Le Moyen Age : Elément de civilisation Les 2 derniers siècles du Moyen Age : le XIVe et le XVe siècles |
Le dauphin Charles, fils du roi défunt, se fit également proclamer roi de France, sous le nom de Charles VII. Ses ennemis l'appelaient par dérision « le roi de Bourges », bien qu'il possédât encore quelques provinces. C'est à ce moment qu'une humble fille de dix-sept ans, Jeanne d'Arc, vint trouver le roi en son château de Chinon et lui promit de délivrer Orléans, qu'assiégeaient alors les Anglais. En désespoir de cause, Charles VII lui donna une escorte de quelques hommes d'armes. Elle entra avec eux dans Orléans, car les Anglais n'étaient pas assez nombreux pour investir la ville. Elle ranima si bien les courages que la garnison attaqua les assiégeants. Ils battirent précipitamment en retraite. Puis ce fut le tour de Talbot et de Fastolf d'être vaincus. A vrai dire, Jeanne n'exerça jamais de commandement important. Les vrais chefs de guerre étaient des professionnels, souvent de la pire espèce. C'est sa présence et surtout sa suprême confiance en sa mission qui firent de Jeanne d'Arc une si étonnante force morale. Instinctivement, elle eut la suprême habileté de faire sacrer le roi, dont la légitimité était contestée, dans la cathédrale de Reims. Dès lors Charles VII devint l'authentique roi de France.
Hélas, il ne fit rien pour sauver celle à qui il devait tant. Faite prisonnière à Compiègne par les Bourguignons qui la livrèrent aux Anglais, ce fut pour Jeanne la voie douloureuse : la prison, le scandaleux procès, puis en 1431 le bûcher sur la place du Vieux Marché, à Rouen. Elle avait alors dix-neuf ans. Son sacrifice ne fut pas en vain. Elle avait donné au pays le loyalisme monarchique qui lui manquait. Le peuple de France, longtemps indifférent envers ses maîtres de l'heure, se tourna de plus en plus contre les Anglais. Après que le roi de France se fut réconcilié avec le duc de Bourgogne, les Anglais subirent défaite sur défaite. Même la Guyenne si longtemps anglaise leur fut enfin arrachée. La guerre terminée, Charles VII se révéla bon administrateur. Avec l'aide de son « argentier » Jacques Cœur, envers qui d'ailleurs il se montra aussi ingrat qu'il l'avait été pour Jeanne d'Arc, il réorganisa les finances, régularisa l'impôt royal, établit une armée permanente composée à la fois de cavaliers et de fantassins, notamment d'archers. Il créa même une artillerie. L'armée féodale ne fut plus qu'une sorte de réserve. Les leçons de la guerre de Cent Ans n'avaient pas été perdues. Parmi ces leçons était celle du danger que représentait pour le roi de France l'existence d'un puissant État bourguignon. Les ducs de Bourgogne, dont Dijon était la capitale, avaient aussi des possessions importantes dans le Nord de la France et dans les Flandres. La destruction de leur puissance fut l'œuvre de Louis XI, un des plus étranges parmi les rois de France, le premier roi moderne, a-t-on dit, sans que cela fût nécessairement un compliment pour ses successeurs. D'une piété extrême, tombant sans cesse en prières devant son chapeau garni de petites statues en plomb des saints qu'il honorait d'une dévotion particulière, il était en même temps le moins scrupuleux, le plus soupçonneux et le plus retors des politiques. Il négocia avec ses ennemis, ce qui était alors une nouveauté, car la diplomatie était encore dans son enfance. Il négocia avec les Anglais, qui pensaient à recommencer la guerre. Il négocia avec le duc de Bourgogne, qu'il encouragea à entreprendre une expédition en Lorraine, au cours de laquelle l'illustre duc Charles le Téméraire trouva la mort. Ceci fait, Louis XI s'empara du duché de Bourgogne. Le reste de l'héritage de Charles le Téméraire passa malheureusement par mariage aux mains de l'empereur Maximilien, ce qui compliqua grandement les choses au cours des deux siècles suivants.
La France se releva assez rapidement de la guerre de Cent Ans, et lorsque Charles VII eut repris la direction de son royaume, tout rentra dans l'ordre. Mais la guerre avait produit de grands changements dans la structure de la société féodale. Paris dévasté avait beaucoup décliné. En 1346-48, au lendemain de la bataille de Crécy, la peste noire, venue d'Orient et dont moururent des millions d'Occidentaux, y avait fait d'effrayants ravages. Plus tard, ce fut l'anarchie, la guerre entre Armagnacs et Bourguignons. En dehors des remparts, dont on avait muré plusieurs portes afin de faciliter la défense de la ville, la campagne et les faubourgs étaient en ruines. A l'intérieur de ce Paris autrefois surpeuplé, il y avait maintenant des maisons vides. Son Université, auparavant si prospère, s'était discréditée par sa collaboration avec les Anglais et sa participation au procès de Jeanne d'Arc. La dissension était partout. Un abîme s'était creusé entre les chefs des métiers, les maîtres, et leurs ouvriers, les compagnons. L'accès à la maîtrise était devenu de plus en plus difficile pour ceux qui n'avaient pas la chance d'être fils ou beaux-fils de maîtres. Les frais d'admission dépassaient les moyens de la plupart des ouvriers, et surtout il fallait avoir accompli le « chef-d'œuvre », ouvrage long et coûteux qui devait être accepté par un jury d'examen avant admission à la maîtrise. De sorte que les pauvres compagnons se trouvaient pratiquement exclus de la maîtrise.
Unis par leurs besoins et aussi par leurs rancunes, ils formèrent donc des associations clandestines, les « compagnonnages », qui groupaient les ouvriers selon le métier qu'ils exerçaient. Ces associations avaient leur mystique - elles prétendaient remonter à la construction du temple de Salomon - et leurs rites d'initiation. Peut-être étaient-elles nées parmi les bâtisseurs des cathédrales. Par ces associations, l'ouvrier trouvait aide et travail dans les diverses villes où il séjournait. C'est ainsi que la tradition ouvrière du Tour de France eut son origine dans les compagnonnages du Moyen Age. Il est difficile de déterminer leur rôle dans les troubles sociaux de la guerre de Cent Ans, au cours desquels les bouchers parisiens jouèrent un rôle violent et furent souvent les porte-parole des revendications populaires. Cette colère des miséreux contre les « riches hommes » n'était d'ailleurs que trop fondée. L'Église elle-même avait son prolétariat de clercs errants, qui joignaient parfois des bandes de routiers. Et le contraste était grand entre la misère des petits et le luxe des puissants.
Jamais la vie noble n'avait été si brillante. Couverts de lourdes « armures en plates » les chevaliers aimaient s'affronter en champ clos, briser des lances dans des tournois où les prix étaient décernés par des dames. La guerre elle-même était soumise au code de la chevalerie. Il semble bien que dans l'esprit de bon nombre de seigneurs du temps, banditisme et chevalerie n'étaient pas incompatibles. Dans les combats, il s'agissait avant tout de capturer un personnage d'importance et de lui faire payer une rançon énorme pour obtenir sa liberté. Jean le Bon, roi de France, fut fait prisonnier par les Anglais à Poitiers, où il avait lutté avec une extrême bravoure, sinon avec beaucoup d'esprit. Le soir de la bataille, Edouard, le Prince Noir le servit en personne à table, car il était son vassal, et se déclara indigne de s'asseoir à côté du roi - ce qui ne l'empêcha pas bien entendu d'exiger de son prisonnier une rançon énorme. Jean le Bon revint en France pour lever sa rançon, laissant son fils en otage. Ce fils, qui en avait assez des Anglais, s'échappa, sous prétexte de faire un pèlerinage. Aussitôt le roi de France retourna en Angleterre, où il fut très admiré pour sa noblesse d'âme, mais où il mourut. Comme Savonarole le fera à Florence cinquante ans plus tard, des prédicateurs dénonçaient le luxe des grands et des riches. Dans un moment de repentir, on brûlait sur un bûcher bijoux et parures, tous les colifichets du diable. Mais le diable était tenace, et le goût des riches fourrures, des élégants souliers à la poulaine et des bizarres vêtements bicolores - une jambe rouge et l'autre bleue - l'emportait toujours. Si quelque chose peut racheter l'égoïsme des grands, c'est, au moins chez certains d'entre eux, un désir nouveau de raffinement, l'éveil d'un goût esthétique et d'une curiosité intellectuelle qui annoncent déjà la Renaissance. Après sa longue et dure captivité en Angleterre, Charles d'Orléans consacra ses dernières années à la poésie et à la vie mondaine. Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, fonda la célèbre « cour d'amour » qui tenait chaque année ses assises à Paris le jour de la Saint-Valentin, le 14 février. Mais le meilleur, et à certains égards le pire exemple de ces grands seigneurs somptueux est le duc de Berry, celui pour qui les frères Limbourg peignirent l'admirable calendrier des Très Riches Heures. Épris de luxe et parfaitement égoïste, il vécut entouré d'une cour brillante de seigneurs, de dames, et de ses chiens qui mangeaient à sa table. Il aimait les livres rares. Ce n'était manifestement plus le seigneur féodal du temps de Saint Louis. |