Le Moyen Age : Elément de civilisation
Troisième partie

La Littérature et les Arts aux XIVe et XVe siècles

Les genres littéraires qui avaient fleuri aux douzième et treizième siècles furent remplacés par d'autres au cours des deux siècles suivants. On lisait toujours les vieux romans, mais maintenant dans des versions en prose. La vogue allait à des genres poétiques nouveaux, à des petites pièces en vers d'une facture savante et compliquée, la ballade, le rondeau, l'épître, la complainte, le chant royal. Les poètes étaient parfois des personnages de haute condition, comme Charles d'Orléans, ou des gens de l'entourage des princes. Connu davantage pour ses malheurs et son humeur mélancolique et tendre, plutôt que par une sublime inspiration, Charles d'Orléans ne fut certes pas un poète génial mais il nous a laissé de belles choses comme ses Rondeaux et ses Chansons  :

 

Chanson

 

« Que me conseillez-vous, mon cœur ?

Irai-je par devers la belle

Lui dire la peine mortelle

Que souffrez pour elle en douleur ?

 

Pour votre bien et son honneur,

C'est droit que votre conseil cèle.

Que me conseillez-vous, mon cœur,

Irai-je par devers la belle ?

 

Si pleine la sais de douceur

Que trouverai merci en elle,

Tôt en aurez bonne nouvelle.

J'y vais, n'est-ce pour le meilleur ?

Que me conseillez-vous, mon cœur ? »

 

Rondeau : Le Printemps

 

« Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,

Et s'est vêtu de broderie,

De soleil luisant, clair et beau.

 

Il n'y a bête, ni oiseau,

Qu'en son jargon ne chante ou crie :

Le temps a laissé son manteau !

 

Rivière, fontaine et ruisseau

Portent, en livrée jolie,

Gouttes d'argent d'orfèvrerie,

Chacun s'habille de nouveau :

Le temps a laissé son manteau ! »

 

Le grand poète du temps fut un pauvre hère, qui finit on ne sait où ni comment sa vie agitée, François Villon. Il était né à Paris dix ans après la mort de Jeanne d'Arc, fréquenta les tavernes, commit un vol dans un collège, tua un prêtre, subit une longue prison et n'échappa que tout juste au gibet, s'il y échappa. Son Testament en vers est admirable. Le regret d'une vie qui s'en va, l'effroi et la hantise de la mort, son ironie mélancolique et légère, tout cela joint à un étonnant don d'expression poétique, font de l'auteur de la « Ballade des Dames du temps jadis » non seulement un merveilleux évocateur de la France du quinzième siècle, mais un des plus grands des poètes français.

 

L' « Epitaphe Villon  », appelée aussi « Ballade des pendus » est son chef-d'œuvre. Villon, condamné à mort, s'attend à être pendu : alors, du fond de son angoisse, s'élève cette marche funèbre. Ce n'est plus le vivant qui parle, mais le mort qu'il sera demain, avec ses frères du gibet. La vision, dans son réalisme, nous fait frissonner et nous entendons retentir en nous cet appel d'outre-tombe. La sentence fut annulée par le Parlement, mais Villon disparaît complètement à cette date (1463). Ainsi la Ballade des pendus reste pour nous son chant du cygne…

 

« Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De nôtre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice... Toutefois vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a debués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de nôtre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie ;
A lui n'ayons que faire ni que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! »

 

La cour des ducs de Bourgogne, à Dijon leur capitale, fut un temps le centre d'une vie sociale et intellectuelle franco-flamande assez brillante, bien que formaliste et rigide, d'autant plus que Paris était alors ravagé par la guerre. Là fleurit la poésie des Grands Rhétoriqueurs, poésie difficile, savante, poésie d'initiés et dont Jean Lemaire de Belges est sans doute le représentant le plus connu.

 

En 1503, Jean Lemaire de Belges devint le bibliothécaire de Marguerite d'Autriche, régente des Pays-Bas, et écrivit pour elle en 1505 son Épître de l'amant vert — ce dernier est un perroquet qui vient de mourir dévoré par un chien et qui envoie des poèmes à sa maîtresse :

 

« Adieu, ma dame et ma maistresse chiere,
Pour qui la mort ne vient monstrer sa chiere,
Mais ne m'en chault, mais qui saulve tu soye
Et que jamais n'ayes riens fors que joye.
Fay moy graver sur ma lame marbrine
Ces quatre vers, au moins se j'en suis digne :

L'épitaphe de l'amant vert  :

 

Soubz ce tumbel, qui est ung dur conclave,
Git l'Amant Vert et le tresnoble esclave,
Dont le hault cueur, de vraye amour pure yvre,
Ne peut souffrir perdre sa dame, et vivre ».

 

Le contraste entre deux inspirations, l'une idéaliste l'autre réaliste, qui se trouvait déjà si nettement marqué dans les deux parties du Roman de la Rose, s'accentue encore. L'inspiration réaliste, caustique, bourgeoise si l'on veut, par opposition à l'inspiration chevaleresque, l'emporte de plus en plus. Suivant la tradition misogyne médiévale, des ouvrages dénoncent les femmes, le mariage, les Quinze Joies du mariage par exemple dont le titre seul indique assez l'esprit. Il est vrai que les femmes ont aussi des défenseurs, notamment la savante Christine de Pisan, championne passionnée des vertus de son sexe. Elle était la fille d'un naturaliste italien, astrologue et philosophe, attaché au service de Charles V. Mariée à quinze ans, veuve à vingt-cinq, avec trois enfants, elle écrivit pour vivre : c'est la première femme de lettres de notre littérature.

 

La fille qui n'a point d'ami

 

« A qui dira-t-elle sa peine,

La fille qui n'a point d'ami ?

 

La fille qui n'a point d'ami,

Comment vit-elle ?

Elle ne dort jour ni demi

Mais toujours veille.

Ce fait amour qui la réveille

Et qui la garde de dormir.

A qui dit-elle sa pensée,

La fille qui n'a point d'ami ?

 

Il y en a bien qui en ont deux,

Deux, trois ou quatre,

Mais je n'en ai pas un tout seul

Pour moi ébattre.

Hélas! mon joli temps se passe.

Mon téton commence à mollir.

A qui dit-elle sa pensée,

La fille qui n'a point d'ami ?

 

J'ai le vouloir si très humain

Et tel courage

Que plus tôt anuit que demain

En mon jeune âge

J'aimerais mieux mourir de rage

Que de vivre en un tel ennui.

A qui dit-elle sa pensée,

La fille qui n'a point d'ami ? »

Toutes ces œuvres n'étaient lues que d'un petit public. Le grand public était celui du théâtre, qui connut une faveur immense pendant les deux derniers siècles du Moyen Age. Comme chez les Grecs, le théâtre eut une origine liturgique. Il commença par la représentation, à l'intérieur de l'église, de grandes scènes religieuses, la Nativité, la Passion du Christ. Puis ces Mystères, comme on appelait alors les dramatisations, sortirent de l'église, s'installèrent sur la place publique, devinrent bientôt d'immenses et coûteuses représentations suivies passionnément par tous les habitants de la ville. L'Ancien et le Nouveau Testament, les vies de saints, même les événements de l'histoire nationale tels que le « Siège d'Orléans » fournirent des sujets de drames. Au début du quinzième siècle, une confrérie parisienne, celle des « Confrères de la Passion », reçut du roi le privilège exclusif de la représentation des mystères sacrés dans la capitale. Les acteurs n'étaient donc pas des acteurs professionnels, mais d'ordinaire des bourgeois de la ville réunis par leur intérêt commun pour le théâtre.

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