Introduction à la civilisation chinoise :

 

  LES ENJEUX DE LA CHINE AU XXIe SIECLE :

 

III - DIPLOMATIE

 

A - RENAISSANCE DIPLOMATIQUE

 

La faible place qui y est accordée aux droits de l'homme n'a pas empêché la Chine de regagner sa place dans le concert des nations à la fin de l'ère maoïste, puis d'enregistrer un triomphe diplomatique, à la mesure de sa montée en puissance économique, à son entrée dans le XXIe siècle.

 

1°) De la reconnaissance internationale...

 

Lorsque la République populaire de Chine est proclamée, en 1949, les pays occidentaux (sauf le Royaume-Uni, pour préserver Hong Kong) refusent de la reconnaître. Son alliance avec le bloc socialiste prend fin dès 1958. En 1960, une guerre frontalière qui l'oppose à l'Inde la coupe du bloc tiers-mondiste. Dès lors, la Chine , bientôt plongée dans la Révolution culturelle de 1966, n'est plus qu'un paria sur la scène internationale. Sa reconnaissance par la France gaullienne, en 1964, ne suffit pas à compenser son image d'exportateur de subversion et d'inspirateur de mouvements sanguinaires, depuis les Khmers rouges au Cambodge jusqu'au Sentier lumineux au Pérou.

 

Dans les années 1970, cependant, la Chine effectue son retour sur la scène internationale. En 1971, Beijing récu­père le siège chinois à l'ONU (Assemblée générale et sur­tout Conseil de sécurité), jusqu'alors occupé par Taïwan. En 1972, des liens diplomatiques sont rétablis avec le Japon et les États-Unis, puis, dans la foulée, avec l'ensemble des pays occidentaux et asia­tiques. Le processus est achevé à la fin des années 1980 par la normalisation des relations avec Moscou et avec l'Inde.

Zhou Enlai  : Premier ministre de la République populaire de 1949 à 1976 (il meurt en janvier), ce personnage complémentaire, et antagoniste à la fois, de Mao Zedong jouera un rôle décisif dans la réinsertion internationale de la Chine , malgré les errements « révolutionnaires » du régime.

 

2°) ... au triomphe diplomatique

 

Les années 1990 voient, parallèlement à la montée en puis­sance économique de la Chine , son affirmation diplomatique. Toutes les autres puissances mondiales s'efforcent en effet d'appuyer les efforts de leurs hommes d'affaires pour s'im­planter sur le fabuleux marché potentiel que constitue la Chine. Parallèlement , Beijing utilise la puissance que lui confère le droit de veto associé à son siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU pour évacuer de l'agenda de l'organisation internationale les questions qui l'indisposent.

 

Ce repositionnement diplomatique radical va trouver son couronnement en 2001 dans deux décisions d'instances représentatives, dans des domaines très différents, de la communauté internationale. La première est la décision d'attribuer à Beijing l'organisation des jeux Olympiques de 2008. La seconde est l'admission de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à compter du 1 er janvier 2002.

 

3°) La puissance militaire

 

Parallèlement à cette renaissance diplomatique complète, la Chine assoit sa position de puissance par l'évolution de ses forces armées.

 

L'Armée populaire de libération (APL) qui entre dans le XXIe siècle n'est plus une « armée de pauvres » pléthorique et sous-équipée sur le modèle maoïste. Elle est engagée dans un processus de réduction de ses effectifs, destinés à passer de 4 millions à 2,5 millions entre 1987 et 2005, mais aussi de modernisation parallèle de ses équipements. Ce n'est plus tant la quantité de ceux-ci - qui reste considérable (quelque 4 000 avions, une cinquantaine de grands navires et une cinquantaine de sous-marins) - qui prime que l'apparition dans leurs rangs de matériels modernes. Les navires, sous-marins et avions acquis auprès de la Russie dans les années 1990 permettent à la Chine d'asseoir sa position de puissance sinon globale, du moins régionale.

 

Une puissance nucléaire  : Détentrice de l'arme atomique depuis 1964 (cette priorité survécut à tous les soubresauts de l'ère maoïste), la Chine possède une capacité estimée à 400 têtes nucléaires. La plupart sont installées sur des missiles de portée régionale.

 

B - LA QUESTION DE TAÏWAN

 

La question de Taïwan, île peuplée de 22 millions d'habitants et située à 150 kilomètres des côtes chinoises, est essentielle pour le pouvoir chinois. Cette « province rebelle » aux yeux de Beijing constitue un point de tension géopolitique majeur.

Avant-postes  : Si 150 km séparent Taïwan du continent, l'îlot de Jinmen (ou Quemoy), position taïwanaise la plus avancée, tenue par une forte garnison, n'est qu'à 10 km des côtes chinoises.

 

1°) Un héritage de la guerre froide

 

Annexée à l'Empire chinois au XVIIe siècle, élevée au rang de province au XIXe, Taïwan a été colonisée par les Han, qui comptent aujourd'hui pour 98 % de sa population. En 1949, lorsque le Guomindang de Tchang Kaï-chek perd la guerre civile, quelque deux millions de ses partisans s'y replient et y proclament une « République de Chine à Taïwan », conçue comme une base temporaire pour la reconquête du continent. Parallèlement, Beijing considère l'île - et cette position n'a pas changé depuis 1949 - comme une « province rebelle » qui doit réintégrer le giron national.

 

2°) Destins économiques

 

Jusqu'aux années 1990, malgré cette position peu confortable, Taïwan va développer un succès économique séparé des destinées du continent.

 

L'île s'impose en effet comme un « nouveau pays industriel » qui joue un rôle majeur dans les productions à faible valeur ajoutée puis, à partir des années 1980, dans l'électronique. Entre 1952 et 2005, son PIB par habitant (brut) passe de 50 à 15 000 dollars.

 

Dans les années 1990, cependant, le développement économique de la Chine rapproche les deux écono­mies. Les entreprises taïwanaises, malgré les interdictions officielles, effectuent d'importants investisse­ments sur le continent (estimés à plus de 50 milliards de dollars) qui génèrent une dépendance mutuelle de fait entre les deux économies.

Les liaisons Chine-Taïwan  : À partir de 1949, toutes les liaisons, maritimes et aériennes, à travers le détroit de Formose sont totalement interrompues. Ce n'est qu'en 2001 que sont rétablies des liaisons maritimes symboliques entre les îlots avancés de Jinmen et Mazu et le continent.

 

2°) Une démocratie chinoise

 

Mais si cette synergie économique fait les affaires de la République populaire, le modèle politique différent que constitue Taïwan incommode Beijing. Après la mort de Tchang Kaï-chek, en 1975, son fils Tchang Chin-kuo (mort en 1988) engage une amorce de démocratisation qui sera développée par le président Lee Teng-hui dans les années 1990. Taïwan connaît ainsi en 2000 sa première alternance démocra­tique, avec la victoire du Parti démocratique progressiste de Chen Shui-bian à l'élection présidentielle.

 

Mené au pouvoir par un programme politique domestique réformiste (lutte contre la corruption, protection de l'environnement...), le PDP est également porteur d'une conception de l'identité taïwanaise qui se fonde sur une communauté de destin démocratique et rejette le lien culturel et ethnique avec la Chine. Seules les menaces de la République populaire le retiennent de proclamer l'indépendance de l'île.

 

 

 

3°) Une question géopolitique majeure

 

Beijing fait en effet d'une telle déclaration un casus belli (expression latine signifiant "cas de guerre" et désignant un acte susceptible d'entraîner une guerre) . Et la modernisation de ses forces aéronavales dans les années 1990 donne tout son poids à cette menace. Face à celle-ci, l'engagement des États-Unis aux côtés de Taïwan - les deux parties sont liées par un accord d'assistance militaire depuis 1979 - fait de la question un point de tension géopolitique majeur. Tout le danger de la situation a été illustré en 1996 lorsqu'à l'approche de la première élection présidentielle au suffrage universel à Taiwan des tirs de missiles balistiques effectués par la Chine ont amené le déploiement d'une flotte américaine dans le détroit de Formose.

 

Les efforts entrepris depuis 2000 pour apaiser la situation ont porté des fruits. Mais la situation reste à la merci d'un dérapage dangereux.

 

C - LA CHINE ET L'ASIE ORIENTALE

 

La Chine est historiquement la grande puissance de l'Asie orientale. La volonté de recouvrer ce rang entretient des tensions avec l'ensemble de ses voisins, mais la montée en puissance de l'économie chinoise a changé la nature de ces relations.

 

1°) Conflit de puissances

 

La Chine a été jusqu'à l'entrée dans l'ère contempo­raine la puissance incontestée de l'Asie du Nord-Est, dont elle a influencé toutes les civilisations. Au XIXe siècle, cependant, l'entrée beaucoup plus rapide du Japon dans la révolution industrielle lui a permis de supplanter son grand voisin pendant près d'un siècle. Le rétablissement diplomatique de la Chine est donc assorti d'un affrontement larvé avec le Japon, deuxième économie mondiale (en termes bruts), pour la suprématie régionale. Cependant, ici comme ailleurs, les transformations économiques de la Chine ont modifié les rapports. Les entreprises japonaises sont en effet devenues d'importants investisseurs en Chine dans les années 1990, et cet intérêt commun va dans le sens d'une normalisation des relations. D'autre part, la gestion de la question coréenne constitue également un point de coopération obligée (voir ci-dessous).

 

Les relations avec les Corées  : Si la Chine a renoué dès 1992 des relations avec la Corée du Sud, elle reste le seul pays susceptible d'influencer la Corée du Nord, régime militariste engagé depuis 1993 dans un chantage à l'arme atomique qui vise notamment le Japon.

 

2°) Tensions diplomatiques

 

Les relations avec l'Asie du Sud-Est sont marquées par la même problématique de tensions latentes, mais apaisées par des considérations économiques. C'est d'abord le cas avec le voisin immédiat qu'est le Vietnam. Les tensions entre les deux pays (motivées notamment par l'alliance de Hanoi avec l'URSS) ont été suffisantes pour mener à une guerre courte mais meurtrière en 1979. Mais les années 1990 ont vu les lents progrès d'une normalisation, tandis que le Vietnam s'alignait sur le modèle (réformes économiques mais maintien du pouvoir du Parti communiste) constitué par la Chine.

 

Les tensions ont aussi été vives avec d'autres pays d'Asie du Sud-Est beaucoup plus éloignés. Beijing revendique en effet depuis son retour sur la scène internationale la souveraineté sur l'ensemble de la mer de Chine méridionale, prétendant porter la limite de ses eaux territoriales à 1 600 km de ses côtes. Ce sont notamment les îlots pétrolifères des Spratley qui constituent un point de tension, avec le Vietnam encore, mais aussi avec les Philippines et la Malaisie.

 

3°) Glissement de problématique

 

Cependant, l'évolution économique non seulement de la Chine , mais aussi du reste de la région a amené ici un repositionnement fondamental des rapports.

 

La grande crise financière puis économique de 1997-1998, qui balaie l'ensemble des économies d'Asie du Sud-Est, ne s'arrête en effet qu'avec la résistance de l'économie chinoise, qui maintient sa croissance alors que le reste de la région entre en récession. Il en résultera d'abord une nouvelle perception de la Chine par ses voisins comme un pôle de stabilisation pour l'Extrême-Orient, et non plus l'inverse. Cependant, les années qui suivent la crise asiatique exposent également une autre réalité : la Chine est devenue un concurrent redoutable qui met en question le développement même de l'Asie du Sud-Est. Les « tigres » (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Philippines), qui avaient fondé leur développement, dans les années 1990, sur la captation des investissements directs étrangers (IDE), voient ceux-ci se détourner massivement vers la Chine , plus compétitive. Alors qu'en 1997 la Chine attirait 4 fois plus d'IDE que les quatre « tigres » cumulés, en 2005, elle en attire 10 fois plus. Ce glissement de la compétition du champ politico-militaire à celui de l'économie est certes moins dangereux, mais il pose un réel problème au reste de l'Asie.

 

Le « cas » Singapour  : Exception parmi les pays d'Asie du Sud-Est, Singapour, prospère cité-État de 3 millions d'habitants pour 75 % d'origine chinoise, a joué depuis les années 1990 le rapprochement avec la Chine pour faire contrepoids à ses grands voisins hostiles (Malaisie et Indonésie).

 

D - LA CHINE ET LE MONDE

 

Si ses visées régionales sont affichées, la Chine n'est pas une puissance à ambitions globales. Cependant, la poursuite de ses intérêts nationaux se heurte à diverses oppositions d'autres grandes puissances et fait de la Chine un acteur du jeu international.

 

1°) Héritages sensibles

 

Tout comme celles avec le Japon, les relations de la Chine avec ses grands voisins russe et indien sont placées sous le signe de tensions héri­tées de l'Histoire, mises en sommeil pour des raisons pragmatiques mais susceptibles d'être ravivées. Vis-à-vis de la Russie , bien avant les graves tensions de la période soviétique se pose le problème des immenses territoires (plus d'1 million de km 2 ) arrachés à Beijing par Moscou dans le cadre des « traités inégaux » entre 1858 et 1864. Depuis le début des années 1990 et la normalisation diploma­tique, la Chine cultive une alliance avec Moscou destinée à faire pièce aux États-Unis (voir ci-dessous). Mais cette alliance de circonstance pourrait à plus long terme céder la place au désaccord territorial.

 

Les relations entre la Chine et l'Inde sont à l'inverse marquées par les revendications de New Delhi sur l'Aksai Chin, territoire himalayen occupé depuis la guerre de 1962 par les troupes chinoises. D'autre part, l'Inde soutient l'idée d'un Tibet indépendant, qui constituerait un bouclier contre la puissance chinoise. Les deux pays ont normalisé leurs relations dans les années 1990, mais leur frontière commune reste un point de concentration de troupes.

 

La Chine de l'après-11 septembre 2001 : théorie...  : Le tournant géopolitique que pourraient avoir induit les attentats du 11 septembre 2001, avec un retour à l'interventionnisme des États-Unis, est en pleine contradiction avec le principe de la « coexistence pacifique » qui préside officiellement à la diplomatie chinoise.

… et pratique  : Cependant, l'opposition chinoise à Washington dans ce nouveau contexte a peu de chances d'être très ferme : le nouveau mot d'ordre international de lutte contre le terrorisme islamiste pourrait en effet lui permettre une légitimation de la répression contre les mouvements indépendantistes qui agitent sa stratégique région autonome du Xinjiang.

 

2°) États-Unis : une relation centrale et paradoxale

 

La puissance mondiale dominante que sont les États-Unis et la puissance montante qu'est la Chine partagent à l'entrée dans le XXIe siècle un intérêt fon­damental dans le développement de leur relation.

 

Ces deux régimes politiques foncièrement antagonistes ont en effet en commun une primauté accordée au marché et la conviction que l'autre représente une priorité économique. Les États-Unis sont en effet un débouché essentiel pour les exporta­tions chinoises et le marché chinois est au cœur des projets de nombreuses entreprises américaines. Malgré cet intérêt commun, les relations entre Beijing et Washington sont émaillées de tensions récurrentes qui peuvent prendre la dimension de véritables crises, comme celle de 1999 déclenchée par le bombardement accidentel par des avions américains de l'ambassade de Chine à Belgrade, ou celle provoquée en 2001 par la collision entre un avion espion américain et un chasseur chinois au large de la Chine.

 

Ces tensions semblent imputables à la conviction de certains milieux politiques américains que la Chine a des visées politiques globales, et pas seulement régionales ; et à celle de certains milieux politiques chinois selon laquelle les États-Unis s'efforceront de contenir le rétablissement de la puissance chinoise. Les intérêts communs semblent suffisants pour prévenir toute crise majeure, mais la question de Taïwan reste cependant un possible détonateur.

 

3°) La Chine et l'Europe

 

L'Union européenne est celle des grandes puissances avec laquelle la Chine a le moins de motifs de conflit. Et Beijing a toujours réussi à diviser ses membres (par des promesses économiques) pour éviter qu'ils constituent un bloc derrière des motions de condamnation (sur les droits de l'homme et sur la question du Tibet) avancées à l'ONU par certains d'entre eux.

 

 

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