Les Origines de la France

Du Big-bang au Paléolithique

À l'extrême sud, le diverticule des Félins est une galerie basse et étroite – moins de 1 m dans la plus grande largeur – qui évoque la galerie profonde de Niaux; comme son nom l'indique, il abrite des gravures représentant des félins, véritable scène qui développe six figures saisissantes telles que celle du mâle urinant pour marquer son territoire et celle du félin blessé. On y trouve également des représentations de bouquetins, de bisons, de chevaux, un cerf et une biche, toutes remarquablement exécutées.

 

Hier comme aujourd'hui, on ne pouvait pénétrer dans une grotte sans disposer d'un moyen d'éclairage. Les hommes préhistoriques de Lascaux ont fait usage de lampes à suif, les unes non façonnées, les autres façonnées. Les premières, trouvées en grand nombre sur le site, sont le plus souvent de vulgaires pierres calcaires à face concave creusée d'une cuvette naturelle ; des traces visibles de cendres, de suie, de charbon attestent de leur utilisation à des fins d'éclairage. Les secondes sont extrêmement rares ; des deux témoins livrés par Lascaux, il ne reste aujourd'hui qu'une seule lampe, sorte de brûloir en forme de raquette, finement taillée dans du grès rose. Outre les lampes, les Magdaléniens de Lascaux ont sans doute utilisé des torches et des feux d'éclairage.


Lampe préhistorique

 

Incontestablement, l'homme de Lascaux était doué d'un solide sens artistique ; ses talents, visibles dans la qualité de l'exécution, apparaissent aussi au plan de la mise en scène des figures. Le souci de composition transparaît jusque dans la façon d'exploiter les irrégularités naturelles de la grotte : dans la Rotonde et le diverticule axial, l'artiste a utilisé l'entablement pour figurer le sol ; dans l'abside, percevant la structure circulaire du plafond, il a disposé ses figures en « chou-fleur ». Ses compositions ne sont pas exemptes d'élégance, voire d'harmonie ; ainsi, dans le diverticule axial, le pendant de la « vache qui saute » est un grand taureau noir et, dans l'espace dénommé la Rotonde, deux groupes d'aurochs s'opposent dans une parfaite symétrie des masses.

 

Pour exécuter leurs peintures, les hommes de Lascaux utilisaient des minéraux colorants à base de fer et de manganèse. Les oxydes de fer n'étaient pas toujours employés tels quels ; souvent, on les chauffait pour modifier leur couleur naturelle. Pour transformer le colorant en peinture, on agissait d'abord sur le minéral soit en le grattant, soit en le broyant ; la poudre obtenue était ensuite délayée dans des godets.

 

Par sa composition, le bestiaire de Lascaux est classique ; hormis le mammouth, et le renne étonnamment absent bien qu'étant l'animal le plus courant, le plus chassé et le plus consommé à cette époque et à cet endroit, on y trouve tous les animaux généralement représentés dans l'art pariétal. Dans la masse des figurations animales, les rapports de fréquence varient avec les espèces ; le cheval et les bovidés (bison et aurochs) surclassent le cerf, le bouquetin, l'ours, le félin et le rhinocéros. Cette hiérarchie des espèces s'observe également dans l'emplacement des scènes figuratives ; là encore, pour des raisons qui nous échappent, le couple cheval-bison apparaît sur les panneaux principaux, alors que les félins et le rhinocéros sont relégués dans les galeries du fond.

 

Lascaux – contrairement à bien d'autres grottes – n'a pas livré de « monstre », figure mi-humaine mi-animale ; la seule représentation atypique pourrait être la « licorne » de la Rotonde, figure énigmatique avec deux cornes droites.


Représentation d'une licorne dans les Grottes de Lascaux

 

L'originalité de l'art de Lascaux réside davantage dans le mode d'animation des figures que dans la variété iconographique ; l'artiste exprime le mouvement de façon réaliste mais segmentaire et sélective. Ainsi, l'animation des membres antérieurs suggère-t-elle à elle seule le trot d'un cheval. De même, Lascaux se distingue par la pluralité et la diversité des signes qui accompagnent les figures animales ; André Leroi-Gourhan en a recensé 410, alors que la plupart des autres grottes n'en comptent que quelques dizaines. La sémiologie de tous ces traits rectilignes, signes disjoints, emboîtés, pleins, quadrangulaires et autres, les rapports qu'ils entretiennent entre eux, posent autant de difficultés d'interprétation que la proportion relative des espèces animales représentées ainsi que leur répartition dans la grotte.

 

Les parois de la grotte de Lascaux sont beaucoup plus riches en signes que celles des autres grandes cavités du paléolithique. Ces signes sont très divers ; certains sont communs, d'autres, comme les « damiers », peints en rouge, jaune et noir, restent sans équivalent dans l'art pariétal. Tous relèvent d'une symbolique que les préhistoriens tentent de percer. Selon André Leroi-Gourhan, à Lascaux comme ailleurs, la majorité des signes de l'art paléolithique se répartirait en deux grandes séries : une série mâle et une série femelle. Il s'agirait de figurations d'organes sexuels initialement exécutées avec réalisme mais progressivement transformées en signes-symboles. Parmi les signes pariétaux de la série mâle, on distingue les flèches, les harpons, les bâtonnets et les traits ; à l'opposé, les points et les formes ovales sont des signes de la série femelle. Tous ces signes, généralement couplés et associés à des couples d'animaux, témoignent du fait que l'art pariétal n'est pas simplement un art animalier ; truffé de codes et de messages dans lesquels l'homme préhistorique a inscrit sa vision dualiste du monde, il est le produit d'une pensée extrêmement complexe.

 

Les auteurs de ces dessins que nous admirons maintenant appartenaient à un peuple de chasseurs. Très probablement, leurs dessins avaient pour objet de jeter un sort sur les animaux représentés, un peu comme dans la magie médiévale le sorcier façonnait une image en cire de sa victime, puis la perçait de coups d'épingle. Parfois l'animal est représenté percé d'un trait, ou bien il porte la marque de blessures. On a observé d'ailleurs que les grottes où se trouvent ces dessins sont en général d'un accès difficile et qu'elles ne portent pas trace d'habitation humaine. Ces grottes étaient donc sans doute réservées à l'accomplissement de certains rites.
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