POMPÉI

ÉLÉMENTS DE CIVILISATION

 

I - LA CATASTROPHE

1°) 79 après J.-C. : 24 août, l'après-midi

Misène (en latin misenum), le siège de la flotte romaine ; son amiral, Pline l'Ancien. A ses côtés, Pline le Jeune, son neveu, alors âgé de dix-sept ans. Il est midi passé, quand la femme de l'amiral lui fait remarquer un gros nuage à l'est, au-dessus de la baie. Des années plus tard, le jeune Pline raconta la suite des événements dans ses célèbres lettres à l'historien Tacite.

Ci-dessus la baie de Naples et la zone des retombées. En gris foncé, la zone des retombées les plus denses (plus de 2 mètres). En gris (1 à 2 mètres). En gris clair (0,50 mètre à 1 mètre).

Pline l’Ancien

D'après Pline le Jeune, ce gros nuage avait la forme d'un gigantesque pin parasol. Auteur d'un important ouvrage d'histoire naturelle, l’amiral ne peut résister à sa curiosité. Il fait armer une galère pour franchir la baie et ainsi mieux observer le phénomène. C'est alors qu'il reçoit un mot de la femme d'un ami habitant en contrebas du volcan ; elle ne peut fuir que par la mer et le supplie de venir à son secours. Aussitôt, sur les ordres de l'amiral, la flotte appareille et met le cap directement sur le Vésuve.

Pline le Jeune

Déjà des cendres commencent à tomber sur le pont des navires, puis des pierres ponces et des cailloux noirs, calcinés, interdisent le rivage. Pompéi, à cette heure-là, est déjà ensevelie. Les marins supplient leur amiral de faire demi-tour. Celui-ci, au contraire, met le cap au sud, sur Stabies.

 

2°) 79 après J.-C. : 24 août, le soir

A Stabies, il réussit à débarquer et retrouve Pomponianus, un autre ami. Pour lui aussi, fuir par la mer reste la seule issue ; mais la houle, trop forte, empêche de retraverser la baie. Aussi décident-ils de passer la nuit sur place. L'amiral prend un bain, dîne, puis se met au lit après avoir rassuré ses amis. Apeurés, les autres veillent. Toute la nuit, une pluie de cendres et de pierres ponces ne cesse de tomber, s'amassant dans la cour face à la chambre de Pline. Peu avant l'aube, ses amis doivent le réveiller car il n'aurait pu sortir de sa chambre.

3°) 79 après J.-C. : 25 août, l'aube

Le jour est levé ; pourtant, il fait nuit noire. Munis de torches et de lampes, l'amiral et ses compagnons gagnent la côte. Ils ont placé des oreillers sur leur tête pour se protéger des pierres ponces, dangereuses malgré leur légèreté et leur porosité.

La mer encore trop grosse empêche le départ. L'air irrespirable gêne beaucoup Pline. Un drap est étendu sur le sol pour permettre au vieil homme de se reposer. Enfin relevé par ses compagnons, il s'effondre et meurt.

C'est seulement avec le retour du jour, 48 heures plus tard, que l'on put constater l'étendue du désastre.

 

II - LE VÉSUVE

1°) La lumière

La réapparition du volcan révéla l'étendue du désastre : le sommet du Vésuve, déchiqueté ; presque toute l'extrémité sud de la baie, ensevelie. Sur les versants sud et ouest du Vésuve, là où se dressaient tant de belles villas, ce n'était plus que désert gris. Plusieurs cités avaient disparu ; parmi elles, Herculanum, Pompéi, Stabies, Oplontis et Taurania. Seule, l'extrémité supérieure des bâtiments encore debout dépassait des cendres.

2°) Le tremblement de terre

Pour les habitants de la baie, le Vésuve n'était alors qu'une grande colline. Même le géographe grec Strabon (v. 58 av.J.-C.-entre 21 et 25 apr.J.-C.), qui l'avait identifié comme volcan, ne s'était pas rendu compte de son activité.

Très actif au VIIIe siècle av. J.-C., le volcan s'était endormi pendant 800 ans.[1] Un épais bouchon de lave durcie obstrua alors le cratère. Au 1er siècle apr. J.-C., le volcan se réveilla. La pression des gaz s'accrut dans le cône obstrué. Le 5 février 62, le sud de l'Italie connut de violentes secousses : les gaz cherchaient à s'échapper.

 

3°) L'éruption

Dix-sept ans plus tard, les gaz se comprimèrent à nouveau. Quatre jours durant, il y eut des secousses. Les ruisseaux alentour s'étaient asséchés. Le 24 août 79 au matin, le bouchon explosa sous la pression des gaz. Des millions de tonnes de lave, de pierres ponces, de cendres furent projetés dans le ciel pour former le grand nuage décrit par Pline. Celui-ci alla droit vers le sud, frappant Pompéi de plein fouet. La cité était ensevelie depuis plusieurs heures déjà quand Pline atteignit Stabies. Deux mille personnes environ trouvèrent la mort à Pompéi. Dans les campagnes environnantes, les victimes ont dû se chiffrer par dizaine de milliers.

Cinq à six mètres de cendres et de pierres ponces ensevelirent Pompéi. Herculanum, bien qu'épargnée par la nuée, connut un sort plus terrible encore : un déluge de cendres et de vapeurs d'eau mélangées (les fameuses nuées ardentes) dévala les pentes du Vésuve et ensevelit la cité sous treize mètres de boue brûlante.

4°) Après l'éruption

L'éruption avait littéralement fait exploser le centre du volcan. Ses parois s'effondrèrent par la suite pour constituer un vaste cratère de plus de onze kilomètres de circonférence. Un nouveau cône s'est formé depuis 79 sur le flanc sud. La paroi nord-est du vieux cratère subsiste encore et porte toujours le nom de mont Summa.

Stratigraphie des dépôts volcaniques de la Grande Palestre (terrain de jeux et d’exercices aux bains) à Pompéi. Les dépôts atteignaient à cet endroit trois mètres de haut.

 

III - LA DÉCOUVERTE DE POMPÉI ET LES FOUILLES

1°) La légende de la cité perdue

Pompéi fut oubliée avec le temps. Au Ve siècle de notre ère, Rome s'effondra et l'Italie connut les grandes invasions. Mais la légende de la cité perdue survécut plus de mille ans.

En 1594, un noble de la région voulut amener dans sa villa de Torre Annunziata les eaux du Sarno par une canalisation souterraine. En creusant au pied du volcan, des ouvriers mirent au jour des maisons en ruines. Ils découvrirent entre autres cette inscription « Decurio Pompeis». Comme elle se référait à un magistrat municipal (décurion) de Pompéi, elle fut mal interprétée : on crut qu'il s'agissait d'une villa du général et homme d’État Pompée (106-48 av. J.-C.) et ce fait divers fut bientôt oublié. Un siècle plus tard, lors du creusement d'un puits, on découvrit de nouvelles inscriptions ayant trait à Pompeis, de nouveau mal interprétées.

2°) Découverte d'Herculanum et de Pompéi

Malgré ces deux découvertes, Pompéi ne fut pas la première des cités ensevelies à être mise au jour. En creusant un puits, un paysan découvrit en 1710 sur la côte, à Resina (13 Km au nord), de grandes dalles en marbre. Un noble de la région en comprit immédiatement l'intérêt et acheta le terrain. Herculanum venait d'être découverte. Une véritable chasse au trésor commença alors.

Herculanum fut pillée pendant près de quarante ans. Les objets d'art exhumés lors des fouilles allaient orner les maisons de la noblesse. Lorsque les fouilles s'avérèrent plus difficiles, on se souvint des autres découvertes : les fouilles de Pompéi débutèrent ainsi le 23 mars 1748.

Pendant plus d'un siècle, les fouilles furent conduites au hasard. Elles dépendaient entièrement des rois de Naples, qui changeaient en fonction des rivalités entre les puissances autrichienne, espagnole et française en Italie.

3°) Fiorelli poursuit les fouilles

En 1860, l’Italie réalise son unité. Nommé professeur d'archéologie à Naples, Giuseppe Fiorelli (1823-1896) se chargea des fouilles de Pompéi et fut le premier à leur donner un caractère scientifique.

Fiorelli fit d'abord enlever les déblais de terre qui s'accumulaient à proximité des chantiers et encombraient le site. Il nettoya ensuite les rues, ce qui fit apparaître un plan de la cité. Pompéi fut alors divisée en régions, elles-mêmes réparties en pâtés de maisons, ou insulae, et on affecta un numéro d'identification à chaque maison et à chaque boutique. Ainsi, la maison de Lucius Ceius Secundus se trouve dans la Région I, insula 6, porte 15.

 

Ci-contre : La maison de Marcus Lucretius (Région I, insula 6, n° 2). Lors des fouilles, on trouva plusieurs corps dans le jardin.

 

4°) Les carnets de fouilles de Fiorelli

Pour la première fois, des comptes rendus détaillés des fouilles furent établis et conservés. Chaque objet découvert voyait son lieu, sa position et sa profondeur dans le sol répertoriés. Les premières conclusions qui pouvaient être tirées étaient également notées. Partout où c'était possible, Fiorelli décida de laisser les objets dans leur position originelle. Mais tous les objets de grande valeur avaient déjà été dérobés pour former de riches collections. Des peintures avaient été détachées des murs, des mosaïques arrachées du sol. Des trésors inestimables ont été ainsi volés à Pompéi par des collectionneurs sans scrupules. Aujourd'hui encore parfois, des touristes cassent des objets pour en emporter les morceaux en guise de souvenir.

Fiorelli reste surtout célèbre pour ses moulages en plâtre des squelettes des morts retrouvés à Pompéi. L'extraordinaire n'est pas tant le squelette lui-même, mais les dernières attitudes, imprimées dans les cendres, des Pompéiens surpris par la mort.

 

Cendres et lapilli avaient recouvert les corps. Puis la pluie, en tombant, boucha avec la cendre les interstices existant entre les pierres ponces. Les corps furent ainsi emprisonnés dans un moule durci. Avec le temps, chairs et vêtements se décomposèrent, ne laissant plus que le squelette. Mais l'attitude de chacun des corps a été imprimée dans les cendres. Fiorelli inventa alors une méthode de moulage des corps : il injecta sous pression du plâtre dans la cavité laissée par le corps.

Moulage en plâtre du corps ci-dessus. Notez la netteté des empreintes des sandales.

 

Ce procédé est depuis utilisé pour mouler les portes, les volets ou les racines d'arbre.

A gauche : Portes pliantes en plâtre d'après le procédé de Fiorelli (villa des Mystères). Les volets des fenêtres et les montants des portes ont été moulés de la même façon lors des fouilles de la villa de Poppaea à Torre Annunziata.

On découvrit ainsi, lors des fouilles de la maison de Veronius Primus, un chien muni d'un collier. Celui-ci était tenu en laisse dans l'atrium par une chaîne. Par l'ouverture du toit, les cendres emplissaient peu à peu la pièce. La pauvre bête escaladait les scories autant que le lui permettait la longueur de sa chaîne. Elle fut enterrée vivante alors qu'elle essayait, dans un suprême effort, de se libérer de ses liens.

5°) Les dernières fouilles

Les techniques de fouille se sont améliorées depuis l'époque de Fiorelli. En général, le poids des lapilli (petits fragments de lave ou de roches projetés par les volcans) sur les toits fut à l'origine de l'effondrement des bâtiments de Pompéi. Le sommet de ceux qui restèrent debout, et ressortaient au-dessus des cendres, servit de matériaux de construction aux générations suivantes. Aussi trouve-t-on rarement un bâtiment de plus de quatre mètres de hauteur. Beaucoup, depuis, ont été restaurés, leur toit refait, et peuvent maintenant être visités.


[1] Origine du phénomène: L'activité volcanique du Vésuve, et plus généralement la majorité des phénomènes sismiques et volcaniques en Italie du Sud, peuvent être attribuées à la convergence entre les plaques Africaine et Eurasienne. La plaque Africaine remonte en effet actuellement de 2.3 cm par an vers le Nord-Ouest et plonge sous l'Europe, entraînant la fermeture du bassin de la Méditerranée. Le plongement de la plaque est marqué par les séismes produits par le frottement entre la plaque chevauchante et la plaque subductée, lesquels définissent la zone de Bénioff. Sous le Vésuve, la plaque atteint une profondeur de près de 300 km. À ces profondeurs, la température et la pression sont telles qu'elles induisent la déshydratation de la plaque plongeante. Les minéraux riches en eau se transforment par métamorphisme de haute pression et basse température en minéraux plus denses qui ne contiennent quasiment pas d'eau dans leur architecture cristalline. L'eau ainsi libérée induit alors une fusion hydratée du manteau en dessus de la plaque plongeante, et produit des laves que l'on retrouvera dans les émissions du Vésuve ou des champs Phlégréens (Figure 2). La libération de l'eau favorise la fusion des roches chaudes d'une façon un peu analogue à la formation de caramel lorsque l'on mouille du sucre chaud.

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