Le Moyen Age - Seconde partie Les Valois |
Le roi d'Angleterre, Henri V, jugea le moment opportun pour reprendre la lutte contre la France. Le 14 août 1415, ses troupes débarquèrent à Honfleur et s'avancèrent à travers la Picardie. La tentative la plus cohérente pour unir la France et l'Angleterre en un seul royaume était engagée. Le 25 octobre, les Armagnacs firent face aux envahisseurs à Azincourt, mais furent battus de façon décisive. Les Bourguignons se rapprochèrent alors des Anglais et s'emparèrent de la ville de Paris. Pour comble de malheur, Isabeau de Bavière, la femme de Charles VI, le pauvre roi fou, signa avec les Anglais et les Bourguignons le traité de Troyes {21 mai 1420) qui reconnaissait comme successeur de son époux, le roi d'Angleterre ou son héritier. Quant au fils de Charles VI, le dauphin Charles (futur Charles VII), il était déclaré le « soi-disant dauphin » et sa légitimité était mise en doute.
Ainsi, lorsque Charles VI mourut, en 1422, le petit Henri VI d'Angleterre, alors âgé de moins d'un an, fut proclamé roi de France et d'Angleterre par les corps constitués de Paris. Sous la tutelle de ses oncles, les ducs de Bedford, Jean de Lancastre et de Gloucester, il régnait sur l'Île-de-France, la Picardie, l'Artois, la Flandre, la Champagne, la Normandie et la Guyenne. Cependant, le Bourbonnais, le Berry, l'Orléanais, la Touraine, l'Auvergne, le Languedoc, le Dauphiné et le Lyonnais continuaient à reconnaître le dauphin Charles comme légitime roi de France. Celui-ci avait alors dix-sept ans, il n'avait que peu d'argent, peu de troupes, il n'était pas entièrement sûr de sa légitimité et il avait contre lui la force anglaise alliée à la force bourguignonne. La France, meurtrie par les guerres civiles et étrangères, dévastée par les pillards, avait soif de paix et d'ordre, mais ne savait vers lequel des deux rois se tourner. C'est alors que parut Jeanne d'Arc …
Elle était née en 1412 dans le village de Domremy, qui se trouve en Lorraine et qui avait toujours été dévoué à la cause du roi de France. De bonne heure, elle avait été troublée par les récits que les voyageurs faisaient des misères de la France ; de bonne heure aussi, elle avait demandé aux saints et aux saintes le remède à ces misères. Au cours de l'été de 1424, elle entendit pour la première fois la voix de saint Michel, qui lui disait qu'elle devait aller au secours du roi de France. Plus tard, elle entendit celles de sainte Catherine et de sainte Marguerite, qui lui répétaient que c'était elle qui devait sauver la France. Pendant plus de quatre ans, elle résista à ces voix, car Jeanne n'avait rien d'une mystique exaltée. Finalement, au début de 1429, alors que les Anglais étaient sur le point de prendre Orléans, qu'ils assiégeaient depuis un an, elle se rendit à Vaucouleurs et demanda au capitaine de cette place, le sieur de Baudricourt, de lui donner un cheval, un équipement et six hommes de guerre, car, dit-elle, il fallait qu'elle aille à Chinon où résidait le dauphin afin de lever le siège d'Orléans et de faire ensuite sacrer le dauphin à Reims. Baudricourt se laissa convaincre. Le 13 février 1429, Jeanne partit pour la Touraine et, après un dangereux voyage de dix jours, atteignit Chinon. Deux jours plus tard, elle fut introduite auprès du dauphin, qui s'était caché parmi ses courtisans. Elle le reconnut sans difficulté et, dans une entrevue privée, lui révéla certains secrets (personne ne sait lesquels) et le convainquit qu'elle était bien renvoyée de Dieu et qu'il était bien le légitime souverain de France. Néanmoins, elle dut attendre encore deux mois avant de pouvoir attaquer les Anglais, car l'Église lui fit subir un interrogatoire pour s'assurer qu'elle ne venait pas du diable !
Enfin, le 27 avril, Jeanne se mettait en marche, précédée de son étendard : une bannière blanche qui portait l'image de Dieu bénissant les fleurs de lys, avec la devise Jesus Maria. À ses côtés chevauchaient les meilleurs capitaines du dauphin : La Hire, Saintrailles, Bueil, Ambroise de Loré, Gilles de Rais et le jeune duc d'Alençon, prince du sang. Derrière elle, une armée de quelques milliers d'hommes.
Le 29 avril, la Pucelle entrait à Orléans et le 8 mai, après quelques journées de combat au cours desquelles Jeanne fut blessée, les Anglais battaient en retraite. La première tâche de Jeanne était terminée. Avant d'entreprendre la seconde, celle de faire sacrer le dauphin, il fallut chasser les Anglais des rives de la Loire. Jargeau, Beaugency, Meung, Patay : l'une après l'autre, ces places tombèrent entre les mains de Jeanne. Alors on se décida à partir pour Reims.
Le 17 juillet, dans l'ancien sanctuaire, le dauphin Charles était sacré roi de France et pouvait désormais se faire nommer Charles VII. Pour l'immense majorité des Français, il était maintenant le roi légitime. Quant à Jeanne, la petite bergère de Domremy, un chroniqueur nous en a laissé cette description :
«Et qui eut veu ladicte Pucelle accoler le roy à genoulx par les jambes et baiser le pied, pleurant à chaudes larmes, en eust eu pitié, et elle provoquoit plusieurs à pleurer en disant : Gentil roy, Ores est exécuté le plaisir de Dieu, qui vouloit que vinssiez à Reims recevoir vostre digne sacre, en montrant que vous estes vray roy, et celuy auquel le royaume doit appartenir.» La nouvelle du sacre se répandit immédiatement dans toute la France, et partout l'on s'attendait à voir Charles VII profiter de l'enthousiasme soulevé par cet événement miraculeux pour reprendre les parties de son royaume encore occupées par les Anglais. Cependant, l'entourage du roi était fatigué de la guerre et l'encourageait à retourner en Touraine, où la vie était plus douce. Seule, Jeanne d'Arc insistait pour continuer la guerre. Devant Paris, elle subit un premier échec, et fut de nouveau blessée. Elle passa ensuite quelques temps à la cour, mais, fatiguée de cette vie oisive, demanda bientôt un commandement militaire. Le 20 mai 1430, elle se rendit à Compiègne, qui subissait l'assaut du duc de Bourgogne. Trois jours plus tard, elle tombait prisonnière entre les mains des Bourguignons. Tout le monde connaît l'histoire de l'emprisonnement, du procès et de la mort de Jeanne. Lorsqu'elle rendit l'âme sur le bûcher de Rouen, le 30 mai 1431, beaucoup des assistants anglais s'écrièrent : « Nous avons brûlé une sainte ! » En effet, cinq siècles plus tard, l'Église, qui avait condamné Jeanne comme hérétique et sorcière, fit d'elle une de ses saintes.
Son exécution souleva dans toute la France une vague d'indignation. C'est à partir de cette date que l'on peut parler du patriotisme français. Les gens du XVe siècle ont eu, peut-être pour la première fois, le sentiment d'appartenir à une nation qui, depuis quatre siècles, grâce aux efforts des Capétiens, était en voie de formation. C'est le miracle de Jeanne d'Arc d'avoir réussi, en quelques mois, à donner un cadre solide à ces sentiments patriotiques naissants. Lorsque Charles VII mourut, en 1461, la France, d'où les Anglais avaient été chassés, avait reconquis sa place dans le monde. Mais une tâche d'une grande importance attendait le nouveau roi, Louis XI, celle d'abattre la puissante maison de Bourgogne.
Le duc de Bourgogne, Philippe III le Bon, nourrissait l'espoir de devenir roi. Maître d'un territoire qui s'étendait de la mer du Nord à la Suisse, celui que l'on nommait avec admiration « le Grand Duc du Ponant » (c'est-à-dire de l'Occident), jouait dans ses palais de Gand, de Bruxelles et de Dijon le rôle d'un souverain, et il en avait les moyens. Pendant la guerre de Cent Ans, les écrivains, les peintres, les sculpteurs, les architectes et les musiciens avaient trouvé un bel accueil auprès des ducs de Bourgogne, qui pouvaient leur offrir argent et protection, alors que les rois de France, sauf Charles V, se sentaient incapables d'un tel luxe. C'est ainsi que la Bourgogne continua au XVe siècle à jouer un rôle de premier ordre dans les arts et les lettres, comparable à celui qu'elle avait joué aux temps de Cluny et de Cîteaux.
En face de Philippe le Bon, le roi de France faisait piètre figure. Un long nez lui enlaidissait la figure, des jambes déformées et grêles lui donnaient une démarche embarrassée. Il s'habillait très simplement et portait un méchant chapeau de pèlerin orné de médailles saintes. Il demeurait de préférence non pas au Louvre, ni dans son hôtel des Tournelles, à Paris, mais dans le château d'Amboise ou à Plessis-lez-Tours, en Touraine. Il détestait les cérémonies, les bals, les banquets et les tournois. Sa seule distraction était la chasse. Mais ce roi, en apparence si peu royal, fut, en effet, un des souverains les plus actifs, les plus méthodiques et les plus influents de France. Il aima passionnément son métier et voulut être au courant de tout ce qui se passait dans son royaume. C'est à partir de lui que la monarchie française devient bureaucratique.
L 'historien Commynes a dépeint ce roi retors et cruel :
« Il avait fait fabriquer, dit-il, de rigoureuses prisons, comme cages de fer ou de bois, couvertes de plaques de fer à l 'extérieur et à l 'intérieur , avec de terribles ferrures, de quelque huit pieds de large et de la hauteur d'un homme, plus un pied. »
C'est là que Louis XI enfermait ceux qui s'opposaient à son pouvoir. Mais, calculateur, politique avisé, il avait horreur de la guerre, car il savait bien qu'une bataille perdue par malchance pouvait lui faire perdre le fruit de longs efforts. Aussi est-ce de préférence par diplomatie et intrigues qu'il agissait contre ses ennemis. Commynes a su rendre justice aux qualités de celui qu'on appela souvent « le terrible roi » :
« Entre tous ceux que j'ai jamais connus, le plus sage pour se tirer d'un mauvais pas en temps d'adversité, c'était le roi Louis XI notre maître, et le plus humble en paroles et en habits ; celui qui travaillait le plus à gagner un homme qui pouvait le servir ou qui pouvait lui nuire... Il était par nature ennemi des gens de condition moyenne et ennemi de tous les grands qui pouvaient se passer de lui. Nul ne prêta tant l'oreille aux gens, ne s'informa de tant de choses que lui, et ne voulut connaître autant de gens. Car il connaissait tous les gens d'autorité et de valeur qui étaient en Angleterre, Espagne, Portugal. Italie et seigneuries du duc de Bourgogne ou de Bretagne, aussi exactement que ses sujets. Et les procédés, les façons dont il usait, dont j'ai parlé plus haut, lui ont sauvé sa couronne, vu les ennemis qu'il s'était lui-même acquis lors de son avènement au trône. Mais ce qui lui a le plus servi, c'est sa grande largesse car s'il se conduisait sagement dans l'adversité, par contre, dès qu'il se croyait en sûreté, ou seulement en trêve, il se mettait à mécontenter les gens, par des procédés mesquins qui lui servaient peu, et il pouvait à grand-peine supporter la paix. »
Commynes, Mémoires , Livre 1. Chap. X. Il commença par s'assurer l'aide, ou du moins l'amitié, de la Bretagne, de la Guyenne et des maisons d'Armagnac et de Foix, dans le Midi. Puis, en 1463, il enleva pacifiquement au duc de Bourgogne les villes de la Somme (Amiens, Saint-Quentin et sept autres, de moindre importance) que Charles VII avait dû céder en 1435. Enfin, il se tourna du côté de la Bourgogne. Le nouveau duc, Charles le Téméraire, rêvait de reconstruire l'ancienne Lotharingie et, pour cela, de reconquérir la Lorraine. Louis XI réussit à détacher du camp bourguignon tous ses alliés : les Anglais, les Lorrains et les Suisses. Ces derniers signèrent un traité d'alliance avec les Lorrains et, lorsque ceux-ci furent attaqués par les Bourguignons, en 1475, les Suisses prirent l'offensive contre Charles le Téméraire. Le 5 janvier 1477, le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, après une bataille furieuse aux portes de Nancy, tomba percé de coups ; la neige recouvrit son cadavre qui ne fut découvert que trois jours plus tard à demi dévoré par les loups. Ainsi s'acheva le rêve de la maison de Bourgogne et disparut le plus rude adversaire de Louis XI. Désormais, la Bourgogne passa sous la protection du roi de France.
Dans d'autres directions également, le roi agrandit le domaine royal : le Roussillon, la Cerdagne, l'Anjou, le Maine et la Provence furent soit conquis, soit acquis par héritage. Ainsi, lorsque Louis XI mourut, le 30 avril 1483, l'unité de la France était presque faite. Il restait encore à acquérir la Bretagne et les provinces du nord et de l'est, mais la féodalité était vaincue au profit du roi. Charles VIII, le fils de Louis XI, n'avait que treize ans à son avènement. Heureusement pour lui et pour le royaume, son père avait eu soin de le confier à la garde de Pierre de Beaujeu, duc de Bourbon, et de sa femme, Anne de Beaujeu, sœur aînée de Charles. Les Beaujeu savaient conduire les hommes et agirent en fins politiques. Ils convoquèrent les États généraux en 1484, afin de s'assurer l'appui de la nation contre les intrigues, toujours promptes à renaître à la mort du roi, que pourraient fomenter les princes du royaume. Cette assemblée comprenait des délégués des trois ordres, élus en des réunions communes où toutes les classes, y compris les paysans, étaient représentées. C'est alors, et pour la première fois, qu'on parla du « Tiers état » (on disait jusque là « estat commun »). Les États généraux approuvèrent les actes des Beaujeu, moyennant une diminution notable des impôts.
Le duc de Bourbon et son épouse – car ils gouvernèrent de concert - encouragèrent ensuite Charles VIII à épouser Anne de Bretagne, seule héritière de son père François II, duc de Bretagne, qui venait de mourir (1488). Par ce mariage, qui fut célébré le 6 décembre 1491, Anne cédait à Charles tous ses droits sur la Bretagne et s'engageait, s'il mourrait sans enfants, à n'épouser que son successeur ou le plus proche héritier du trône. La Bretagne cessait donc d'être indépendante (Charles VIII mourut en 1498, ne laissant qu'une fille. Son successeur Louis XII répudia sa femme, Jeanne de France, et épousa Anne de Bretagne. La fille de Louis XII et d'Anne, Claude de France, épousa le successeur de son père et la Bretagne fut ainsi définitivement réunie à la France en 1532).
Si les Beaujeu avaient pu continuer à diriger la politique du royaume, il est fort probable qu'ils se seraient ensuite occupés des provinces du nord et de l'est. Cependant, Charles VIII avait montré qu'il entendait gouverner seul et l'on peut dire qu'un nouveau règne commence en 1492. Le jeune roi s'était laissé convaincre, par certains de ses amis, qu'il devait revendiquer la couronne de Naples et même entreprendre une nouvelle croisade afin de reprendre Constantinople, tombé aux mains des Turcs en l453. Ces idées chimériques furent combattues par les Beaujeu, mais en vain. Le 2 août 1494, Charles VIII franchit les Alpes et commença une promenade militaire qui se termina par la reddition de Naples le 22 février l495. Inévitablement, cette conquête souleva contre la France la fureur et la jalousie des puissances européennes. L'empereur germanique Maximilien 1er, le roi d'Espagne Ferdinand II le Catholique et Ludovic Sforza le More, duc de Milan, signèrent une alliance avec le pape et la République de Venise, alliance dirigée contre la France. Charles VIII dut se hâter de quitter Naples et se frayer les armes à la main le chemin du retour. Derrière lui, Ferdinand II reprenait la couronne de Naples.
Rentré en France Charles VIII se consacra à l'administration du pays, mais ne renonça pas à ses idées de conquête en Italie. En 1498, il se préparait à reprendre la voie des Alpes lorsqu'un accident, dans son château d'Amboise, lui coûta la vie : à peine âgé de vingt-huit ans, il se heurte le front au linteau d'une porte basse ; il décédera quelques heures plus tard. La couronne passa alors à son cousin Louis, duc d'Orléans, futur Louis XII, qui lui aussi tourna ses regards vers l'Italie et, en particulier, vers le duché de Milan. Il faut dire que ses droits étaient un peu plus solides que ceux invoqués par Charles VIII : il était, par sa grand-mère, Valentine Visconti, descendant des anciens ducs de Milan. Mais, Ludovic le More était, lui, descendant des Sforza, et s'estimait duc légitime du Milanais. Malheureusement pour lui, il n'avait que des alliés incertains ou impuissants et des ennemis décidés et redoutables. Louis XII traversa les Alpes et, aidé par Venise et les Cantons suisses, s'empara du Milanais en moins de vingt jours (septembre-octobre l499). Mais alors les complications commencèrent. Toutes les intrigues, les combinaisons, les renversements d'alliances possibles se succédèrent et s'enchevêtrèrent, si bien que les Français, malgré les faits d'armes extraordinaires de Bayard, le « chevalier sans peur et sans reproche », et du jeune Gaston de Foix, durent finalement évacuer la péninsule (l5l3). De nouveau, ils revenaient sans avoir tiré le moindre bénéfice de ces expéditions. Pas tout à fait, cependant, car ils avaient vécu pendant une quinzaine d'années, dans une atmosphère d'art, de luxe et de raffinement. Ils revenaient en France profondément marqués par cette expérience qui modifiera foncièrement la vie française en y introduisant la Renaissance. Au début de janvier 1515, le roi Louis XII mourut, unanimement pleuré par son peuple. Il lui avait donné un bon gouvernement, l'ordre à l'intérieur du royaume, et la justice. Les guerres civiles étaient terminées ; celles d'Italie n'intéressaient directement que la noblesse, qui y dépensait son surcroît d'énergie. Les Français avaient donc été heureux sous Louis XII, qu'ils avaient surnommé le « Père du Peuple ».
Un nouveau souverain allait être appelé à régner : François 1er …
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