Le Moyen Age : Elément de civilisation La Littérature |
A l'exception de quelques Vies des saints, les plus anciennes œuvres en langue d'oïl que nous possédons sont des chansons de geste, poèmes guerriers célébrant les exploits de personnages dont l'histoire a été enrichie par la légende épique et projetée par elle sur le plan héroïque. Il nous reste une centaine de ces chansons, composées à différentes époques - car leur vogue a été durable - et très variables par leur longueur, leur inspiration et leur valeur littéraire. Elles étaient chantées, ou plutôt récitées en mélopée soit par leur auteur, le trouvère, soit le plus souvent par des jongleurs, musiciens et faiseurs de tours ambulants, partout où ils trouvaient un auditoire, sur les places publiques, aux champs de foire, aux lieux de pèlerinage, aux fêtes, aux dîners des corporations. Même si ces jongleurs n'étaient pas toujours bien traités, car leur profession était quelque peu méprisée, ils étaient fort populaires. La plus ancienne de ces chansons, et la plus belle, est la Chanson de Roland qui, telle que nous la connaissons, fut sans doute composée vers la fin du onzième siècle. C'est un récit en quelque quatre mille vers, divisés en « laisses » de même assonance, du désastre subi au défilé de Roncevaux, dans les Pyrénées, par l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne, qui revenait d'une expédition militaire contre les Sarrasins d'Espagne. La narration est habilement conduite, de façon à captiver l'attention des auditeurs, et le poème est bien composé : la trahison de Ganelon qui, envoyé par Charlemagne pour négocier avec le roi Marsile, prépare l'embuscade où périra Roland, le propre neveu de Charlemagne, dont il veut se venger ; puis le combat, les exploits héroïques de Roland, les sages conseils d'Oliver que par bravade Roland refuse de suivre, la mort courageuse et chrétienne de Roland et des siens ; enfin, la terrible vengeance de Charlemagne, la sanglante défaite des Sarrasins, la mort de Marsile et le châtiment de Ganelon, qui périra écartelé. Toute la violence de l'époque féodale apparaît dans la Chanson, et aussi ses sentiments, ses aspirations, ses valeurs morales. Le dévouement de Roland envers son seigneur, les liens de fidélité qui existent entre ses compagnons et lui sont, autant que le désir de gloire, des constantes de la mentalité des barons du temps. Ganelon lui-même n'est pas sans fierté et sans scrupules, mais le désir de vengeance l'emporte. Ce qui domine toute la Chanson, comme d'ailleurs beaucoup d'autres, c'est l'idée de la guerre sainte, l'idée que les guerriers sont les soldats du Christ. A peu près contemporaine de la première croisade, la Chanson de Roland en traduit exactement l'esprit. En voici quelques extraits :
Roncevaux (vers 814 à 2396)
Roland prend donc le commandement de l'arrière-garde et sous sa protection les Français passent les défilés, s'attendrissant à la vue de la terre de France : « Quand ils parviennent à la Terre des Aïeux et voient la Gascogne, la terre de leur seigneur, ils se souviennent de leurs fiefs et de leurs domaines, de leurs filles et de leurs nobles femmes. Pas un qui n'en pleure de tendresse. Plus que tous les autres, Charles (Charlemagne) est plein d'angoisse : aux ports d'Espagne, il a laissé son neveu. » (LXVI). Pris d'un pressentiment, il pleure et « cent mille Français s'attendrissent sur lui et tremblent pour Roland » ; pendant ce temps le poète nous montre la chevauchée de 400.000 païens à la poursuite de l'arrière-garde dont ils aperçoivent au loin les gonfanons.
Le neveu de Marsile réclame l'honneur de tuer Roland et choisit douze preux pour provoquer les douze pairs. Devant lui défilent de hauts seigneurs qui, à tour de rôle, jurent de tuer Roland et de conquérir sa bonne épée Durendal. D'une hauteur, Olivier aperçoit les armures étincelantes des ennemis. Pris d'inquiétude, il songe à appeler Charlemagne qui passe les défilés. Mais Roland acceptera-t-il de sonner du cor ? L'opposition des deux caractères fait mieux ressortir l'héroïque folie de Roland. Sans doute pèche-t-il par excès de confiance, mais sa témérité n'est pas aveugle : de hautes raisons l'empêchent d'appeler au secours. Pouvait-il imposer son propre sacrifice aux Français ? Il les juge prisonniers de leur honneur, tout comme lui-même (LXXXVIII).
Roland refuse de sonner de cor
« Olivier dit : « Les païens sont en force ; et nos Français, ce me semble, sont bien peu ! Compagnon Roland, sonnez de votre cor ; Charles l'entendra et l'armée reviendra. » Roland. répond : « J'agirais comme un fou ! En douce France j'en perdrais mon renom. Je vais frapper, de Durendal, de grands coups ; sanglante en sera la lame jusqu'à l'or du pommeau. Pour leur malheur les félons païens sont venus à ces ports : je vous le jure, tous sont frappés de mort ».
LXXXIV. « Compagnon Roland, sonnez votre olifant : Charles l'entendra et fera retourner l'armée ; il nous secourra, avec son baronnage. » Roland répond : « Au Seigneur Dieu ne plaise que pour moi mes parents soient blâmés, ni que France la douce tombe en déshonneur ! Mais je frapperai de Durendal, ma bonne épée que j'ai ceinte au côté : vous en verrez la lame ensanglantée. Pour leur malheur les félons païens se sont ici rassemblés : je vous le jure, ils sont tous livrés à la mort ».
LXXXV. « Compagnon Roland, sonnez votre olifant : Charles l'entendra, qui passe les ports. Je vous le jure, les Français reviendront. - A Dieu ne plaise, répond Roland, qu'il soit dit par homme vivant que pour des païens j'aie sonné du cor ! Jamais mes parents n'en auront le reproche. Quand je serai dans la grande bataille, et que je frapperai mille coups et sept cents, de Durendal vous verrez l'acier sanglant. Les Français sont braves et frapperont vaillamment: ceux d'Espagne ne sauraient échapper à la mort. » LXXXVI. Olivier dit : « Je ne sais où serait le blâme. J'ai vu les Sarrasins d'Espagne : couvertes en sont les vallées et les montagnes et les landes et toutes les plaines. Grandes sont les armées de cette gent étrangère et nous n'avons qu'une bien faible troupe. » Roland répond : « Mon ardeur s'en augmente. Ne plaise au Seigneur Dieu ni à ses anges que pour moi France perde sa valeur ! Mieux vaut mourir que tomber dans la honte. C'est parce que nous frappons bien que l'empereur nous préfère. »
LXXXVII. Roland est preux et Olivier est sage. Tous deux ont une merveilleuse vaillance : puisqu'ils sont à cheval et en armes, même pour la mort ils n'esquiveront pas la bataille. Braves sont les comtes et leurs paroles hautes. Les païens félons chevauchent en grande fureur. Olivier dit : « Roland, voyez leur nombre : ceux-ci sont près de nous, mais Charles est trop loin. Votre olifant, vous n'avez pas daigné le sonner ; le roi serait ici et nous n'aurions pas de dommage. Regardez là-haut, vers les ports d'Espagne : vous pouvez voir bien triste arrière-garde. Qui fait celle-ci, jamais n'en fera d'autre. » Roland répond : « Ne dites pas un tel outrage! Maudit le cœur qui, dans la poitrine, se relâche ! Nous tiendrons ferme, sur place. C'est de nous que viendront les coups et les combats. »
LXXXVIII. - Quand Roland voit qu'il y aura bataille, il se fait plus fier que lion ou léopard. Il s'adresse aux Français, il appelle Olivier : « Sire compagnon, ami, n'en parlez plus ! L'empereur, qui nous laissa les Français, a mis à part ces vingt mille hommes, sachant qu'il n'y avait pas un couard. Pour son seigneur on doit souffrir de grands maux et endurer le grand froid, le grand chaud ; on doit perdre du sang et de la chair. Frappe de ta lance et moi de Durendal, ma bonne épée que le roi me donna. Si je meurs, il pourra dire, celui qui l'aura, qu'elle fut à un noble vassal. »
LXXXIX. D'autre part est l'archevêque Turpin. Il éperonne son cheval et monte sur un tertre. Il appelle les Français et leur adresse un sermon : « Seigneurs barons, Charles nous a laissés ici : pour notre roi nous devons bien mourir. Aidez à soutenir la Chrétienté ! Vous aurez bataille, vous en êtes bien sûrs, car de vos yeux vous voyez les Sarrasins. Battez votre coulpeet demandez à Dieu merci ; je vous absoudrai pour sauver vos âmes. Si vous mourez, vous serez de saints martyrs, vous aurez des sièges dans le grand paradis. » Les Français descendent de cheval, s'agenouillent à terre, et l'archevêque, au nom de Dieu, les bénit : pour pénitence il leur commande de frapper. »
La bataille reprend, toujours plus acharnée : cent mille païens s'enfuient. Mais ils sont aussitôt remplacés par des troupes fraîches, des noirs d'Ethiopie conduits par l'oncle de Marsile, Marganice. Ce dernier frappe Olivier par derrière, en plein dos.
La mort d'Olivier
Cette amitié entre Roland et Olivier, digne des épopées antiques (Cf. Achille et Patrocle), nous vaut l'épisode le plus humain, et peut-être le plus émouvant, de la Chanson . Ces deux âmes farouches trouvent des mots d'une extrême délicatesse, dans leur simplicité, pour se dire leur estime et leur affection, avant de se séparer. Roland surtout montre une douceur, une gentillesse. que nous ne lui connaissions pas ; l'auteur a voulu traduire physiquement l'intensité de sa douleur. Il a peint avec un admirable réalisme les derniers moments d'Olivier.
« Olivier sent qu'il est blessé à mort. Jamais il ne saurait assez se venger. En pleine mêlée, maintenant, il frappe comme un baron. Il tranche les épieux et les boucliers et les pieds et les poings et les selles et les poitrines. Qui l'aurait vu démembrer les Sarrasins, abattre un mort sur un autre, pourrait se souvenir d'un bon vassal. Il n'oublie pas le cri de guerre de Charles : « Monjoie ! », crie-t-il, à voix haute et claire. Il appelle Roland, son ami et son pair : « Sire compagnon, venez donc près de moi : à grande douleur nous serons aujourd'hui séparés. » CXLVIII. Roland regarde Olivier au visage : il est blême et livide, décoloré et pâle. Le sang tout clair lui coule par le milieu du corps : sur la terre tombent les caillots. « Dieu ! dit le comte, je ne sais plus que faire. Sire compagnon, votre vaillance fut votre malheur ! Jamais il n'y aura homme d'aussi grande valeur. Ah! France douce, comme aujourd'hui tu resteras dépouillée de bons vassaux, confondue et déchue ! L'empereur en aura grand dommage. » A ces mots, sur son cheval, il se pâme.
CXLIX. Voilà Roland, sur son cheval, pâmé, et Olivier qui est blessé à mort. Il a tant saigné que ses yeux sont troublés. Ni loin ni près il ne peut voir assez clair pour reconnaître homme mortel. Il rencontre son compagnon et le frappe sur son heaume gemmé d'or : il le lui tranche jusqu'au nasal, mais il n'a pas atteint la tête. A ce coup, Roland l'a regardé et lui demande doucement, amicalement : « Sire compagnon, l'avez-vous fait exprès ? C'est moi, Roland, qui vous aime tant ! Vous ne m'aviez pourtant pas défié ! » Olivier dit : « Maintenant je vous entends parler. Je ne vous vois pas : que le Seigneur Dieu vous voie ! Je vous ai frappé, pardonnez-le-moi ! » Roland répond : « Je n'ai pas de mal. Je vous pardonne ici et devant Dieu. » A ces mots ils s'inclinent l'un vers l'autre. C'est en tel amour qu'ils se séparent. »
La mort de Roland
Il ne reste plus que trois hommes vivants, contre quarante mille qui n'osent les approcher. Roland sonne du cor, faiblement. Là-bas, dans la montagne, soixante mille clairons lui répondent : Charles galope à son secours. Il a fait enchaîner le traître Ganelon.
Gautier est tué, Turpin est blessé : Roland reste seul. Les païens, tenus à distance par la crainte, lui lancent des milliers de dards, d'épieux, de lances, puis s'enfuient vers l'Espagne. Roland range les corps de ses pairs devant l'archevêque qui les bénit avant de mourir. Mais ses forces le trahissent : il s'évanouit. Il trouve encore l'énergie d'assommer d'un coup d'olifant un Sarrasin qui voulait s'emparer de Durendal. Sentant venir la mort, il s'efforce de briser son épée, pour lui épargner de tomber aux mains « d'un homme qui fuit devant un autre. »
Le poète a su ordonner les événements pour préparer cette mort de Roland, resté seul, s'élevant jusqu'à Dieu par un suprême effort. Ses derniers actes et ses dernières pensées nous révèlent, après les grands coups d'épée, la vie intérieure du héros. Par sa vaillance et son sentiment de l'honneur, il s'est mis au-dessus de ses compagnons et Dieu reconnaît la valeur de son sacrifice, car c'est la foi qui nourrit la chevalerie.
« Roland frappe contre une pierre bise, plus en abat que je ne vous sais dire. L'épée grince, mais elle n'éclate ni ne se brise ; vers le ciel elle rebondit. Quand le comte voit qu'il ne la brisera pas, très doucement, il la plaint en lui-même : « Ah! Durendal, comme tu es belle et sainte! Dans ton pommeau doré, il y a beaucoup de reliques : une dent de saint Pierre, du sang de Saint Basile et des cheveux de Monseigneur Saint Denis, et du vêtement de sainte Marie. Il n'est pas juste que des païens te possèdent : c'est par des chrétiens que vous devez être servie. Ne vous ait homme atteint de couardise. Par vous, j'aurai conquis tant de vastes terres, que Charles tient, qui a la barbe fleurie ! Et l'empereur en est puissant et riche. » CLXXIV. Roland sent que la mort le pénètre : de la tête, elle lui descend vers le cœur. Sous un pin il est allé, en courant. Sur l'herbe verte, il s'est couché, face contre terre ; sous lui il place son épée et l'olifant. Il a tourné sa tête vers la gent païenne : il veut que Charles dise, et toute son armée, qu'il est mort, le gentil comte, en conquérant. Il bat sa coulpe et menu et souvent ; pour ses péchés il tend vers Dieu son gant. CLXXV. Roland sent que son temps est fini ; tourné vers l'Espagne, il est sur un tertre aigu ; d'une main il frappe sa poitrine : « Dieu, mea culpa, par ta puissance, pour les péchés, grands et menus, que j'ai commis depuis l'heure où je suis né jusqu'à ce jour où je suis frappé à mort ! Il a tendu vers Dieu son gant droit. Les anges du ciel descendent vers lui.
CLXXVI. Le comte Roland se couche sous un pin : vers l'Espagne il a tourné son visage. De bien des choses lui vient le souvenir : de tant de terres qu'il a conquises, le baron, de douce France, des hommes de son lignage, de Charlemagne, son seigneur, qui l'a nourri ; il ne peut s'empêcher d'en pleurer et d'en soupirer. Mais il ne veut pas s'oublier lui-même ; il bat sa coulpe et demande à Dieu merci : « Vrai Père, qui jamais ne mentis, qui ressuscitas des morts saint Lazare et sauvas Daniel des lions, sauve mon âme de tous les périls, pour les péchés que j'ai faits en ma vie ! Il a offert à Dieu son gant droit. Saint Gabriel l'a pris de sa main. Sur son bras, il tient sa tête inclinée ; les mains jointes, il est allé à sa fin. Dieu lui envoie son ange chérubin et Saint Michel du Péril ; avec eux y vint saint Gabriel. Ils portent l'âme du comte en paradis ».
La question de savoir comment la légende de Roland a pris naissance, s'est développée, et comment le poème a été composé est encore discutée. Le poème tel que nous le connaissons est-il fondé sur des poèmes antérieurs transmis par la tradition orale ou même écrite, ou la légende s'est- elle développée bien après les événements qu'elle rapporte ? Les uns disent que le poème est né de cantilènes, courtes chansons populaires. Les autres attribuent un rôle capital aux sanctuaires et aux pèlerinages dans l'élaboration et la propagation des chansons de geste, comme dans l'histoire de l'art roman. La foule des pèlerins qui fréquentaient les sanctuaires était, disent-ils, un auditoire tout indiqué pour les jongleurs. La légende de Roland aurait ainsi fleuri le long de la route qui menait les pèlerins à Saint-Jacques de Compostelle. Ailleurs, c'était un autre héros dont la mémoire était associée à l'histoire du sanctuaire, Girart de Roussillon à Vézelay, par exemple. Moines et prêtres du clergé local encourageaient la diffusion de ces légendes, puisqu'elles accroissaient la renommée de leur sanctuaire. Souvent les récits épiques embrassaient non seulement divers événements de la vie du même personnage, mais plusieurs générations de la même famille. Autour du héros central, les chansons de geste groupaient ainsi ses ascendants et ses descendants. Ces poèmes, composés par divers auteurs peut-être désireux d'exploiter la popularité d'un certain sujet, sont évidemment différents de ton. A la grande figure de Charlemagne succède son faible fils Louis le Débonnaire : la grandeur épique passe alors à Guillaume d'Orange et aux siens, défenseurs, contre les Sarrasins, de la Provence et de la Catalogne. Mais le public aristocratique se lassa le premier de la simplicité et de la rudesse des chansons de geste. Dès la deuxième moitié du XIIe siècle, il était prêt à accueillir des formes d'art nouvelles. Les mœurs en effet se sont adoucies. Après la première Croisade, qui fit découvrir les beautés de Byzance, une vie élégante se développe autour des rois et des grands seigneurs. Parés d'étoffes soyeuses, de bijoux, et de fourrures rares, les chevaliers et leurs dames découvrent le plaisir de vivre. Une paix relative permet à la vie mondaine de se développer dans le pays d'Oc, c'est-à-dire le midi de la France. Les cours provençales jouent un rôle essentiel dans cette transformation des manières et des goûts. Grâce à Aliénor d'Aquitaine, devenue reine de France, puis reine d'Angleterre, grâce surtout à ses deux filles Aélis de Blois et Marie de Champagne, la « courtoisie » se répand jusque dans le nord de la France. La dame (latin : domina) prend la première place. Elle est comme la suzeraine. C'est pour elle, désormais, et non plus pour son Seigneur et son Dieu, que le chevalier accomplit ses prouesses. Il s'acquitte du « service d'amour », il lui voue un culte délicat.
A elle vont ses hommages. Malheur à lui, s'il encourt la colère de sa dame, s'il ne lui montre un attachement parfait. Suivant en tout point celle qu'il aime, le chevalier devient raffiné dans ses gestes - les miniatures du temps le montrent bien - comme dans ses sentiments. Un code d'amour s'instaure, plein de subtilités, de règles, d'interdits. C'est pour satisfaire aux exigences de ce public que sont écrits, dans la deuxième moitié du XIIe siècle et au XIIIe siècle, les romans d'aventures et d'amour. C'est à lui aussi que s'adressent les si nombreuses chansons d'amour composées par les troubadours et les trouvères.
Le chevalier n'a pas perdu le goût des grands coups d'épée, mais ce ne sont plus des Sarrasins qu'il pourfend : ce sont des géants, renforcés de méchants enchanteurs et de nains perfides. Tel est le thème habituel de la « matière de Bretagne », dont les principaux personnages sont le roi Arthur et ses chevaliers de la Table ronde, Gauvain, Lancelot du lac, avec une foule de comparses, la fée Morgane, et autres. Le chevalier poursuit sa quête au milieu de ce monde étrange, où les enchantements naissent sous ses pas. Mais rien ne l'étonne. Il triomphe des obstacles, et il reste toujours obstinément, ou presque, fidèle à sa dame.
Peut-être les Plantagenêt ont-ils favorisé la diffusion de ces histoires pour faire pièce à leurs rivaux français, les rois capétiens. Le grand poème de Tristan et Iseut (ou Yseult ) , cette touchante histoire d'un amour fatal, fut l'œuvre de deux poètes du douzième siècle, Béroul et Thomas d'Angleterre. |