Le Moyen Age : Elément de civilisation
Troisième partie

Les 2 derniers siècles du Moyen Age : le XIVe et le XVe siècles

A la fin du treizième siècle et au commencement du quatorzième, le roi de France était Philippe le Bel, grand Capétien blond, aux yeux bleus et au regard dur, digne descendant par son absence de scrupules de son ancêtre Philippe Auguste. Les actes de violence qui marquèrent son règne ont laissé une tache sur son nom, et il fut peu aimé de son peuple. Pourtant, en bien ou en mal, ce règne est important dans l'histoire de la France médiévale.

Parmi les actes de violence dont Philippe le Bel était capable figure le célèbre « attentat d'Anagni ». Philippe était très pieux, comme l'étaient sans aucun doute les bourgeois de Laon qui avaient massacré deux siècles plus tôt leur évêque, et il eut la mort du pape sur la conscience. La papauté avait alors atteint un haut degré de puissance. Au début du quatorzième siècle, le pape Boniface VIII avait conscience de cette puissance, et il était autoritaire. Philippe le Bel l'était aussi, et de plus il était toujours à court d'argent, ce qui le rendait plus dangereux encore. Lorsque Boniface VIII déclara que Philippe n'avait pas le droit d'exiger des subsides de l'Église de France, les choses se gâtèrent. Au moment où le pape allait excommunier le roi, ce dernier le devança : il envoya en Italie, à Anagni où le pape était alors, son fidèle Nogaret, qui à la tête d'une bande d'hommes armés envahit le palais pontifical et somma Boniface VIII d'abdiquer. Le pape refusa. Néanmoins, le coup avait été si rude qu'il mourut quelques semaines plus tard.

 

Cet attentat brisa la puissance de Rome. Philippe le Bel parvint bientôt à faire élire un pape français, qui vint s'établir à Avignon. Les papes restèrent là près de soixante-dix ans, construisant pièce à pièce leur résidence, en même temps forteresse - signe de l'insécurité des temps - qu'on appelle maintenant le palais des papes. Durant cette longue période, Avignon, avec ses prélats et cardinaux en rapports constants avec l'Italie, fut le foyer d'une vie bien plus brillante et plus raffinée que celle du vieux Louvre où, entouré de ses légistes, le roi de France méditait ses mauvais coups.

L'un d'eux, et non des moindres, fut l'affaire des Templiers. La Terre sainte perdue, les chevaliers du Temple s'étaient établis ailleurs. Ils avaient à Paris une maison très importante, qui n'existe plus, mais dont le nom d'un quartier de la capitale - le quartier du Temple –rappelle encore l'existence. L'Ordre était devenu fort riche. Il possédait un grand nombre de seigneuries, se livrait à des opérations très profitables de crédit et de banque, malgré la défaveur encore attachée à ces opérations. Que ce soit pour des raisons politiques, parce qu'il jugeait excessive la puissance de l'Ordre, ou pour des raisons financières, afin de confisquer ses possessions comme c'était son habitude de le faire avec celles des juifs et des lombards, Philippe décida de traduire les Templiers en justice - la justice la plus injuste du monde, cela va sans dire, et Nogaret fut chargé de l'affaire. Les Templiers furent accusés de tout, d'idolâtrie, de sacrilège, de mauvaises mœurs. Beaucoup d'entre eux furent horriblement torturés puis brûlés vifs, notamment le grand maître de l'Ordre, qui périt sur un bûcher dressé dans une petite île maintenant réunie à l'Île de la Cité. Ceci fait, Philippe le Bel s'empara des dépouilles des Templiers.

Le besoin d'argent le poussa à d'autres actes qui lui valurent le surnom de « faux-monnayeur ». De nos jours, l'inflation monétaire est d'ordinaire graduelle, insensible, de sorte que les victimes s'en rendent à peine compte. Les méthodes employées par Philippe le Bel étaient plus grossières. Tantôt il diminuait le poids ou le titre des pièces d'or et d'argent, c'est-à-dire la quantité de métal précieux qu'elles contenaient, ou bien il changeait le rapport qui existait entre elles, décidant par exemple que telle pièce serait désormais échangée contre deux autres au lieu de trois. Ces manipulations monétaires constantes rendirent le roi impopulaire. Après sa mort, son intendant des finances fut pendu au gibet de Montfaucon, à la grande joie du peuple qui aimait voir les puissants d'un jour conduits au supplice.

Dans son désir d'étendre son autorité, Philippe le Bel eut constamment recours aux services de gens de loi. Ces « légistes », comme on les appelle, étaient des hommes qui avaient étudié le droit romain, souvent à Montpellier ou à Toulouse, et Nogaret était l'un d'entre eux. Ils rêvaient d'une monarchie où le roi serait maître dans son royaume, comme l'empereur romain l'avait été dans son empire. Les autorités locales et régionales, seigneuriales ou ecclésiastiques, n'eurent pas de pires ennemis que ces durs légistes, qui disputaient leurs pouvoirs, leur intentaient constamment des procès qui peu à peu leur ôtaient les droits qu'ils exerçaient, les privilèges dont ils jouissaient. Cette classe nouvelle des gens de loi, issus de la bourgeoisie ou de la petite noblesse, joua dès lors un rôle considérable dans la vie du pays.

La citadelle de ces gens de loi fut le parlement de Paris, qu'avait créé Saint Louis, mais qui fut vraiment organisé par Philippe le Bel. C'était une cour de justice, essentiellement une cour d'appel des décisions rendues en matière civile, criminelle et administrative par les diverses juridictions du royaume. L'idée de ce tribunal, composé de juristes de profession, et qui prétendait dominer tous les autres, était alors fort révolutionnaire. En l'absence d'une constitution précisant les pouvoirs des divers organes du gouvernement, toute institution nouvelle devait se faire une place dans l'ordre de choses existant. Malgré la création de parlements dans les provinces, le parlement de Paris devint rapidement et resta jusqu'à la Révolution un des principaux corps de l'État.

 

Les États généraux, autre institution de Philippe le Bel, eurent une destinée moins brillante, sans doute parce que leur création ne fut dans l'esprit du roi qu'un expédient, un moyen de s'assurer l'appui du pays dans des moments difficiles. Il eut l'idée de convoquer les représentants des trois « Etats » du royaume - le clergé, la noblesse et le tiers-état - au cours de sa querelle avec Boniface VIII. Il les réunit aussi pour obtenir légalement, par l'impôt, l'argent dont il avait besoin. Le fait est que le principe même de l'impôt royal était encore très discuté. Dans une France féodale, le roi avait-il le droit de lever l'impôt sur ses sujets, même sur ceux qui vivaient hors de son domaine propre ? D'ailleurs, tout impôt était impopulaire, le peuple ayant à peine de quoi exister après s'être acquitté des redevances qui l'accablaient. Désirant des subsides, Philippe le Bel eut soin d'obtenir l'approbation des États. L'impopularité de l'impôt serait ainsi partagée. En fait, les États généraux ne conduisirent pas à l'établissement d'une monarchie parlementaire, comme ils auraient pu le faire en d'autres circonstances. I1s n'eurent guère qu'un rôle consultatif et le roi les réunissait quand il lui plaisait. Il ne plut ni à Louis XIV ni à Louis XV de les réunir. C'est ainsi que pendant plus de cent cinquante ans les États généraux restèrent lettre morte, bien qu'ils aient continué d'être jusqu'à la Révolution une des institutions de l'ancienne France.

 

Le dernier des trois fils de Philippe le Bel, qui régnèrent successivement, mourut en 1328, et avec lui s'éteignit la lignée des Capétiens directs, laquelle avait compté des rois remarquables par leur énergie. À qui le trône allait-il échoir ? Edouard III, roi d'Angleterre, était par sa mère petit-fils de Philippe le Bel, et les Anglais possédaient toujours la Guyenne, à propos de laquelle leur roi Édouard 1 er avait déjà eu de sérieuses difficultés avec Philippe le Bel. A la mort du dernier Capétien, Édouard III revendiqua le trône de France. On réunit alors une assemblée des barons français, car la France était toujours une monarchie féodale. Invoquant une ancienne coutume des Francs saliens - la fameuse « loi salique » - cette assemblée déclara que le trône de France ne pouvait échoir à une femme et que le droit au trône ne pouvait donc être transmis par elle. Philippe de Valois, cousin du roi défunt, fut proclamé roi de France. Édouard III hésita longtemps. Puis à la suite de divers incidents, notamment dans les Flandres et en Guyenne, alors plus anglaise que française, la guerre éclata entre la France et l'Angleterre, cette terrible guerre de Cent Ans qui coûta si cher aux deux pays.

 

Etrange guerre, en vérité. Il est difficile d'en fixer le début et encore plus la fin. Elle commença, peut-on dire, en 1346, l'année de Crécy, et finit en 1453, avec la capitulation de Bordeaux. Mais il n'y eut jamais de traité de paix, et le combat cessa faute de combattants, après que les Anglais eurent été chassés de France, où pourtant ils conservèrent Calais encore tout un siècle. Les misères de cette interminable guerre furent interrompues durant une quinzaine d'années, sous le règne de Charles V, qui réussit à reconquérir la presque totalité de son royaume. Lui mort, les désastres recommencèrent. Sauf cette courte accalmie du règne de Charles V, la guerre de Cent Ans fut une époque d'immenses souffrances et de colères populaires.

Tout aussi étrange est le fait qu'au cours de ce siècle de conflit, il n'y eut guère que trois batailles considérables, qui toutes les trois furent désastreuses pour le royaume de France : Crécy en 1346, la première bataille de la guerre, Poitiers dix ans après, et Azincourt soixante ans plus tard. L'histoire de ces batailles est toujours la même : une chevalerie féodale française, lourdement armée, qui fonce au galop et tête baissée sur l'infanterie anglaise, bien entraînée et dont les flèches la mettent en déroute. Ces barons français étaient incapables d'apprendre quoi que ce soit des défaites subies par leurs prédécesseurs. Dans toutes les batailles, outre leur impétuosité et leur absence complète de discipline, ils commirent les erreurs tactiques les plus grossières, de sorte qu'ils furent chaque fois mis en déroute par des Anglais moins nombreux qu'eux.

Les armées aux prises étaient en effet peu nombreuses. On dit que dans sa grande expédition de 1417, Henri V d'Angleterre débarqua avec une dizaine de milliers d'hommes. Il est vrai que ces effectifs étaient considérablement augmentés par l'addition de troupes alliées et de soldats mercenaires. L'attaque et la défense des villes, alors si fréquentes, n'étaient pas des opérations de grande envergure. La délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc, en 1429, fut un des épisodes décisifs de la guerre : or, assiégeants et assiégés réunis ne comptaient que quelques milliers d'hommes.

Il peut sembler étrange que, dans ces conditions, la guerre ait été si désastreuse. Cela fut causé surtout par sa nature même, guerre de chevauchées rapides, d'embuscades, de coups de main. Des troupes armées parcouraient le pays, emmenant le bétail, s'emparant par surprise ou par trahison d'un château, d'une ville. Jour et nuit les guetteurs veillaient au sommet des tours, mais à la faveur de l'obscurité des « écheleurs » ennemis parvenaient souvent à escalader une muraille, puis à ouvrir une porte à leurs compagnons. La guerre était devenue un métier profitable. Des capitaines, d'ordinaire des barons féodaux, levaient des compagnies de « routiers », comme on appelait alors les mercenaires. Ces compagnies, d'effectifs très variables, louaient leurs services au plus offrant. Les routiers appartenaient à toutes les nationalités, allemands, français, anglais, écossais, car la distinction entre amis et ennemis n'existait plus, tous étant unis par l'attrait du gain et l'amour de l'aventure. Le terme « brigands », qui date de cette époque, était à l'origine à peu près synonyme de routiers, ce qui en dit long sur les mœurs militaires de l'époque.

 

Une autre caractéristique de la guerre de Cent Ans fut son universalité. Certaines régions souffrirent plus que d'autres, notamment la Normandie maintes fois dévastée, la Champagne dépeuplée, l'Île-de-France et Paris ensanglantés, par la lutte entre Armagnacs et Bourguignons. Mais aucune ne fut épargnée au cours de cette guerre interminable. L'Aquitaine elle-même eut son tour, lorsqu'elle fut reprise aux Anglais. Seule la Bourgogne, sous l'autorité de ses ducs, échappa quelque peu aux misères de la guerre.

Pour ajouter à toutes ces horreurs, la guerre de Cent ans fut une guerre civile encore plus qu'une guerre étrangère. Guerre sociale d'abord. Dans les villes, le prolétariat urbain se révolta contre les riches bourgeois ; dans les campagnes, les paysans, exaspérés par la souffrance et par la faim, se soulevèrent contre les seigneurs qui ne les protégeaient plus.

 

Ce furent ces fameuses « jacqueries », révoltes de paysans nommées d'après Jacques Bonhomme, l'ancien nom du paysan français. A Paris, après la défaite de Poitiers où le roi Jean le Bon fut fait prisonnier par les Anglais, le prévôt des marchands Étienne Marcel prit la tête d'un mouvement populaire, qui faillit donner au royaume un gouvernement parlementaire, avec participation des représentants du pays. Étienne Marcel fut assassiné, et la tentative de réforme gouvernementale et administrative des États généraux de 1357 n'eut pas de suites. Mais cet incident fut accompagné de désordres et de violences qui causèrent grand dommage au pays.

Ce fut bien pire encore quelque cinquante ans plus tard lorsque le conflit entre Armagnacs et Bourguignons désola la France. Le pays jouait de malheur. En 1392, le roi Charles VI perdit la raison. De puissants personnages, notamment Philippe le Hardi, à qui le roi Jean le Bon son père avait eu l'imprudence de donner la Bourgogne en apanage, et le duc d'Orléans, frère de Charles VI, convoitaient la couronne. Entre l'oncle et le frère du roi fou, la rivalité devint bientôt féroce. Le nouveau duc de Bourgogne, Jean sans Peur, fit assassiner le duc d'Orléans, son rival, et se vanta publiquement du meurtre. Le comte d'Armagnac, dont la fille avait épousé le poète Charles d'Orléans, fils du duc assassiné, prit en mains sa cause, après que le malheureux poète eut été fait prisonnier par les Anglais à Azincourt et enfermé par eux dans la Tour de Londres.

La guerre éclata entre les deux partis, celui des Armagnacs et celui des Bourguignons. Sans aucun souci de l'intérêt national, les Armagnacs d'abord s'allièrent aux Anglais, puis ce fut le tour des Bourguignons, qui restèrent longtemps leurs alliés fidèles. Paris changea plusieurs fois de mains. L'entrée d'un parti dans la capitale était naturellement suivie du massacre des partisans de l'autre faction. Pendant ce temps, des enfants mouraient de faim sur des tas de fumier dans la capitale, et des loups, affamés eux aussi, rôdaient aux portes de la ville. Le résultat fut qu'à la mort de Charles VI, lorsqu'on déposa son corps dans la basilique de Saint-Denis, le duc de Berry, héraut d'armes de France, proclama Henri « par la grâce de Dieu roi de France et d'Angleterre ». Et comme le nouveau roi n'était âgé que de quelques mois, un régent anglais, le duc de Bedford, s'installa à Paris.

Page 11