiques est nécessaire, il convient de ne pas oublier que ce sont des imitateurs. Il faut donc replacer leur type d'imitation dans le cadre d'une théorie générale de l'imitation. Un exemple simple le permet : le lit... L'artisan qui fabrique un lit s'inspire d'une idée unique de lit grâce à laquelle il produit une multiplicité de lits. Ces lits fabriqués imitent l'idée de lit qui leur préexiste. Si l'on élargit cet exemple, on conçoit que les artisans imitent, par leurs pro­ductions, toute la création divine.
Que vienne alors un homme qui, avec un miroir, reflète tout ce qui est sur terre et dans le ciel : c'est un peintre qui ne produit, lui, que des apparences. Comparons mainte­nant Dieu, l'artisan et le peintre. Dieu crée l'Idée du lit, l'artisan fabrique un exemplaire de lit - exemplaire forcément imparfait car seul est parfait le modèle auquel il se réfère - qui n'est qu'un reflet de l'Idée du lit. Le peintre, enfin, ne produit qu'une appa­rence, une illusion de lit, en imitant sur une surface plate le lit de l'artisan. Le peintre imite une imitation. La peinture est donc une imitation au deuxième degré.

- B - 597e-602b, pp. 362-365. - Les rapports du savoir et de l'imitation.
De même que le tyran est au troisième rang après le roi en ce qui concerne le bon­heur, de même, les imitateurs tels que les peintres et les poètes sont au troisième rang après les philosophes en ce qui concerne la vérité.
1) [598ad, p. 362] Le peintre : en imitant une imitation, le peintre n'imite même pas, à proprement parler, au second degré car il ne peint qu'un point de vue de l'objet (le lit vu de face ou de profil ou de dessus, etc.). Pour l'exercice de son art, le peintre n'a, en outre, pas besoin de connaître la nature de ce qu'il peint mais seulement une de ses apparences. Il n'est qu'un faiseur d'illusions.
2) [598e-600b, pp. 363-365] Le poète : Homère est-il, comme l'artisan, un imitateur du premier degré ou, comme le peintre, un imitateur du second degré ? S'il avait vraiment connu ce dont il parle - les problèmes politiques, les vertus, les sentiments, etc. - il ne se serait pas contenté de parler ; il aurait agi en matière publique ou, tout au moins, en matière privée. Or il n'a assumé ni des tâches politiques ni des responsabilités militaires. Ses contemporains et ceux d'Hésiode n'en ont même pas voulu pour guide de leur vie privée puisqu'ils ont laissé demeurer des « rhapsodes itinérants »les deux poètes.
Concluons alors que les poètes sont semblables aux peintres et qu'ils revêtent les illusions dont ils nous bercent des couleurs des mots. Qu'on dépouille leurs discours des artifices de la poésie (vers, rythme, musique, etc.), ils perdent toute leur force.

- C - 601b-607c, pp. 365-373. - Les méfaits des arts d'imitation.
1) [601c-602b, pp. 365-366] En ce qui concerne un objet fabriqué d'usage courant, l'uti­lisateur indique au fabriquant les objectifs qu'il poursuit. L'utilisateur possède sur l'objet un certain savoir, l'artisan une opinion droite. Quant au peintre, qui ne figure l'objet que sous un point de vue et dont le but est de plaire à la foule, il ne possède ni le savoir de l'utilisateur ni le savoir-faire (ou opinion droite) de l'artisan. En fait il ne sait rien car il ne sait si ce qu'il imite est bien ou mal.
2) [602b-603b, p. 367] Imitation et raison. La peinture flatte notre perception en tenant compte des illusions de la vue. Elle ne se soumet nullement à la raison qui « juge selon les mesures ».Elle est donc bien « au troisième rang en partant de la vérité ».
3) [603b-605c, pp. 368-370] Les sentiments qu'imite le poète. Les poètes dépeignent les actions bonnes ou mauvaises ainsi que la tristesse ou la joie, c'est-à-dire les différents points de vue sous lesquels on voit l'âme, de même que le peintre peint les objets suivant telle ou telle perspective.
Quand un homme est affecté par quelque malheur, nous pensons que la raison lui recommande de ne pas dévoiler son affliction. Mais les poètes dépeignent les sentiments déraisonnables parce que ce sont les plus spectaculaires. Leurs œuvres réveillent les sentiments inférieurs au lieu d'exalter les supérieurs. Les poètes sont donc bien dan­gereux pour l'État.
4) [605c-608c, pp. 370-373] Poésie tragique et poésie comique ont des objectifs opposés à ceux de la philosophie.
a)[605c-606d] La poésie tragique contamine même les plus sages car son charme nous entraîne à approuver, pour notre plaisir, les attitudes irraisonnées des héros qu'elle chante et à alimenter ainsi nos propres émotions alors que la raison se doit de les combattre ;
b)[606cd] De même, la poésie comique nous fait rire de conduites que notre raison désapprouve ;
c) [606e-608b] Concluons que ces sortes de poésie méritent d'être éloignées de la Cité ou, tout au moins que l'éducation philosophique nous mette en garde contre elles et nous rappelle que la justice et les autres vertus doivent être le but suprême de notre conduite.

II - L'ÂME SE RÉVÈLE IMMORTELLE QUAND LA RAISON LA CONSIDÈRE DANS SA PURETÉ (608c-614a, pp. 373-379)

- A - 608c-611a, pp. 373-376. - Pourquoi, quand on songe à la brièveté de la vie humaine, se donner tant de peine pour devenir juste ? L'immortalité de l'âme justifie un tel effort.
1) [608e-609b, p. 374] On appelle, dit Socrate, mal ce qui corrompt les objets ou les corps jusqu'à leur destruction. Mais si l’on rencontre, parmi les réalités, une qui subisse un mal qui la gâte sans que ce mal puisse la dissoudre, alors cette réalité est indes­tructible.
2) [609c-610a, p. 375] Or ce qui cause la perversion de l'âme - les différentes formes de l'injustice - n'entraîne pas la disparition du corps. De même, on ne peut dire que ce qui cause la destruction du corps entraîne la destruction de l'âme.
3) [610b-611a, p. 375] Si l'on objectait que la mort rend l'âme plus injuste, il faudrait, corollairement, admettre que l'injustice accélère la destruction du corps. Or, à l'évidence, c'est plutôt la justice qui précipite les justes dans la mort. Voilà pourquoi, puisque la destinée de l'âme n'est pas identique à celle du corps, on doit convenir que l'âme est immortelle.

- B - 611a-614a, pp. 376-379. - La vraie nature de l'âme.
1) [611a-612a] Dire que les âmes sont immortelles implique que leur nombre demeure constant car sinon on devrait admettre que du périssable naisse l'impérissable. De plus les âmes ne peuvent être que simples et parfaites. C'est pourquoi on ne saisit leurs vraies natures que dissociées du composé qu'elles forment avec les corps, que dans ce qu'elles ont de plus pur, c'est-à-dire dans leur parenté avec le divin et l'éternel.
2) [612b-614a, p. 377] Doit-on, maintenant, accorder ce qui jusqu'ici avait été refusé, à savoir que les justes reçoivent la récompense de leurs actes ? Quelles que soient les souffrances du juste, il doit recevoir sa récompense, sûrement des dieux mais aussi des hommes. Ceux-ci finiront bien par ouvrir leurs yeux car l'injuste, tel le mauvais coureur, ne peut tromper indéfiniment. Mais les sanctions des hommes ne sont encore rien au regard de celles des dieux...

III - LA DESTINÉE DE L'ÂME APRÈS LA MORT RÉVÉLÉE PAR LE MYTHE D'ER LE PAMPHYLIEN (614a-621d, pp. 379-386)

Au moment où on allait brûler son corps sur le bûcher, le soldat Er le Pamphylien[2] ressuscita et raconta ce qu'il avait vu dans l'Au-Delà (N.B. un résumé ne peut que trahir la magnifique poésie de ce passage. Aussi n'en soulignerons-nous que les articulations relatives à l'interprétation).

 

- A - 614c-617d, pp. 380-382. - Jugement des morts.
Après sa mort, l'âme d'Er le Pamphylien se retrouva parmi une multitude d'autres, en un lieu où les juges divins rendent leurs sentences : aux justes, des récompenses au décuple pour leurs bonnes actions, aux injustes, des châtiments au décuple pour leurs mé­faits. Les tyrans et les parricides subissent les punitions les plus rigoureuses.

- B - 617d-621b, pp. 382-383. - Liberté et destinée.
La divinité présente aux défunts quantité de nouvelles vies. Elle n'est nullement responsable de leur choix. Beaucoup l'effectuent de manière irréfléchie. Seul, Ulysse, en souvenir de ses tourments passés, prend, par sagesse, l'existence d'« un simple particu­lier vivant sans souci ». Puis tous les morts boivent l'eau du fleuve Léthé qui leur ôte tout souvenir. Ils reprennent ensuite une existence terrestre.

- C - 621c. - Conclusion.
Puisque notre âme est immortelle et responsable de ses choix, à nous de suivre la di­rection du salut et de la justice !

 

DEUXIÈME PARTIE : THÈMES DE LA RÉPUBLIQUE

Il nous a paru utile de regrouper les remarques de notre commentaire dans six rubriques : morale, psychologie, pédagogie, théorie de la connaissance, métaphysique.

I - LA  MORALE DE « LA RÉPUBLIQUE »

Dans le Gorgias, Pla­ton s'interrogeait sur la meilleure conduite à suivre en cette vie, sous la forme d'un dilemme que l'on retrouve dans La République : vaut-il mieux être juste ou injuste ?Interrogation qui en entraîne une autre : quelle est la nature de la justice si l'on a pu prouver qu'il vaut mieux être juste ? Ces questions concernent non seulement la vie de l'homme ici-bas mais éventuellement aussi sa destinée dans l'au-delà. Le Gorgias et La République s'achèvent, en effet, par un tableau mythique du jugement des morts. Mais si, dans le Gorgias, cette description semble quelque peu surajoutée, elle est, dans La République, appelée par les réflexions liminaires du vieux Céphale au livre 1 et par lescritiques des considérations des poètes sur les dieux au livre II. Céphale assure avoir tiré parti avec justice de ses richesses lors de son existence : il s'apprête donc à entrer sans crainte dans le royaume des morts et à passer la tête haute devant le tribunal divin. Ce tribunal qui sera évoqué dans un tableau d'une intense poésie à la fin de l'œuvre. Évocation et description du tribunal suprême encadrent donc la question centrale : vaut-il mieux vivre dans la justice que dans l'injustice ?

1 - La difficulté de cerner le concept de justice

A la conception « populaire » de la justice se trouvent associées les notions d'équité, de jugement et de mérite. C'est pourquoi Polémarque, fils de Céphale, propose comme définition de départ : « Rendre à chacun ce qui lui est dû. » Mais qu'est-ce qui est dû si ce n'est du bien aux amis, du mal aux ennemis ? Mauvaise position du problème : il n'est pas juste de faire du mal, de rendre le mal pour le mal. On retrouve ici, de nouveau, une idée force du Gorgias : le châtiment n'a de valeur que s'il aboutit à l'amendement du coupable. Même à travers lechâtiment, qui est un mal, on doit poursuivre le bien, pas seulement de la société mais aussi du coupable. Socrate estime donc que le juste doit rechercher l'avantage deceux à qui il rend justice, amis comme ennemis. Solution que Thrasymaque, comme Calliclès dans le Gorgias, repousse avec indignation en invoquant le témoignagedes faits. Ceux qui ont quelque pouvoir sur autrui ne recherchent, selon lui, aucu­nement le bien de leurs subordonnés mais le leur propre (exemple du berger et de ses moutons). L'observation de la vie quotidienne démontrerait aussi que ceux qui réussissent pratiquent l'injustice au plus haut point, quitte à sauvegarder par­fois les apparences de la justice. Socrate n'a pas de peine à rétorquer à Thrasy­maque que cette dernière concession est une faille du raisonnement. La conduite du juste a, à ce stade de la discussion, l'avantage de la cohérence dans la conduite.

Thrasymaque, qui n'a pas la fougue de Calliclès, abandonne rapidement la joute avec Socrate. Il convient, ici de remarquer qu'on ne trouve de véritable dia­logue, dans La République, que dans les livres I et II : des arguments, qu'aurait pu soutenir Thrasymaque, sur les avantages de la conduite du demi-injuste et de l'injuste accompli seront proposés seulement aux livres VIII et IX... par Socrate qui, comme tout bon orateur, ne se les oppose que pour mieux les réfuter.

Glaucon et Adimante (frères de Platon) volent en vain au secours de Thra­symaque, en célébrant, le premier, les avantages de la justice, le second, de l'injus­tice. Pour Glaucon en effet, on ne pratiquerait la justice que par crainte ou intérêt. Si l'occasion se présente d'accomplir un forfait profitable dans le secret (mythe de Gygès), il n'y a pas de raison de s'en dispenser. Piètre conception, également utilitariste, mais cette fois de la justice que défend symétriquement Adimante ! On ne pratiquerait la justice que pour la bonne réputation qu'elle procure ici-bas et pour les récompenses que des dieux naïfs et aveugles distribuent dans l'au-delà.

On ne peut donc comprendre la nature de la justice ni savoir si on a raison de la pratiquer si on se borne à une analyse intrinsèque de son concept. Cela tend à montrer que La République est une sorte de remaniement du Gorgias. La ques­tion de la justice nécessite, en effet, pour être traitée dans toute son ampleur, une réflexion d'ensemble sur la conduite que doivent suivre non seulement les indi­vidus mais les États eux-mêmes. La morale doit déboucher sur la politique (c'est-à-­dire, traiter de la justice dans la Cité). Pour les individus, comme pour les Cités, il n'y a pas de justice possible si on n'assure pas la fonction propre, des éléments de l'âme de l'individu d'une part, des éléments de la Cité d'autre part.

2 - La justice comme accomplissement de la fonction propre

La notion de fonction propre apparaît pour la première fois au livre II, 369e : se proposant de construire une Cité idéale, Socrate assigne à chacun des citoyens un certain nombre de fonctions compte tenu, d'une part, des tâches à accomplir, d'autre part, des aptitudes différentes des citoyens. Un citoyen n'est juste, une Cité n'est juste que si leurs fonctions sont correctement hiérarchisées, c'est-à-dire que si, en eux, la raison commande. C'est pourquoi la justice n'est pas, à propre­ment parler, une vertu particulière mais le résultat de l'harmonie hiérarchique des trois vertus qui correspondent aux trois parties de l'âme et aux trois classes de la Cité (cf. notre résumé, de 428b à 432b, livre 1V, de 580d à 581e, livre IX, et de 588b à 592b, livre IX). Au livre IX, Platon compare l'homme à un composé d'animaux paisibles et d'animaux féroces. La justice consiste dans la domination de la partie rationnelle de l'âme sur la partie bestiale. L'injuste commet, dans la réalité, des actes que le juste se contente de n'accomplir qu'en songe (574c­-575a, passage que cite Freud dans L'interprétation des rêves).Une fois établies les exigences de la justice, il reste à déterminer quelles conditions la réaliseront. Ces conditions relèvent de la politique, de la pédagogie, de la théorie de la connais­sance et de la métaphysique.

II - LA POLITIQUE DE « LA RÉPUBLIQUE »

Contre Thrasymaque qui voulait donner l'avantage aux plus forts, Socrate souhaite que le pouvoir soit détenu par les plus compétents. Le gouvernement sera donc aristocra­tique : le gouvernement des meilleurs. Bien entendu, le vocable « aristocratie » a, chez Platon, son sens originaire et non celui qui est devenu courant depuis le Moyen Age. Pour comprendre pleinement la signification que lui donne Platon, nous examinerons successi­vement l'organisation de la Cité, ses conditions d'édification et enfin les causes de sa dégradation.

 

1 - L’organisation de la Cité

C'est par une transition méthodologique que Platon passe de la morale à la politique : on ne parvient pas, dit-il, à étudier l'essence de la justice dans l'individu parce qu'elle y est écrite en « trop petits caractères ». Puisque la Cité est « plus grande que l'individu »,c'est dans ce « cadre plus grand » que la justice sera « plus grande et plus facile à étudier »(livre II, 369a, p. 117). « Plus grande » peut avoir plusieurs significations. On peut comprendre, en effet, la Cité soit comme un ensemble d'individus, soit comme un individu non réductible à la somme de ses parties. On peut la comprendre comme une organisation ou comme un organisme. C'est un organisme si on veut dire que son existence répond à une nécessité quasi­-biologique, une organisation rationnelle si on estime que c'est sur la raison et non sur des pulsions qu'elle doit reposer.

1°) La Cité organisme
« Ce qui donne naissance à une Cité, dit Socrate, c'est l'impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même »(369a, p. 117) et le besoin qu'il éprouve d'une foule de choses. L'homme est un animal social. S'il reste un individu solitaire, il ne peut manger, se loger, se vêtir. Ce passage de la République a ma­nifestement inspiré le jeune Marx qui, dans L'Idéologie allemande écrit que « les hommes doi­vent être à même de vivre pour pouvoir " faire l'histoire ". Mais pour vivre, il faut avant tout boire, manger, se loger, s'habiller et quelques autres choses encore » (Éditions sociales, pp. 38-39). Mais, à la différence de Marx, Platon développe amplement l'idée que les métiers se greffent sur les besoins. Les pre­miers métiers sont, en effet, ceux des agriculteurs et éleveurs, des maçons et des tisserands, puis des artisans qui fabriquent les outils nécessaires à l'exercice des autres métiers. En quelques lignes, Platon passe d'une économie, nous dirions aujourd'hui néolithique, à l'économie de la Cité antique à ses origines. Il en vient à démontrer la nécessité de la création d'un autre corps de métiers : celui des commerçants, car il est peu probable que la jeune Cité trouvera tout ce dont elle a besoin sur son propre territoire. Le commerce engendre la monnaie pour faciliter les échanges. Mais la Cité ne peut demeurer longtemps un organisme, c'est-à-dire qu'elle ne peut laisser se développer à l'aventure les différents corps de métiers. Si elle n'y prend garde, en effet, les besoins artificiels se multiplieront et s'édifiera une Cité « pleine de luxe et corrompue » dans laquelle domineront les parasites sociaux, ceux qui se bornent à imiter : danseurs, rhapsodes (chanteurs qui allaient de ville en ville réciter des poèmes épiques), cuisiniers et fabricants de parures féminines... L'insatiable désir d'accroître les richesses ne manquera pas d'entraîner les citoyens à se déchirer entre eux ou à vouloir conquérir des marchés extérieurs.

2°) La Cité organisation
Platon poursuivra, aux livres VIII et IX, la description des cités corrompues mais il lui importe de déterminer d'abord comment on peut tenter d'éviter cette corruption. Puisque son origine est le développement anarchique des besoins et des métiers qui y correspondent, il faut, pour y pallier, réglementer les besoins. Glaucon avait suggéré un élément de réponse : « La nature n'a pas fait chacun de nous semblables à chacun, mais différent d'aptitudes, et propre à telle ou telle fonction » (370b, p. 118). 11 serait vain de rechercher quelles sont les aptitudes propres à l'exercice de tel ou tel métier particulier, tant leur diversité est grande et se multiplie au fur et à mesure du développement de la Cité. Le problème se résout plus simplement si l'on classe les métiers selon leurs objectifs : on pourra alors les répartir en trois catégories. Certains concourent à la production et aux échanges, d'autres ont pour objet la défense contre l'ennemi et la sécurité à l'inté­rieur de la Cité, d'autres concernent, enfin, l'administration et le gouvernement. La Cité comprendra donc trois classes : les artisans et commerçants, les guerriers, les magistrats.

2 -  La répartition des tâches entre les trois classes

Pour que la Cité soit tout entière heureuse (420a, p. 171), son organisation devra être harmonieuse et hiérarchisée : à son sommet dominent les magistrats qui, par l'intermédiaire des guerriers, régentent artisans et commerçants. Chaque classe a une fonction propre. Chaque classe et non chaque caste : on ne sait, à la naissance d'un citoyen, dans quelle classe ses aptitudes lui permettront d'entrer. L'éducation fera le tri. Puisqu'il s'agit d'assurer le bonheur de l'ensemble de la Cité, on fera en sorte que tous les citoyens aient la conviction que « la contrée qu'ils habitent est leur mère et leur nourrice ». Aussipourront-ils « la défendre contre qui l'attaquerait et traiter les autres citoyens en frères, en fils de la terre comme eux »(livre III, 415a, p. 166). Pour ancrer cette conviction patriotique, les magistrats inventeront un pieux mensonge en disant aux citoyens des trois classes qu'ils sont égaux mais qu'ils appartiennent à trois races : d'or s'ils sont aptes à devenir magistrats, d'argent s'ils sont capables d'être des guerriers, de fer ou d'airain s'ils ne peuvent accomplir que des tâches d'artisan. On développera en chacun les vertus de sa classe : la sagesse pour les gardiens-magistrats, le courage pour les guerriers, la tempérance pour les artisans.

3 - Les impératifs économiques et sociaux

Les causes majeures de dissensions entre citoyens sont les inégalités, sou­vent cumulées entre elles, ayant pour origine la richesse et la naissance. On se gardera donc, en particulier dans la classe des artisans, de l'extrême richesse tout autant que de l'extrême pauvreté, de peur que la Cité ne se divise entre riches et pauvres (421d-423b, l. IV, p. 174). Les familles, si on les conservait sous leur forme actuelle, feraient courir un risque grave à la Cité. D'une part, elles incitent à s'attacher à son conjoint et à ses enfants plus qu'à la Cité, d'autre part, elles confinent les femmes dans des tâches inférieures. C'est pourquoi, au moins dans la classe des gardiens (parce que la Cité qu'on veut édifier devra d'abord éduquer ceux qui auront pour mission de gouverner), on supprimera les familles et on confiera les mêmes tâches à des hommes et des femmes qui auront reçu une édu­cation communautaire semblable. Il est, en effet, déraisonnable d'affirmer que les femmes sont moins aptes que les hommes à administrer et à gouverner (451c­457b, pp. 205 et suivantes). Pour réduire la part du hasard dans l'éducation, on favorisera, comme les éleveurs, les unions entre sujets d'élite. Si la science le justifie, on n'hési­tera donc pas à transformer les classes en castes, ce qui restreint l'analyse proposée au paragraphe précédent sans l'annuler : il n'est pas impossible qu'un fils d'artisan ait les aptitudes nécessaires pour devenir gardien (458c-460b). Enfin, on suppri­mera les causes familiales de dissensions entre citoyens si on apprend aux enfants, pris très tôt en charge par des nourrices et des pédagogues de l'État, qu'ils sont tous frères et que tous les hommes et toutes les femmes de la génération antérieure à la leur sont, collectivement, leurs parents (462a-466d).

4 - Comment pourra naître une telle Cité ?

A quelle condition une telle Cité est-elle réalisable, demande Glaucon à Socrate (473a) ? Une seule, répond Socrate ! Il « suffit » que les philosophes deviennent rois ou que les rois deviennent philosophes. Les philosophes dont il s'agit ne sont pas ceux que la foule confond avec les sophistes. Ce sont des hommes (et des femmes) capables de discerner les valeurs que doit suivre la Cité. Ils ne méritent le nom de philosophes que s'ils ont franchi avec succès les étapes d'une éducation appropriée que nous examinerons bientôt. A cette condition de droit, Socrate finit par ajouter une condition de fait. Quand les philosophes auront pris le pouvoir, ils s'empresseront de « reléguer aux champs »les enfants qui auront dépassé l'âge de dix ans, afin de pouvoir élever les autres en conformité avec les principes qui fondent la Cité modèle (1. VIII, 540d-541b, p. 300).

Platon ne dissimule pas que la réalisation de ces conditions est une formidable gageure et il ne s'attarde guère à décrire la prise de pouvoir par les philosophes. Cette réalisation ne lui semble pas impossible si des législateurs conformes à ses vues ont, dans leurs conduites, pour guide le modèle de la Cité idéale.

5 - Le cycle des régimes

Platon sait que même si les magistrats se prémunissent contre les dangers de l'innovation, toujours pernicieuse, on ne peut écarter des causes de décadence. Au livre VIII, Platon décrit la dégradation de l'aristocratie en timocratie, de la timocratie en oligarchie, de l'oligarchie en démocratie et de la démocratie en tyrannie. La cause initiale de ces dégradations : les hasards inévi­tables de la biologie. Malgré tous leurs efforts pour réglementer la procréation, les magistrats ne pourront, en effet, empêcher la naissance, chez les gardiens, d'enfants ayant en eux des traces d'argent, voire de fer (545c-547h). A cause de ces indignes rejetons, l'abolition de la propriété privée sera remise en cause. Avec sa restauration renaît la division de la Cité en riches et pauvres. Resurgiront les familles avec leurs inconvénients. La hiérarchie des classes sera bouleversée et, au milieu de ces troubles, finira par prendre le pouvoir un tyran qui gouvernera en satisfaisant les plus bas instincts.

Vision pessimiste ? Non, car au début du livre IX, Platon souligne l'infinie distance qui sépare le vrai bonheur du philosophe de la peu enviable condition du tyran perpétuellement menacé par des ennemis de plus en plus nombreux. Si, d'autre part, Platon n'a pas jugé bon d'achever son œuvre avec le triomphe des philosophes-rois, au livre VII, c'est probablement parce qu'il a voulu montrer à ses lecteurs que l'édification de sa Cité est une œuvre de longue haleine et que, même réalisée, c'est une construction très fragile.

Pour construire cet édifice aussi beau et harmonieux que le Parthénon, il faut repenser complètement l’éducation...

III - LA PÉDAGOGIE DE « LA RÉPUBLIQUE »

1 - Origine de l'importance de la question de l'éducation

On a vu que la « Cité-organisme », si on la laisse se développer sans frein, s'enfle démesurément et risque de s'anéantir. C'est alors que, l'ordre social n'étant plus assuré, la classe qui retient toute l'attention de Socrate est celle des gardiens. C'est eux, en effet, qui doivent le plus faire preuve de discernement. Comme les chiens, ils doivent distinguer entre l'ami et l'ennemi. Ils ont dû apprendre cette distinction. « De quelle manière l'élever et l'instruire ? L'examen de cette question peut-il nous aider à découvrir l'objet de toutes nos recherches, à savoir comment la justice et l'injustice prennent naissance dans une Cité »,demande Socrate (l. II, 376d, p. 126).

Quand les échanges ne suffisent plus à assurer l'ordre social, il convient d'accorder la plus grande attention à ce qui permet la constitution et la repro­duction de la Cité, c'est-à-dire à l'éducation. C'est, en effet, dans l'enfance qu'on « façonne un être jeune et tendre et qu'il reçoit l'empreinte dont on veut le mar­quer »(377ab, p. 126). C'est aux gardiens qu'on doit dispenser l'éducation la plus élaborée, en particulier du point de vue moral, pour éviter qu'ils ne confisquent le pouvoir politique à leur profit.

2 - Une éducation qui concerne avant tout la classe dirigeante

Pourquoi ? Parce qu'« une cité ne sera heureuse qu'autant que le plan en aura été tracé par des artistes utilisant un modèle divin » (l. VI,500e, p. 258). C'est seulement quand auront été éduqués les futurs gardiens que, par eux, pourra être éduquée la masse des citoyens. On trouve, au livre V, une allusion à l'apprentissage des fils d'artisans lorsque Socrate le compare à l'entraînement des futurs gardiens à assister aux combats de leurs aînés. Il est, en effet, nécessaire que les enfants « voient d'avance ce qu'ils auront à faire quand ils seront arrivés à l'âge mûr ». Socrate fait remarquer la similitude, sur ce point, des deux types d'éducation : « N'as-tu pas remarqué ce qui se pratique dans les métiers, et, par exemple, quel long temps les fils de potier passent à aider et à regarder travailler leurs pères, avant de mettre eux-mêmes la main à l'ouvrage »(466d, p. 222).

Cette comparaison entre l'éducation des artisans et celle des gardiens montre l'importance que revêt, pour Platon, dans l'éducation et dans d'autres domaines, l'imitation, accompagnée ici de l'apprentissage. C'est pourquoi il faudra savoir distinguer entre vrais et bons modèles d'une part, faux et mauvais modèles d'autre part. Il ne suffit pas d'indiquer quelles disciplines seront enseignées, il faut surtout préciser en vue de quelles valeurs. La comparaison entre le métier de l'artisan et celui du gardien permet, en outre, de comprendre pourquoi Platon décrit deux phases, deux périodes dans l'éducation (l'apprentissage du métier, l'exercice du métier) : la deuxième phase révèle les sujets d'élite. De même qu'un petit nombre d'artisans seulement sera capable de produire des « chefs-d'œuvre », de même un petit nombre de gardiens seulement sera capable d'accéder à la phi­losophie et à exercer les fonctions de magistrat. Voilà pourquoi, en utilisant notre vocabulaire, on peut distinguer, dans la République, un enseignement élé­mentaire et un enseignement supérieur.

3 - L'enseignement élémentaire

Confiés peu après leur naissance à des sortes de fonctionnaires, les filles et fils de gardiens, ainsi que quelques enfants sélectionnés des autres classes, reçoivent une éducation communautaire. Dans une Cité « où chacun n'aura à soi que son corps et où tout le reste sera commun », « les citoyens seront à l'abri de toutes les dissensions que fait naître parmi les hommes la possession de richesses, d'enfants et de parents » (l. V,464d, p. 220). Grâce à une observation attentive, les péda­gogues amèneront les enfants à s'instruire en jouant (l. VII,536d, p. 295). C'est qu'à cet âge, ils ne sont pas capables de penser par eux-mêmes : il est donc vain de les engager dans des études abstraites et prédialectiques. C'est pourquoi on ne s'écartera pas, à cette période, du plan traditionnel d'éducation grecque : on enseignera les Lettres, les Arts, la Musique et l'Éducation physique. Mais si le cadre est conservé, le contenu est considérablement remanié en vue de l'édification de la Cité.

1°) L'éducation littéraire
Au livre II, Platon émet un certain nombre de réserves quant à l'usage des fables et au rôle des mythes qu'elles véhiculent. Au livre X, il justifie, en les replaçant dans sa théorie de la connaissance, ces réserves : les fables ne sont que des imitations au troisième degré. Puisque l'habituel grief qu'on fait à Platon d'avoir condamné la lecture d'Homère s'appuie fréquemment sur le seul examen des livres II et III, on est contraint, si on veut le laver de cette accusation, d'anti­ciper sur sa théorie de la connaissance.

Au livre X, Platon compare le poète épique au peintre. Quand un peintre représente un lit, il ne le figure que sous un point de vue, en cherchant à donner, sur une surface plate, l'impression du relief. Bien plus, pour exécuter son tableau, le peintre n'a nul besoin de connaître l'usage de l'objet peint ou la manière dont il a été fabriqué ou, encore moins, le modèle idéal dont s'est inspiré l'artisan pour le construire (598ad). Il en va de même d'Homère : s'il avait vraiment connu ce dont il parle (sentiments, problèmes politiques, etc.) il ne se serait pas borné à écrire des vers mais il aurait conseillé des princes ou tout au moins des individus. Quand il décrit des sentiments, Homère célèbre les plus déraisonnables parce qu'ils sont les plus spectaculaires. Sa lecture est néfaste pour les adultes, a fortiori pour des enfants. L'enfance est, en effet, façonnée de manière durable par les modèles qu'on lui impose. Elle n'a pas de ressources intellectuelles suf­fisantes pour les critiquer.

Comme exemples de modèles pernicieux, Platon indique, aux livres II et III, les plaisantes mais fallacieuses peintures des dieux chez Homère : ce ne sont que parricides et adultères qui risquent d'inciter lecteurs et auditeurs, devenus adultes, à suivre de tels exemples. Les poètes inspirent la crainte de la mort alors qu'on doit inspirer le courage aux futurs guerriers. Ils chantent des dieux menteurs alors qu'une saine éducation doit apprendre la vérité. Ils célèbrent la désobéissance et l'intempérance alors qu'on doit éduquer les jeunes gens dans la tempérance et le respect des chefs. Ils ne cessent, enfin, de louer diverses formes d'injustice.

Voilà pourquoi Platon les condamne. Henri-Irénée Marrou remarque que les Grecs « n'ont pas ratifié cette condamnation d'Homère, d'autant plus que l'œuvre de Pla­ton témoigne de sa connaissance extrêmement précise d'Homère et des tragiques... Par l'usage qu'il en fait, Platon démontre contre lui-même la fécondité de cette culture littéraire et quel profit l'esprit philosophique pouvait en tirer » (Histoire de l'éducation dans l'Antiquité).Sans doute, mais l'avertissement platonicien de­meure : il ne faut pas considérer la littérature comme les autres arts. On trouve, dans tout texte littéraire, une idéologie sous-jacente. Il faut éduquer l'esprit cri­tique des jeunes lecteurs et veiller au choix des textes.

2°) L'éducation artistique

a) Les arts plastiques
Peinture et architecture doivent développer le sens « du beau et du gracieux »et proscrire « la bassesse et la laideur dans la peinture des êtres vivants »(400e-402a, p. 153). Si l'architecture est, au plein sens du terme, construction d'une œuvre, imitation d'un modèle divin, la peinture n'est, nous l'avons entrevu, qu'imitation d'imitation. Ignorant la troisième dimension qu'elle recrée à l'aide d'illusions, elle flatte notre perception. Platon ne fait pas de tels griefs à l'architecture et à la sculpture alors que sculpteurs et architectes du Ve siècle tenaient compte, eux aussi de la perception (les colonnes du Par­thénon ne sont pas également espacées et elles penchent tout en donnant à l'œil l'illusion de la verticalité, pour éviter l'impression de tassement que donnent des colonnes également espacées et verticales, telles celles du temple d'Apollon à Corinthe). Si Platon ne dit rien des effets sur l'esprit de l'architecture et de la sculpture, chose étonnante pour un Grec du Ve siècle et pour un admirateur des mathématiques, c'est probablement parce qu'il ne développe les considérations sur la peinture que pour pourfendre les poètes. Platon pense, semble-t-il, que les mots recèlent plus de dangers que les images et que les monuments. Sans doute, s'il vivait à notre époque qui statufia les dictateurs et fit édifier des monuments à leur gloire, qui influence les masses au moyen d'images sonores et en mouve­ments, réviserait-il son jugement. C'est d'ailleurs contre ce type d'images, si l'on veut bien actualiser, sous cet aspect, son message, qu'il nous met en garde dans l'allégorie de la Caverne.

b) La musique
Platon est, sans doute, le premier philosophe qui s'in­quiète des répercussions des différents types de musique sur le comportement. Il remarque que certains accompagnent des banquets où se côtoient « ivresse, mol­lesse et indolence ». Ilfaut les bannir ainsi que les harmonies plaintives qui imitent les sentiments chantés par les poètes. On doit, en revanche, conserver et développer les musiques martiales qui entraînent les braves au combat... Bref, il faut, dans l'éducation musicale, préférer « Apollon et les instruments d'Apollon (lyre et cithare) à Marsyas et à ses instruments (famille des flûtes) »(398b-399d, pp. 150-151).

3°) L'éducation physique
Plus encore que la poésie, les arts plastiques et la musique, cette discipline si prisée des Grecs convient à la formation de gardiens. Elle a pour objectifs, d'une part, de préserver la santé afin d'éviter de trop recourir à la médecine, d'autre part, de préparer à la guerre. La gymnastique doit être pratiquée dès la petite enfance et durant toute la vie, avec une acmé (un point culminant) au moment de l'adolescence. Mais il ne faut pas oublier que l'âme doit diriger le corps. C'est pourquoi Platon n'hésite pas à donner des indications diététiques voire sexuelles (« Tu n'approuveras pas non plus que des hommes qui doivent rester en bonne forme aient pour maîtresse une jeune fille de Corinthe ? », l. III,404b, p. 156).

On veillera à n'introduire, à cause des risques de perturbation et de sédition qu'elles engendrent, aucune pratique nouvelle dans la gymnastique et dans la musique. Il va de soi que, en tenant compte de leur constitution propre, on fera exécuter aux femmes les mêmes exercices qu'aux hommes (1. V, 452a, p. 206).

Remarquons enfin qu'à quelques exceptions près, Platon ne donne pas (contrairement aux Lois) d'indications précises sur les exercices qu'il préconise pour ses gardiennes et gardiens. Preuve que ce qui lui importe ce sont les objectifs généraux de l'éducation qu'il explicite lorsqu'il parle de...

 

4°) L'enseignement supérieur
A la fin du livre VI et au début du livre VII, Platon explique pourquoi seul le philosophe peut à bon droit prétendre diriger la Cité : lui seul a en tête le mo­dèle idéal de gouvernement. Pour parvenir à la maîtrise de cet idéal, l'enseigne­ment précédent, qui s'étend de sept à dix-huit ans, ne saurait suffire. C'est pour­quoi, après avoir exposé, dans le livre VI, les bases de sa théorie de la connais­sance, Platon revient aux problèmes de l'éducation dans le livre VII. Les disci­plines évoquées précédemment ne concernent que ce qui naît et meurt : le devenir. Or le philosophe doit s'attacher à connaître et à comprendre ce qui est et demeure éternellement. Pour parvenir à l'idée du Bien, source et but de toute connais­sance, il faut pratiquer des sciences dont l'objet est éternel. Ces sciences sont la mathématique et ses filles (telle l'astronomie). Certes, ajoute-t-il seulement au livre VII, les enfants ont procédé à des exercices d'arithmétique et de géométrie mais c'était, comme il convient à cet âge, sous forme de jeu et non pour un but spéculatif. Observons ici que Platon tient compte non seulement des disciplines à enseigner mais des données de ce que nous appelons aujourd'hui la psychologie de l'enfant.

IV - LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE

Platon la décrit par étapes. Au livre V (476a-479e, pp. 232-237), il dis­tingue d'abord la science de l'opinion, puis il divise en deux, d'une part l'opinion, d'autre part la science, et il compare les deux domaines sous l'angle de leur source : le soleil pour le monde visible, l'idée du Bien pour le monde intelligible.

Nous renvoyons ici au résumé des livres VI et VII. On s'interroge souvent sur la correspondance entre l'allégorie de la Ca­verne et la théorie de la connaissance. Il serait assez vain de tenter de la retrouver point par point : l'allégorie est la copie de la théorie et, en termes platoniciens, une copie est forcément une dégradation par rapport au modèle. En outre, selon l'interprétation qu'en donne Platon lui-même, l'allégorie poursuit une autre fin : montrer la condition du philosophe-roi parmi les hommes. Celui-ci n'a pas le droit de négliger ses frères sans le labeur desquels il n'aurait pu poursuivre ses brillantes études et contempler la lumière du Bien. Il doit prendre ses responsa­bilités, c'est-à-dire gouverner au royaume des ombres parce qu'il est le seul à avoir été éclairé.

Une dernière remarque sur la théorie de la connaissance : à la différence de la plupart de ses contemporains et d'Isocrate en particulier, Platon a mis l'accent sur le rôle indispensable des mathématiques dans la formation des philosophes, en recommandant qu'on les étudie et qu'on les pratique essentiellement pour leurs valeurs culturelle et spéculative. Mais il insiste sur l'infériorité des mathématiques par rapport à la dialectique. Elles reposent, en effet, sur des hypothèses (autre­ment dit, des axiomes, des postulats). Réflexion toujours d'actualité même si, aujourd'hui, on est moins sûr que Platon de mettre un contenu tel qu'il le sou­haite sous le terme « dialectique ».

V - LA MÉTAPHYSIQUE

Elle n'a pas de frontière rigide avec la théorie de la connaissance : on s'est souvent demandé si le Bien est le nom platonicien de Dieu. Si on laisse de côté cette question controversée, il n'en demeure pas moins que Platon indique clairement, dans La Répu­blique, ses conceptions sur la nature de Dieu et sur celle de l'âme.

1 - Dieu

Au livre II, Platon oppose sa conception de Dieu à celle de la mythologie d'inspiration homérique. Dieu est bon et, puisqu'il « est bon, (il) n'est pas la cause de tout, comme on le prétend communément ; il n'est cause que d'une petite partie de ce qui arrive aux hommes et ne l'est pas de la plus grande, car nos biens sont beaucoup moins nombreux que nos maux, et ne doivent être attribués qu'à lui seul, tandis qu'à nos maux, il faut chercher une autre cause mais non Dieu » (379c,p. 129). Même après notre mort, Dieu n'est pas responsable de nos choix d'une vie, est-il dit dans le mythe d'Er le Pamphylien. Platon est, sur ce point (Dieu responsable du bien, non du mal et garant de la liberté humaine), incontestable­ment à l'origine d'un fécond courant théologique dont Leibniz est le plus beau fleuron.

Dieu, parce qu'il est bon, ne peut mentir : le mensonge est détesté des dieux (Platon est à la foi mono- et polythéiste, ce qu'est bien, d'une certaine manière, le christianisme) et des hommes (382a, p. 132). Dieu n'aime ni les furieux ni les insensés.

Dieu n'est pas le magicien dépeint par les poètes, capable d'apparaître sous des formes diverses. C'est « plutôt un être simple, le moins capable de sortir de la forme qui lui est propre »(380d, p. 130).

Immuable et non trompeur, Dieu n'a donc aucun rapport avec les images anthropomorphiques qu'en donnent les poètes. Il est donc ridicule de s'imaginer qu'il apparaît dans la réalité ou en songe ; il faut repousser les fables qui font peur aux enfants sur la damnation éternelle et l'enfer. Pourtant Platon ne renonce pas tout à fait à ce langage comme en témoignent les mythes d'Er le Pamphylien et celui du jugement des morts dans le Gorgias. C'est parce que c'est celui que peu­vent entendre des lecteurs qui ne peuvent maîtriser la théorie de la connaissance à cause des difficultés du parcours dialectique.

2 - L'âme

Preuve étrange de son immortalité que donne Platon au livre X (608c-611a) ! Elle se fonde sur l'idée - qui fera fortune chez les cartésiens - de l'hétérogénéité de sa nature et de celle du corps. De même que, quand l'âme est pervertie, cette perversion n'entraîne pas une perversion du corps, de même, quand le corps est anéanti, cet anéantissement n'entraîne pas celui de l'âme. Platon objecte alors qu'il s'ensuit de ce raisonnement que le nombre d'âmes ne peut varier car du périssable ne peut naître l'impérissable. Ce qui le conduit, pour sauver la conception de l'âme individuelle, à admettre la métempsychose (thème déve­loppé dans le mythe d'Er le Pamphylien). Un contemporain pourrait demander à Platon comment l'expansion démographique se peut concilier avec sa théorie. Piètre objection car même si elle bat en brêche l'argumentation platonicienne en faveur de l'immortalité de l'âme, elle ne ruine nullement celle sur la distinction de nature entre l'âme et le corps, elle-même fondée sur la distinction entre le sensible et l'intelligible.

Platon utilise, en outre, un argument moral en faveur de l'immortalité de l'âme : pourquoi faire tant d'effort pour édifier la justice si la vie se limite à la durée de l'existence terrestre ? On peut, bien sûr, refuser cette argumentation de type kantien mais à ceux qui ne croient pas à l'immortalité de l'âme, on peut dire que le combat pour la justice n'est jamais vain. Qui prétendrait que la meil­leure vie sur cette terre n'est pas celle qui se conforme au modèle que trace Platon dans sa République ?Que ce modèle se situe dans le ciel des religions ou dans un monde intelligible dont le nôtre est un reflet est, en fin de compte, un problème secondaire !

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[1] La timarchie ou timocratie c'est le gouvernement par ceux qui recherchent ce qui a du prix, de la valeur. Mais de quelle valeur s'agit-il ? L'ambiguïté du terme « valeur » en français est aussi présente dans la langue grecque: "Timô", c'est fixer le prix d'une chose, mais aussi juger digne, récompenser, honorer, respecter. « Timokratia », c'est l'État dans lequel la recherche des honneurs est le principal mobile.

[2] Les Pamphyliens, «Hommes de toutes races», étaient un mélange d'autochtones, de Ciliciens et de colons Grecs qui parlaient une langue probablement Grecque à l'origine mais qui se modifia par l'adjonction d'éléments étrangers. La Pamphylie, ancienne région de la côte méridionale de l'Asie Mineure, entre la Lycie et la Cilicie, dans ce qui est aujourd'hui la Turquie, tomba aux mains des Perses au VIe siècle avant J.-C. puis d'Alexandre le Grand au IVe siècle avant J.-C.