Le Moyen Age : Elément de civilisation
Troisième partie

Introduction

Le terme de Moyen-Age ( Media aetas) est relativement récent, puisqu'il date du XVIe siècle. Historiquement, il désigne la période s'étendant de l'effondrement de l'Empire romain d'Occident (476) à la prise de Constantinople par les Turcs (1453), qui marque la disparition de l'Empire byzantin. On substitue parfois à cette dernière date celle de l'invention de l'imprimerie par Gutenberg (1457) ou celle de la découverte du Nouveau Monde (1492).

Cette période intermédiaire entre le monde antique et le monde moderne resta longtemps l'objet d'erreurs et de préjugés. Les hommes de la Renaissance jetèrent le discrédit sur ces siècles où la culture gréco-latine subit une éclipse. Il n'était pire crime à leurs yeux que l'ignorance des textes anciens, et leur mépris les rendit injustes. Ils ne virent dans le Moyen Age qu'ignorance et obscurantisme, traitèrent de gothique (c'est-à-dire « barbare ») l'architecture des cathédrales. Au XVIIe siècle, avec Boileau, on jugea ces siècles « grossiers ». Les philosophes du Siècle des lumières (XVIIIe siècle) se déchaînèrent contre cette époque de « ténèbres » où ils ne trouvaient que superstition, fanatisme religieux et absence totale de liberté de pensée. Il fallut l'admiration de Chateaubriand pour les cathédrales gothiques, qu'il célèbre dans son Génie du Christianisme, puis l'enthousiasme des romantiques devant cette « mer de poésie » (Hugo), pour que se formât dans l'opinion un courant favorable. Depuis la fin du XIXe siècle, les travaux patients des érudits et des savants apportent de nouvelles raisons d'admirer ce Moyen Age que Verlaine qualifie d'« énorme et délicat ».

Il ne faut pas chercher dans ces dix siècles une uniformité. On peut y distinguer trois phases : d'abord une lente préparation, le « Haut Moyen Age », du IVe au XIe siècle, puis une période d'épanouissement aux XIIe et XIIIe siècles, enfin un déclin aux XIVe et XVe siècles. Toutefois on peut dégager de cet ensemble un certain nombre de caractères dominants.

C'est à juste titre qu'on voit dans la diffusion du livre le début d'une ère nouvelle. Au Moyen Age, en effet, la presque totalité des gens ne savait pas lire. Mais illettré ne signifie pas alors « ignorant ». Les hommes du Moyen Age s'instruisaient non par des témoignages écrits, des signes tracés noir sur blanc, mais d'une façon beaucoup plus directe, au contact du réel, en regardant, en écoutant, et dans l'accomplissement de leur métier. C'est par la vue des scènes sculptées dans les églises, représentées sur les vitraux, jouées sur le parvis des cathédrales, qu'ils apprennent les vérités de leur religion. C'est en entendant les jongleurs et les trouvères qu'ils participent à la poésie et à la musique. C'est dans leurs années d'apprentissage que les artisans acquièrent le goût du travail bien fait, l'habileté dans l'exécution. L'image, la parole, le geste tiennent lieu de textes écrits et la promesse orale est un enseignement sacré.

On demeure frappé aussi de la complexité d'un temps qui sut si bien accueillir et laissa coexister avec tant d'aisance des façons d'être qui nous paraissent incompatibles. L'époque de la courtoisie la plus raffinée est aussi celle des chansons les plus gaillardes, où la grossièreté se donne libre cours. Le plus ardent mysticisme n'exclut pas un robuste sens pratique. Le respect de la coutume et de la tradition est tout-puissant, l'homme est attaché à sa famille, à sa terre, - et que de monde sur les grands chemins! caravanes de marchands, pèlerins se dirigeant vers les sanctuaires réputés, à Saint-Jacques-de-Compostelle ou en Terre Sainte, croisés partant pour des expéditions lointaines, étudiants allant d'une Université à l'autre, techniciens entreprenant de véritables voyages d'études, ouvriers allant se faire embaucher dans de nouveaux chantiers. On a beaucoup bougé, mais on a aussi beaucoup bâti, enraciné dans le sol d'immenses constructions.

Ce qui fait l'unité de ce Moyen Age, c'est la foi religieuse. La suprématie de l'Église s'affirme dans tous les domaines. Elle guide les consciences, instaure la chevalerie, humanise la vie quotidienne. Gardienne des manuscrits et de la pensée gréco-latine, c'est elle essentiellement qui forme les esprits, dans les écoles monastiques, les écoles capitulaires et les Universités. Elle suscite et dirige les grands élans collectifs : départs en croisades, édification des cathédrales.

Ces siècles ont connu de terribles moments, mais les terreurs produites par les épidémies et les guerres du XIVe siècle ne doivent pas nous empêcher d'en voir les aspects positifs. C'est une époque haute en couleur, une époque d'audaces, où les hommes se sont lancés dans des entreprises qui étaient aussi des aventures, avec une ardeur et une confiance dans l'avenir rarement égalées. C'est en somme une époque étonnamment vivante.
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