Les Origines de la France Les Romains et les Gallo - Romains |
Prisonniers dans Alésia, les assiégés tiennent six semaines à court d'eau et de vivres. L'armée de secours attendue par Vercingétorix arrive enfin. Les Gaulois attaquent les Romains de l'extérieur et de l'intérieur. La bataille dure quatre jours, elle est effroyable. Même si les Romains se battent à un contre cinq : 50 000 contre 250 000 Gaulois, les systèmes de défense de César sont impénétrables et les Romains gagnent la bataille.
Le jour vient où il n'y a plus de grain de blé dans la ville assiégée. En vain Vercingétorix en a chassé les bouches inutiles : vieillards, femmes, enfants. César, informé, a interdit qu'on les accueille. On a vu errer ces malheureux entre les lignes gauloises et romaines. Ils y sont morts de faim. Tous. Dans la citadelle, les guerriers eux-mêmes sont à bout de force. L'héroïque Vercingétorix, pour sauver ceux qui restent encore en vie, décide de s'offrir en victime expiatoire. En septembre 52 av. J.-C., il fait sa soumission à César. La reddition du chef arverne marque la fin de la guerre des Gaules qui a fait au total un million de morts soit dix pour cent de la population du pays. Désormais toute la gaule est romaine et va le rester pendant quatre siècles.
Nous avons trois récits des derniers moments de l'insurrection gauloise et de son chef : l'un de César, ne nous dit rien de ce qui se passa entre lui et le glorieux vaincu ; les autres, de deux historiens postérieurs, Plutarque et Dion Cassius, sont plus détaillés et plus ornés. Voici celui de Dion Cassius :
«Après la défaite, Vercingétorix, qui n'avait été ni pris ni blessé, pouvait fuir; mais, espérant que l'amitié qui l'avait uni autrefois à César lui ferait obtenir grâce, il se rendit auprès du Romain (…) et parut soudainement en sa présence, au moment où César siégeait dans son tribunal ; l'apparition du chef gaulois inspira quelque effroi, car il était d'une haute taille et il avait un aspect fort imposant sous les armes. Il se fit un profond silence. Vercingétorix tomba aux genoux de César et le supplia en lui pressant les mains, sans proférer une parole. Cette scène inspira la pitié des assistants, par le souvenir de l'ancienne fortune de Vercingétorix comparée à son malheur présent. César, au contraire, lui fit un crime des souvenirs sur lesquels il avait compté pour son salut ; (…) ainsi, loin d'être touché de son infortune en ce moment, il le jeta sur-le-champ dans les fers, et le fit mettre plus tard à mort, après en avoir orné son triomphe ».
Alésia prise et Vercingétorix prisonnier, il ne resta plus à César qu'à soumettre quelques peuplades et, un an plus tard, en 50 av. J .-C., il put, en toute sécurité, repasser les Alpes pour faire face à la guerre civile en Italie et en Orient. Les Gaulois se résignèrent promptement, car ils comprirent vite les bienfaits de la civilisation latine. De leur côté, les Romains se montrèrent compréhensifs et n'imposèrent aux Gaulois aucun sacrifice, hormis l'impôt, très modeste, et le service militaire qui ne portait que sur un nombre infime de recrues. Pendant près de cinq siècles, la Gaule devait partager le sort de Rome. Celle-ci donna aux Gaulois la sécurité extérieure et la paix intérieure, qui leur avaient toujours manqué jusqu'alors.
Il faut noter que la grande bénéficiaire de la conquête romaine fut l'aristocratie gauloise. En principe, les Romains ne touchèrent pas aux institutions locales, mais, en fait, ils affirmèrent leur prédilection pour les gouvernements aristocratiques. En plus, le droit romain se substitua rapidement aux coutumes celtiques qui n'avaient pas une notion très nette de la propriété privée. Le droit romain fit des nobles gaulois de vrais propriétaires et consolida ainsi leur position économique, en même temps que leur situation politique. C'est ainsi que l'aristocratie gauloise donna l'exemple au reste du pays en se donnant à la langue, aux mœurs, aux habitudes de ses vainqueurs. Puisque cette aristocratie désirait vivre à la romaine, et que la civilisation méditerranéenne était essentiellement une civilisation urbaine, il n'est pas surprenant qu'elle ait abandonné les anciennes cités gauloises, lieux de culte et de refuge, au profit des villes nouvelles qui s'étaient étalées commodément dans les plaines.
La grande révolution fut donc le développement de la vie urbaine. Avant l'arrivée des Romains, les Gaulois n'avaient guère que quelques bourgs composés de huttes couvertes de chaume, qui servaient de lieux d'échange, de marchés. Les Romains introduisirent l'emploi de la pierre taillée, de la brique, de la tuile, du marbre. Des villes se construisirent un peu partout, et si leurs maisons d'habitation nous paraissent maintenant bien exiguës, leurs édifices publics étaient très imposants. C'étaient des villes avec des temples du genre de l'élégante Maison Carrée de Nîmes, avec des thermes - ces bains publics si importants dans la vie des Romains - du genre de ceux dont on voit encore les ruines dans le Quartier latin, à Paris. Les Gaulois, cruels par nature, accueillirent avec enthousiasme les distractions de l'amphithéâtre, combats de bêtes et combats de gladiateurs. L'amphithéâtre de Nîmes est, sinon le plus vaste, du moins le mieux conservé de tous les amphithéâtres romains. Non loin de Nîmes est l'indestructible Pont du Gard, ancien aqueduc à trois rangs d'arches superposés, et dont la canalisation, au sommet de l'édifice, amenait autrefois l'eau jusqu'à la ville. Fait de blocs de pierre taillés et disposés avec un art très sûr, il est de nos jours traversé dans toute sa longueur, au niveau du premier étage, par une route où circulaient naguère dans les deux sens les automobiles. Par ailleurs, des écoles surgirent, comme à Marseille, à Autun, à Reims ou à Trèves, où la philosophie et la rhétorique furent enseignées d'après les modèles grecs et romains.
Les dieux des Gaulois continuèrent à être honorés, mais sous des noms latins. Dieux et divinités gauloises trouvèrent ainsi sans trop de peine leur équivalent dans le Panthéon romain. Là où les Celtes vénéraient la Lune, on éleva un temple à Diane, déesse de la lumière, ailleurs un temple à Mercure. Même si les Romains persécutèrent les druides, dont ils craignaient le prestige auprès du peuple, la transition d'une religion à l'autre se fit en somme sans heurt.
Parmi les legs de l'époque gallo-romaine, il faut citer encore notre calendrier. L'année gauloise était divisée en mois lunaires, chacun de vingt-neuf jours et demi. Les Romains introduisirent le calendrier solaire qui, légèrement modifié au quinzième siècle, est resté le nôtre. Des noms de mois rappellent cette origine : juillet, c'est le mois de Jules César, août, celui de l'empereur Auguste. Même remarque à propos des jours de la semaine : lundi est le jour de la Lune, vénérée des Gaulois, mardi, le jour du dieu Mars, mercredi, celui de Mercure. Tous, à l'exception de dimanche, ont été nommés en l'honneur d'anciennes divinités païennes.
La langue latine remplaça la langue celtique, très vite dans les villes, plus lentement dans les campagnes. La langue de ces Gallo-Romains, essentiellement légionnaires, marchands, fonctionnaires… l'emporta en effet car même si le latin qu'ils parlaient n'était pas le latin littéraire, il avait sur le gaulois l'avantage d'être une langue écrite, indispensable en tout ce qui touchait à l'administration et aux emplois publics, et utile pour les transactions de toute sorte. Dans les villes surtout, les Gallo-Romains se mirent donc à parler latin tant bien que mal, avec une prononciation et une syntaxe incertaines. Dans les campagnes, la résistance du celtique fut plus forte, mais il finit par céder, surtout parce que le latin était la langue de l'Église. C'est de ce latin parlé en Gaule que sont sortis les divers dialectes en usage au Moyen Age sur l'étendue de la France actuelle, et dont l'un est devenu le français. A part des noms de lieux dont est souvent difficile de tracer l'origine, le français moderne ne compte que bien peu de mots qui viennent du gaulois, et encore, s'ils sont parvenus jusqu'à nous, c'est par l'intermédiaire du latin. Bon nombre d'entre eux concernent la vie rurale, des mots tels que charrue, bruyère, chemin, et quelques autres. En ce qui concerne l'organisation administrative, les Romains divisèrent la Gaule d'abord en quatre, puis en dix-sept provinces, chacune ayant un gouverneur assisté d'assemblées municipales élues, et responsable devant le gouverneur-général résidant à Lyon, la capitale des Gaules. Environ quatre-vingts cités, chacune composée d'une ville et de ses territoires (les pagi), et s'administrant elle-même par un sénat et des magistrats élus, avaient été établies dans l'ensemble du pays. Ces cités correspondaient, en gros, aux anciens États gaulois.
Bref, les Romains détruisirent ou effacèrent très peu en Gaule, mais fortifièrent et multiplièrent les liens qui unissaient les Gaulois. Rome pava les rustiques sentiers de la Gaule et en fit des routes sûres, qui reliaient les grands centres urbains. Par-dessus toute cette organisation, régnait la paix romaine, la Pax Romana, qui permit le développement d'une civilisation gallo-romaine relativement brillante. Malheureusement pour les conquérants, à l'heure même où Rome annexait la Gaule, le monde antique était en pleine décadence, et cette décadence allait se précipiter à partir du IIe siècle de notre ère. Au IIIe siècle, on voit apparaître les premières invasions barbares, celles des Francs venus d'outre-Rhin. C'est alors qu'on se met à fortifier les villes, en se servant très souvent des pierres des monuments romains. Dès le IIIe siècle également, des bandes de paysans, les Bagaudes, parcourent les campagnes, las de la tyrannie administrative et du joug de leurs maîtres. |