Le Moyen Age - Seconde partie

Les Capétiens

Les Normands avaient depuis longtemps fusionné avec la population indigène des territoires qui leur avaient été cédés en 911. Ils avaient adopté le christianisme et perdu l'usage de leur dialecte nordique. Mais ils avaient gardé le vieil esprit d'entreprise qui avait conduit leurs ancêtres à l'assaut de toutes les côtes. En 1018, en 1063 et en 1073, on trouve les Normands participant aux expéditions contre les Sarrasins d'Espagne ; de 1016 à 1073, ils fondent le royaume de Sicile et poussent même leurs incursions jusqu'à Corfou, Thèbes et Corinthe. Et ce sont encore les Normands qui, franchissant la Manche, exécutent cette autre entreprise, la conquête du royaume anglo-saxon, qui devait aboutir à l'un des événements les plus graves de l'histoire de France : l'union politique de la Grande-Bretagne et de la Normandie.

Guillaume 1er le Bâtard, surnommé plus tard le Conquérant, avait eu à défendre le pouvoir ducal contre les convoitises de ses vassaux. Vainqueur de cette insurrection (1047), Guillaume se tourna ensuite contre le comte d'Anjou et même contre le roi de France Henri 1er. En 1066, lorsque le roi anglo-saxon Édouard le Confesseur mourut sans héritier, l'occasion s'offrit au duc de Normandie de prendre pour lui-même le titre de roi. Il la saisit avec joie. Encouragé par le Saint-Siège, qui n'aimait pas les Saxons, Guillaume choisit, pour transporter son armée en Angleterre, le moment où Harold II, devenu roi à la manière de Hugues Capet, employait ses forces à repousser les envahisseurs norvégiens. Aussitôt après la victoire d' Hastings, Guillaume se hâta de se faire couronner à Westminster.

L'armée que Guillaume avait réunie à l'embouchure de la Dives pour entreprendre la conquête de l'Angleterre était composée non seulement de Normands, mais aussi de soldats venant de toutes les provinces de la France. Ce fut donc bien une armée française qui franchit la Manche ; d'ailleurs, pendant plus de deux siècles, le français sera la langue de la cour et de la noblesse d'Angleterre.

 

Ce fut encore une entreprise française que la croisade. Le pape Urbain II était Français ; c'est à Clermont que cet ancien moine de Cluny prêcha la première croisade et, après Clermont, c'est la France qu'il parcourut pour recruter des croisés. «  Gesta Dei per Francos  » : « Dieu agissant par le bras des Francs », cette expression très ancienne va devenir au XIe siècle un fait réel.


Le Pape Urbain II

La situation des Chrétiens de Syrie était devenue insupportable à partir de 1070, lorsque Jérusalem était tombée entre les mains des Turcs. Un régime de vexations arbitraires, de cruautés, de persécutions insoutenables s'était substitué à celui plus tolérant et plus doux des califes du Caire. D'autre part, en 1087, les Musulmans africains avaient envahi l'Espagne et avaient mis en déroute une armée chrétienne. Ce péril fut sans doute le fait décisif qui détermina Urbain II. Le 28 novembre 1095, à Clermont (aujourd'hui Clermont-Ferrand), le pape, entouré d'un grand nombre d'évêques et d'abbés et d'une foule de seigneurs et de chevaliers de la France du centre et du Midi, fit le récit des maux que souffraient les Chrétiens et les pèlerins de Terre-Sainte, et convia ceux qui l'écoutaient à prendre les armes contre les infidèles.

 

Les assistants furent saisis d'un enthousiasme indicible. En s'écriant : « Dieu le veut ! Dieu le veut ! » ils fixèrent sur leurs épaules les croix d'étoffe, se conformant ainsi à la parole de l'Évangile : « Chacun doit renoncer à soi-même et se charger de la croix ».

Cette première croisade suscita un tel enthousiasme que de véritables foules se mirent en marche : plus de 600 000 hommes, estime-t-on généralement, sous le commandement du moine français Pierre l'Ermite et du chevalier allemand Gautier Sans Avoir. Les croisés, mal organisés, indisciplinés, ignorant des dangers de la route, furent dispersés et massacrés sans avoir pu arriver en Terre Sainte. Un chroniqueur de l'époque anonyme nous fait part des difficultés qu'ils rencontrèrent dans le désert de Phrygie :

 

« La faim et la soif nous assaillaient de tous côtés, et nous n'avions absolument plus rien à manger, sauf quand nous arrachions et frottions dans nos mains des épines : avec une telle nourriture, quelle existence extrêmement misérable nous menions ! Là moururent la plupart de nos chevaux, et par suite, bon nombre de nos chevaliers devinrent piétons. En raison du manque de chevaux, des bœufs nous tenaient lieu de montures, et, en ce besoin extrême, nous utilisions des chèvres, des moutons et des chiens pour porter nos fardeaux ».

 

Histoire anonyme de la Première Croisade

 

Deux ans plus tard, une expédition mieux organisée, et comprenant surtout des chevaliers, prit le chemin des lieux saints : quatre armées furent mises en mouvement et suivirent des itinéraires différents. Raimond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse, et les Français du Midi prirent la route de terre par la Lombardie et la Dalmatie. Godefroi de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, et son frère Baudoin, à la tête des Français du nord, traversèrent l'Allemagne et la Hongrie ; les Normands d'Italie et les croisés italiens s'embarquèrent a Brindisi ; les Français du domaine royal, dirigés par le comte de Vermandois, frère du roi de France, par le comte de Blois et le comte de Flandre, s'embarquèrent aussi à Brindisi et passèrent par l'Épire, la Macédoine et la Thrace. A la fin de 1096, les forces chrétiennes se trouvaient aux portes de Constantinople, émerveillées par les dômes dorés, les palais de marbre et les chefs-d'oeuvre de l'art antique. Épuisée par la traversée de l'Asie Mineure, l'armée des croisés réussit néanmoins à prendre Antioche (1098) et, un an plus tard, le 15 juillet 1099, à entrer dans Jérusalem :

 

« En entendant prononcer le nom de Jérusalem, tous versèrent d'abondantes larmes de joie, heureux de se trouver si près des lieux saints, de la ville désirée, pour l'amour de laquelle ils avaient supporté tant de fatigues et de périls, et bravé la mort sous tant d'aspects divers. Leur ardent désir de voir de près la cité sainte leur fit promptement oublier leurs travaux et leur lassitude, et ils pressèrent leur marche plus qu'ils n'avaient coutume de le faire. Ils allèrent ainsi, sans la moindre halte, jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés devant les murs de Jérusalem, chantant des hymnes de louange, poussant des cris jusqu'au ciel et répandant des larmes de joie.

L'armée était alors forte de soixante mille individus environ, de l'un et de l'autre sexe. »

Albert D'Aix

 

Pour conserver cette conquête, qui avait coûté si cher, les croisés établirent le royaume de Jérusalem, dont le chef fut d'abord, Godefroi de Bouillon, puis à sa mort, son frère Baudoin, qui prit le titre de roi. Cet empire franc, qui se créa si rapidement dans les circonstances les plus difficiles, était protégé par de redoutables forteresses, dont la plus imposante était celle du Krak des Chevaliers. Un ordre nouveau, celui des moines-soldats, fut institué pour soigner les pèlerins et les défendre par les armes. A côté des croisés de passage, qui retournaient chez eux après avoir accompli leur vœu, ces moines-soldats, dans les ordres de l'Hôpital de Jérusalem, de Saint-Jean (les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem ou chevaliers de Malte), du Temple (les Templiers), ou des Frères de la Maison allemande (les chevaliers Teutoniques), représentèrent la croisade permanente. Ils furent les véritables agents de transmission de la civilisation orientale en occident.

 

Car si les Francs surent répandre sur les territoires du Moyen-Orient les institutions, les mœurs et les arts de la France romano-gothique, ils apportèrent également une contribution capitale à la civilisation occidentale en renouant les liaisons commerciales interrompues depuis le VIIIe siècle entre l'Europe et l'Asie. C'est là l'origine de l'expansion du commerce méridional et de l'enrichissement des ports de Barcelone, de Marseille, de Pise, de Gênes et de Venise.

De plus, les croisades, en établissant d'étroites relations avec des pays de culture supérieure, ont hâté l'affinement des mœurs chevaleresques, répandu l'usage des modes et des denrées exotiques, et révélé aux intellectuels certains aspects de la science (médecine) et de la philosophie, de l'art (architecture) et de la littérature arabes et helléniques. Ils ont ainsi contribué grandement à l'enrichissement du patrimoine culturel de l'Europe et ont donné une impulsion vigoureuse à son renouveau spirituel.

 

A ces conséquences économiques et sociales, il faut ajouter des conséquences politiques. Au lieu de tourner leurs forces contre des seigneurs voisins, les croisés s'étaient unis contre un ennemi commun. Les nobles avaient cessé de se quereller et de se jalouser. Beaucoup d'entre eux moururent à la Croisade, la féodalité s'en trouva affaiblie et l'autorité du roi grandit.

 

Il y eut en tout huit croisades. Les Français partagèrent la seconde avec les Allemands en 1147, la troisième avec les Anglais en 1190, la quatrième avec les Vénitiens. Ils furent seuls pour la septième en 1218 et pour la huitième en 1270.


Croisade

 

Pendant que les seigneurs participaient aux croisades, la monarchie capétienne profitait donc de leur absence pour affermir sa position. En même temps, les classes populaires commencèrent à manifester leur volonté d'améliorer leur sort, et les villes cherchèrent à obtenir leur franchise. A la fin du XIe siècle, les villes se multiplièrent et s'agrandirent parce que la condition des habitants s'améliorait. Cette amélioration fit naître, on le comprend, certaines aspirations. Le bas peuple voulait avant tout la liberté personnelle, l'abolition des taxes, impôts et autres servitudes féodales. Les marchands et les industriels voulaient la paix dans la rue et sur les routes, la liberté de leurs opérations. Le patriciat bourgeois aspirait à l'autorité administrative et judiciaire. Or, toutes ces revendications furent favorisées d'abord par l'affaiblissement des seigneurs, dû aux croisades et à la guerre qu'ils se faisaient continuellement entre eux, et ensuite par la révolution économique provoquée par les pèlerinages et surtout par la croisade. On vit donc, à la fin du XIe, et au commencement du XIIe siècle, l'ensemble des villes françaises s'élever de l'état servile à divers degrés de la condition libre. Certaines villes devinrent des communes, c'est-à-dire, qu'elles reçurent le droit de se gouverner elles-mêmes ; d'autres devinrent des villes franches, ce qui leur permit d'échapper à certains impôts et à certaines charges. L'importance de cette victoire populaire ne se mesure pas seulement à ses conséquences immédiates. Ces manifestations de la vie et de l'énergie des petits et des humbles ont eu pour effet d'ébranler la société féodale jusque dans ses fondements. A côté de l'Église, de la Royauté et des Féodaux surgissait une quatrième force politique, le peuple. Notons, en outre, que pour se libérer, les villes avaient dû entrer en lutte surtout avec les évêques, les abbés et les chapitres. C'est donc dans les milieux urbains que l'esprit laïque allait trouver le terrain le plus favorable à son développement, cet esprit laïque qui devait modifier le caractère des pouvoirs publics, les relations sociales et la vie intellectuelle du pays.

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