Le Moyen Age - Seconde partie Les Valois |
Or, le roi d'Angleterre, Édouard III, était le fils d'Isabelle de France et, par elle, le petit-fils de Philippe le Bel. Il se crut donc autorisé à faire valoir ses droits à la couronne de France. Une nouvelle assemblée de notables français, en 1328, s'appuyant de nouveau sur la loi salique, rejeta les prétentions d'Édouard III et proclama roi Philippe, sous le nom de Philippe VI, le comte de Valois, fils de Charles de Valois et donc neveu de Philippe le Bel, qui succéda ainsi à son cousin le défunt roi Charles IV. La guerre entre la France et l'Angleterre ne tarda pas à être déclarée et n'est, en fait, que la reprise violente du vieux conflit entre Capétiens et Plantagenets.. Cette guerre, connue dans l'histoire sous le nom de « Guerre de Cent Ans », commença en 1340 par la défaite de la flotte française à l' Écluse. Ce désastre allait permettre l'invasion par les côtes de la Manche et de l'Atlantique. En 1346, les Anglais débarquèrent en Normandie, prirent sans difficulté Cherbourg, Caen, Rouen et s'avancèrent sur Paris. C'est alors que Philippe VI réunit une vaste armée et se porta au devant d'Édouard III, qui jugea plus prudent de battre en retraite vers le nord. Après avoir franchi la Somme, il décida de faire face aux Français près du village de Crécy. Là, le 26 août, les chevaliers français subirent une terrible défaite : l'armée française, montée à cheval et alourdie par le poids d'antiques armures, comme à l'époque des combats singuliers, ne put s'adapter aux nouvelles méthodes des Anglais. Ceux-ci, habitués à combattre à pied contre les Gallois et les Ecossais, sont passés maîtres dans le maniement de l'arc et utilisent les premières bombardes dont le bruie effraie les chevaux.
Quelques jours après sa victoire à Crécy sur les troupes de Philippe IV de France, Édouard III d'Angleterre vint mettre le siège au pied des fortifications de Calais. Il construisit une ville en bois, Villeneuve-la-Hardie, qui occupait l'espace entre les remparts imprenables et les marais environnants. Le siège dura onze mois, au bout desquels les Calaisiens, affamés et découragés, se rendirent aux Anglais (1347). Le roi de France, qui avait fait une apparition sur les hauteurs de Sangatte, était reparti en les abandonnant. C'est à ce moment que se situe le fameux épisode immortalisé par le groupe sculpté d'Auguste Rodin (1840-1917) : après onze mois de siège, pour sauver la ville de la destruction, les six notables les plus riches, en chemise et la corde au cou, sous la conduite d' Eustache de Saint-Pierre, se livrèrent en otages au roi d'Angleterre pour lui remettre les clefs de la ville... Le roi voulait les faire décapiter tous, mais il fut détourné de sa résolution par l'intervention de sa femme, la reine d'Angleterre Philippa (ou Philippine) de Hainaut. Les Bourgeois de Calais furent donc épargnés in extremis, mais les Calaisiens durent s'expatrier, les mains vides...
L'héroïsme des six bourgeois de Calais venus s'offrir en otages, pour que la ville fût épargnée, a été conté par le célèbre chroniqueur Jean Froissart :
« Le roi gardant le silence resta immobile et les regarda d'un regard haineux, car il haïssait beaucoup les habitants de Calais, à cause des grands dommages et des grandes vexations qu'ils lui avaient faits sur mer au temps passé. Ces six bourgeois se mirent aussitôt à genoux devant le roi et dirent ainsi en joignant les mains : « Noble sire et noble roi, nous voici six qui sommes par nos ancêtres bourgeois de Calais et grands marchands. Nous vous apportons les clefs de la ville et de la citadelle de Calais, et nous vous les rendons en votre bon plaisir, et nous mettons en tel point que vous nous voyez, en votre pure volonté pour sauver le reste du peuple de Calais. Aussi veuillez avoir de nous pitié et miséricorde par votre très haute noblesse ». Certes il n 'y eut alors sur la place seigneur, chevalier ni vaillant homme qui se pût abstenir de pleurer de sincère pitié, ni qui pût parler de longtemps. Le roi les regarda avec grande colère, car il avait le cœur si dur et si enflammé de grand courroux qu'il ne pouvait parler ; et quand il parla, il commanda qu'on leur coupât la tête aussitôt. Tous les barons et les chevaliers qui étaient là en pleurant le priaient, aussi instamment qu'ils pouvaient, de vouloir bien en avoir pitié et miséricorde ; mais il n'en voulait rien entendre. Alors parla messire Gautier de Mauny et il dit: « Ha! noble sire, veuillez refréner votre courroux. Vous avez le renom de souveraine générosité et noblesse. Or ne veuillez faire chose par quoi votre renommée puisse être amoindrie ; gardez-vous de faire parler de vous d'une manière désobligeante. Si vous n'avez pitié de ces gens, tout le monde dira que c'est grande cruauté de faire mourir ces honnêtes bourgeois, qui de leur propre volonté se sont mis en votre merci pour sauver les autres. » Alors le roi fit une grimace et dit : « Messire Gautier, restez en paix, il n'en sera pas autrement. Qu'on fasse venir le coupe-têtes. Ceux de Calais ont fait mourir tant de mes hommes qu'il faut que ceux-là meurent aussi. » Adonc la noble reine d'Angleterre fit une grande humilité et elle pleurait si tendrement de pitié qu'on ne le pouvait endurer. Elle se jeta à genoux devant le roi son seigneur et parla ainsi : « Ha ! noble sire, depuis que je passai la mer jusqu'ici en grand péril, comme vous savez, je ne vous ai rien réclamé ni demandé aucun don. Mais maintenant je vous prie humblement et vous requiers comme don personnel, pour le fils de Sainte Marie et pour l'amour de moi, que vous veuillez avoir pitié de ces six hommes. » Le roi attendit un moment avant de parler et regarda la bonne dame, sa femme, qui pleurait à genoux très tendrement. Alors son cœur s'amollit car il l'eût courroucée à contrecoeur, dans l'état où elle était, et il lui dit : « Ha ! dame, j'aurais mieux aimé que vous fussiez ailleurs qu'ici. Vous me priez si instamment que je n'ose vous refuser ; et quoique je le fasse à contrecoeur, tenez, je vous les donne ; faites-en ce que vous voudrez. » Alors la reine se leva et fit lever les six bourgeois ; elle leur fit ôter les cordes qu'ils avaient au cou, les amena avec elle dans sa chambre, les fit revêtir et donner à dîner tout à leur aise ; et puis elle donna à chacun six nobles et les fit conduire hors de l'armée en sûreté. » Jean Froissart, Chroniques , Livre I. Chap. 312.
Une trêve fut alors signée entre les deux adversaires qui fut observée pendant quatre ans.
Lorsque Philippe VI mourut, en 1350, le royaume de France était en bien mauvais état. En plus des ravages de la guerre, le pays avait été cruellement atteint par la peste noire, venue d'Asie et d'Égypte. On estime que la moitié de la population fut emportée par ce fléau entre 1347 et 1349. Le fils de Philippe VI, Jean II le Bon, n'eut guère le temps de prendre des mesures pour rétablir la situation. En 1356, la guerre reprit avec l'Angleterre et, de nouveau, l'armée française fut écrasée, cette fois à Poitiers, le 19 septembre. Pour comble de malheur, le roi lui-même fut fait prisonnier et emmené en captivité à Londres, laissant derrière lui, comme lieutenant-général du royaume, son fils Charles (futur Charles V le Sage), un frêle jeune homme de dix-sept ans. L'émotion en France fut violente. A Paris, le prévôt des marchands, Étienne Marcel, prit la direction d'une révolte dont le but avoué était de réduire le pouvoir royal. Hors de Paris, des bandes de soldats mercenaires ravageaient les campagnes, provoquant ainsi la révolte des paysans, les « Jacques », qui, à leur tour, se mirent à piller, à brûler et à tuer. Froissart, dans ses Chroniques , nous en parle de la Jacquerie :
« Il advint une grande tribulation en plusieurs parties du royaume de France, en Beauvoisin, en Brie, et sur la rivière de Marne, en Valois, en pays de Laon, sur la terre de Coucy et aux environs de Soissons. Car certaines gens des villes champêtres, sans chef, s'assemblèrent en Beauvoisin ; et ne furent pas cent hommes les premiers ; et ils dirent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, déshonoraient et trahissaient le royaume et que ce serait un grand bien de les détruire tous. Et chacun d'eux dit : « Il dit vrai ! Il dit vrai ! honni soit celui par qui il arrivera que tous les gentilshommes ne soient pas détruits ! » Alors ils s'assemblèrent et s'en allèrent, sans autre conseil et sans aucune armure, si ce n'est des bâtons ferrés et des couteaux, en la maison d'un chevalier qui demeurait près de là. Ils brisèrent la maison, tuèrent le chevalier, la dame et les enfants petits et grands et mirent le feu à la maison... Ainsi firent-ils en plusieurs châteaux et bonnes maisons. Et ils grossirent tant qu'ils furent bien six mille ; et partout où ils arrivaient, leur nombre grandissait. »
Guerre étrangère, guerre civile, épidémies, famines : tous les maux de l'humanité s'abattaient à la fois sur le malheureux peuple de France ! Heureusement, Charles, devenu roi en 1364 sous le nom de Charles V le sage, était un homme calme, patient et opiniâtre. Il s'appliqua d'abord à ramener la paix dans la ville de Paris et dans les campagnes. Puis, en s'appuyant sur le génie militaire du connétable de France, le commandant en chef de l'armée, Bertrand du Guesclin, il réussit, par la « petite guerre » à reprendre presque tout le territoire occupé: par les Anglais, sauf la ville de Calais, et quelques parties de l'Aquitaine. On put croire alors que le danger s'éloignait et que la France allait pouvoir se consacrer à l'œuvre générale de reconstruction. Charles V le Sage, s'intéressait fort aux activités intellectuelles. Il établit dans son palais du Louvre, transformé et embelli, une magnifique bibliothèque, point de départ des collections royales, dans laquelle se trouvaient les œuvres de Platon, de Sénèque, de Saint Augustin, de Brunetto Latini, de Boèce, à côté d'une immense collection de livres astronomiques et astrologiques, de bestiaires, de lapidaires, d'œuvres de médecine et de chirurgie, etc. Outre le Louvre, le roi fit restaurer le château de Vincennes et fit construire l'Hôtel Saint-Paul, à l'est de Paris, hors de l'enceinte de Philippe-Auguste. Il encouragea ainsi les architectes et les artistes, autant que les poètes et les traducteurs. Tout comme son frère Jean de France, le duc de Berry, pour qui les frères Limbourg illustrèrent le célèbre livre les Très Riches Heures, Charles V aimait les œuvres d'art, les tapisseries et les joyaux. Cette « renaissance » ne fut malheureusement pas de longue durée. À la mort du roi, en 1380, son successeur, Charles VI, dit le Bien-Aimé, n'avait pas encore douze ans. La régence fut confiée à ses trois oncles paternels, le duc d'Anjou, le duc de Bourgogne et le duc de Berry, et à son oncle maternel, le duc de Bourbon. Ceux-ci s'occupèrent plus de leurs intérêts que des affaires du royaume et le pays entier fut heureux de voir cette néfaste régence terminée, en 1388, lorsque Charles VI, qui était majeur depuis plusieurs années, déclara prendre en main le gouvernement du royaume. Il rappela les anciens conseillers de son père et l'on revint pendant quatre ans aux méthodes d'ordre et de mesure. Hélas, en 1392, pendant qu'il traversait la forêt du Mans, le roi fut subitement atteint d'une crise de folie. Le conseil de régence fut reconstitué et celui-ci se scinda immédiatement en deux partis : celui du duc de Bourgogne, Philippe II le Hardi, et celui du duc d'Orléans. Lorsque ce dernier fut assassiné, par ordre de son adversaire, ses partisans se rallièrent autour d'un de ses parents, le comte d'Armagnac. La France se divisa alors en deux camps et la guerre civile éclata entre les Bourguignons et les Armagnacs : c'est la faction des Armagnacs. |